Souvent perçu comme la première étape vers la valorisation d’une recherche, le brevet offre bien plus que la reconnaissance à son propriétaire. Si jamais il s’élève au rang de standard, ou de norme, il devient alors un Graal à protéger et entretenir. Mais avant d’en arriver là, un organisme de recherche doit trouver les ressources nécessaires au dépôt et à la valorisation de son brevet. Une tâche loin d’être facile, qui demande une stratégie précise et rodée à l’instar de celle de l’Institut Mines-Télécom.
Doublement labellisé Carnot au travers des instituts Carnot M.I.N.E.S. et Carnot Télécom & Société numérique, l’Institut Mines-Télécom s’inscrit comme un acteur majeur de la recherche partenariale en France. Grâce aux collaborations menées avec des entreprises, mettant les chercheurs au cœur d’un écosystème industriel, l’Institut dépose de nombreux brevets sur des thématiques d’avenir telles que les réseaux, les transports, la santé ou l’énergie. Il dispose ainsi d’un mécanisme de dépôt et de protection de brevet déjà bien rodé. « Chaque école est dotée d’une cellule de valorisation qui protège les innovations rapidement sur le territoire français, mais dès qu’il s’agit d’étendre un brevet à l’étranger, la protection est assurée et gérée par la direction de l’Institut » décrit Mouna Tatou, en charge du portefeuille brevet de l’Institut Mines-Télécom. Déposer un brevet a un coût, parfois très élevé, « jusqu’à 100 000 euros » assure-t-elle. Et pour cause : un brevet n’est valable que pour un pays donné. Si effectuer un dépôt en France coûte quelques milliers d’euros, ce montant doit être multiplié par le nombre de pays dans lesquels le titre de propriété est étendu, en ajoutant les frais de traduction correspondants. L’investissement nécessaire à la protection d’une technologie par brevet peut ainsi gagner rapidement quelques décimales. D’autant plus que des taxes d’entretien du brevet doivent être acquittées chaque année pour assurer le maintien de la protection ; parfois pendant vingt ans : date maximale de validité de celle-ci avant que le brevet ne tombe dans le domaine public.
Petit brevet deviendra grand
Les brevets représentent un triple enjeu pour l’Institut. En premier lieu, « ils permettent de tracer les compétences et résultats clefs dans le contexte moderne de la recherche ouverte » explique Christian Picory-Donné, directeur du transfert des technologies à l’Institut Mines-Télécom. En second lieu, ils constituent un support privilégié du transfert des résultats à l’économie, en ménageant un retour financier à l’Institut dans les contrats de transfert. Ce retour est lui-même intégré dans la base de calcul de l’abondement Carnot : « autant de ressources supplémentaires pour financer le développement des activités de nos laboratoires ! » prend soin de mentionner Christian Picory-Donné. En troisième lieu, il s’agit de faire rayonner des activités de recherche souvent à la pointe dans leur domaine, comme les matériaux, le big data ou les télécommunications. Et c’est peut-être là que se situe un levier capital, car il arrive qu’un brevet ne se contente pas de répondre aux trois critères nécessaires à sa caractérisation comme tel — nouveauté, inventivité et application industrielle ; parfois, il est à l’origine de standards. Ils deviennent alors des références incontournables pour les usages industriels et se retrouvent dans des produits de grande consommation. « C’est l’exemple de Thunderbolt, le format de connexion informatique qui pourrait remplacer à terme l’USB » illustre Christian Picory-Donné, directeur du transfert des technologies à l’Institut. Les standards — définis généralement par des consortiums d’industriels — ou les normes — définis par des autorités nationales ou internationales sur la base de préconisations d’industriels et d’utilisateurs — représentent ainsi des potentialités de développement considérables. Pour Christian Picory-Donné : « Un standard est une norme en devenir ».
La valeur d’un standard ou d’une norme est conséquente, puisqu’elle encadre tous les usages dans un contexte donné. Mais elle est également très coûteuse en ressources. Financières premièrement, puisqu’un propriétaire de brevet désireux de faire transformer son invention en norme doit assister à de nombreux comités de normalisation, souvent à l’étranger et en s’y rendant à ses frais. Mais coûteuses également en ressources humaines. En effet, les comités de normalisation réunissent des acteurs industriels et politiques qu’il faut convaincre. « C’est énormément de négociations et de lobbying, d’expertise scientifique et technique » raconte Christian Picory-Donné. « Un institut de recherche, aussi grand soit-il, n’a pas les moyens humains pour effectuer tout ce travail ». Alors pour prendre en charge ces tâches, l’Institut se lie à des partenaires extérieurs. « Pour les turbocodes dans les années 1990, nous avions par exemple collaboré avec France Télécom qui avait effectué tout le travail juridique, administratif et s’était occupé des négociations » se souvient-il. Aujourd’hui, c’est avec France Brevets que l’Institut renforce ses actions de standardisation sur certains domaines.
Fournisseur de « patent factory »
« France Brevets nous finance des patent factory, ce sont des usines à brevets en quelque sorte » décrit Mouna Tatou. En clair, l’Institut et France Brevets identifient les brevets à fort potentiel de valeur. À partir de ceux-ci, France Brevets accompagne la création de grappes de brevets qui en découlent, les regroupe avec d’autres brevets détenus par d’autres acteurs et constitue ainsi des ensembles significatifs dans le contexte de futurs standards et normes. Ce fond d’investissement, créé dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), prend également en charge les coûts de protection. Dernièrement, France Brevets et une des écoles de l’Institut, Télécom Bretagne, ont par exemple signé un accord sur 3 ans autour d’un patent factory dans la 5G. Un domaine qui est par ailleurs l’un des grands secteurs porteurs pour l’Institut, puisque sur les trois derniers patent factory financés, deux concernaient la 5G. La prochaine génération de normes mobiles pourrait donc bien, à l’image de ses prédécesseurs, continuer d’affirmer l’expertise et le savoir-faire des chercheurs de l’Institut sur les télécommunications.
En savoir + sur la 5G
Aller + loin en vidéo, avec Christian Picory-Donné, directeur du transfert des technologies à l’Institut Mines-Télécom :
L’institut Mines Télécom et la 5G
La première collaboration de l’Institut Mines-Télécom avec France Brevets sur la 5G remonte à 2013, autour de la technologie de codage MIMO — pour Multiple Input, Multiple Output. C’est une technique de multiplexage utilisée dans les réseaux sans fil et les réseaux mobiles permettant des transferts de données à plus longue portée et à plus grande vitesse. En 18 mois, 15 brevets ont été déposés dans ce cadre.
Le 13 octobre 2015, France Brevets et l’Institut étendaient leur accord cadre, en particulier à la technologie Filter Bank Multiple Carrier (FBMC). Retenue par le consortium européen METIS, chargé d’identifier les standards prometteurs concernant la 5G, la FBMC est considérée comme la technologie de forme d’onde la plus prometteuse.
Aujourd’hui, METIS a été remplacé par un autre programme dans le cadre H2020, 5G-PPP, ayant pour objectif de définir la prochaine norme 5G au travers de 19 projets. L’un d’eux, Fantastic-5G, rassemble 16 partenaires (Orange, Alcatel-Lucent, Nokia, etc.) dont Télécom Bretagne. Les chercheurs de l’école bretonne continuent de travailler sur les formes d’onde dans le but d’améliorer le support de scénarios d’utilisation supplémentaires.
Eurecom est également impliquée dans l’un des projets 5G-PPP : Coherent, visant à coordonner le réseau mobile trop hétérogène.
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