Si chaque objet connecté parle sa propre langue, comment les faire communiquer ensemble ? Philippe Tanguy est chercheur au sein de l’équipe « Interactions Humains Systèmes et Environnements Virtuels » (IHSEV) de Télécom Bretagne, spécialisé notamment dans le domaine de l’assistance aux personnes âgées et dépendantes. A l’occasion de la Bourse aux technologies organisée à Evry par l’Institut Mines-Télécom sur le thème de l’e-santé, il présentera le 5 mars prochain le protocole de communication xAAL, qui propose de résoudre les problèmes d’interopérabilité entre les appareils domotiques.
En travaillant à interconnecter des appareils domotiques ayant des applications d’e-santé, les chercheurs de l’IHSEV (Lab-STICC) ont constaté un problème d’interopérabilité. Capteurs de présence et détecteurs de chute disposent de protocoles différents selon leurs constructeurs, qui ne sont pas aptes à fonctionner ensemble et à partager des informations. « Par exemple, des objets connectés en Wifi et en Bluetooth ne fonctionnent pas ensemble, » explique le chercheur Philippe Tanguy. Ils ont donc créé xAAL (pour Ambient Assisted Living) : un protocole de communication simple qui permet d’interconnecter des équipements domotiques de différents constructeurs. « Il vise à palier tous les défauts des solutions existantes dans la domotique, » comme xPL (eXtremely simPle protocoL) et UPnP (Universal Plug and Play).
« L’interopérabilité est un gros souci de l’habitat actuellement. On a besoin de récolter et d’agréger des données pour créer de nouveaux services de haut niveau liés à la santé et au bien-être. » Le protocole xAAL permet de faire le lien entre les acteurs de la domotique classique et des PME proposant des nouveaux services : « On sait aujourd’hui que la qualité de sommeil dépend de la température. Avec l’interopérabilité, si une application d’e-santé détecte des problèmes de sommeil, elle peut interagir avec le thermostat connecté et alerter l’utilisateur. » Voire, dans un scénario plus évolué, modifier d’elle-même la température de la chambre.
Une architecture distribuée
« Les solutions qui existent actuellement proposent une passerelle physique : un logiciel qui tourne et qui est chargé de faire l’interopérabilité, comme une box wifi. » Or, passer par un nœud central peut poser problème, par exemple en cas de défaillance. L’idée a donc été de dispatcher des fonctions simples mais de les interconnecter via un bus mulitcast IP (IPv4 ou IPv6). « Si un composant xAAL envoie un message sur le bus, tous les composants appartenant à un même groupe se trouvant sur le bus le reçoivent et peuvent l’interpréter. » Ne pas gérer un ensemble de connexions point-à-point permet d’économiser les ressources des équipements domotiques.
En effet, chaque message se compose d’un en-tête et d’un corps. L’en-tête contient différents champs tels que l’adresse du composant et le type de composant. « Par exemple, si le thermomètre veut informer les autres composants de la température de la maison, il envoie un message disant « je suis un thermomètre » et « la température est de 16°C ». Le chauffage sait qu’il doit interpréter les données provenant du thermomètre et prend donc en compte la donnée « 16°C », par exemple pour augmenter la température. »
Au sein du bus, on trouve une architecture distribuée, avec des composants typiques, dont les gateways. « Une gateway est une passerelle entre le bus et un protocole existant. » Ce sont les éléments chargés de la traduction des différents protocoles avant l’envoi des messages dans le bus. « Chaque entreprise qui veut se connecter au bus xAAL peut librement développer sa gateway pour le protocole de son objet connecté ; et ce sans passer par l’équippementier qui a la main sur la box centrale domotique, comme c’est le cas dans une architecture centralisée. » Ainsi, tout nouvel objet de ce constructeur va s’annoncer de lui-même quand il arrive au réseau. La configuration en est facilitée et le système peut évoluer dans le temps, de manière transparente pour l’utilisateur. « Un des autres intérêts d’xAAL est que le protocole est basé sur des technologies déjà utilisées depuis des années, comme le multicast et les messages JSON, et il peut s’interconnecter avec les autres protocoles existants. »
Un living lab pour tester xAAL
Aujourd’hui, le protocole est toujours en phase de développement et la version 0.4 a été délivrée. Cette période de test et de prototypage permet de lever toutes les exceptions auxquelles les chercheurs n’auraient pas pensé. « A Télécom Bretagne, on a un living lab labellisé, Experiment’HAAL (Human Ambient Assisted Living), qui dispose d’un appartement entièrement connecté sur lequel on peut faire des tests au fur et à mesure. » Les chercheurs sont aussi en contact avec le centre de rééducation de Kerpape, près de Lorient, qui dispose d’appartements connectés pour des personnes tétraplégiques. « Ils sont très intéressés par l’interopérabilité, notamment par le couplage entre xAAL et d’autres protocoles de communication. »
Reste à résoudre les problèmes du point de vue éthique et vie privée de l’utilisateur. Au minimum, il faut pouvoir assurer l’authentification de l’émetteur du message. Mais il faut aussi garantir la sécurité contre des utilisateurs malveillants (hackers, malwares). « En ce moment on entend parler de spams reçus par des réfrigérateurs connectés ou des histoires de hackers s’amusant à ouvrir et fermer les volets des maisons. » La détection de présence pose aussi problème vis-à-vis des cambriolages. « Pour xAAL, on est en train de travailler sur la sécurisation des messages. »
Le projet européen Precious
Le protocole xAAL sera utilisé dans le projet européen PRECIOUS (PREventive Care Infrastructure based On Ubiquitous Sensing), lancé en 2014 et auquel participe Télécom Bretagne. PRECIOUS a pour objectif à la mise en place d’un système de médecine préventive basé sur la domotique. Via des capteurs discrets, une modélisation individuelle des données récoltées et des techniques de coaching et de motivation corrélées, l’objectif est d’étudier le comportement de l’utilisateur et de l’aider à adopter un mode de vie plus sain. « Tous ces services pour la santé de l’utilisateur vont être utilisés sur ce projet via xAAL. » A l’heure actuelle, le protocole est sous licence ouverte et mis à disposition de la communauté scientifique, qui peut d’ores et déjà proposer des applications.
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