C dans votre navigateur

Dans le monde académique, enseigner et chercher sont généralement deux notions complémentaires. Cette association sied particulièrement à Rémi Sharrock, chercheur en informatique à Télécom Paris, et porteur d’un parcours de 7 MOOC sur l’apprentissage du langage C. L’approche d’enseignement adoptée pour ces cours en ligne a en effet demandé le développement d’outils novateurs, mettant à contribution le savoir-faire du chercheur. Pour ce travail, Rémi Sharrock a été récompensé le 21 novembre dernier par la plateforme edX, leader dans l’offre de MOOC au niveau international, qui lui a attribué son Prix edX 2019. Il nous raconte les dessous de ce parcours éducatif numérique développé en partenariat avec l’université de Dartmouth aux États-Unis.

 

Comment en êtes-vous arrivé à déployer un effort de recherche pour la création d’un parcours de cours en ligne ?

Rémi Sharrock : La volonté initiale était de proposer une nouvelle forme d’apprentissage du langage C. Pour cela, nous avons dû développer plusieurs outils qui n’existaient pas encore. C’est cet effort déployé avec l’université de Dartmouth qui a eu des débouchés en recherche. Notre objectif a toujours été de faciliter l’échange avec l’apprenant, et de le mettre au cœur du processus pédagogique. Les outils que nous avons mis au point permettent d’exécuter des actions pour l’apprentissage directement sur l’ordinateur de l’utilisateur, avec de nombreuses fonctionnalités encore jamais vues.

Quels sont par exemple les outils mis au point ?

RS : Le principe d’un MOOC est d’être ouvert au plus grand nombre. Nous ne savons pas depuis quel ordinateur se connecte un utilisateur, ni quel système d’exploitation ou quel navigateur il utilise. Mais quel que soit son système, il faut pouvoir lui fournir une bonne qualité d’apprentissage. Le premier outil que nous avons développé en ce sens est WebLinux. Il répond à un enjeu : pouvoir coder en langage C avec Linux depuis n’importe quel ordinateur, avec n’importe quel navigateur. Nous ne voulions pas demander à un apprenant de télécharger une application, car cela peut être décourageant pour un débutant. WebLinux permet donc d’émuler Linux pour tout le monde, directement sur la plateforme web d’apprentissage.

Comment réalisez-vous cela sur le plan technique ?

RS : Techniquement, nous exécutons Linux directement dans le navigateur, sans passer par un serveur. Nous utilisons pour cela un émulateur de processeur openRisc qui s’exécute dans le navigateur, et un Linux compatible avec ce type de processeur. Cela permet de se passer de serveurs faisant tourner Linux, et donc de passer à très large échelle avec peu de ressources serveur.

C’est un atout pour l’accès à l’enseignement, mais l’outil facilite-t-il aussi l’action pédagogique ?

RS : Pour cela, nous avons développé un autre outil, complémentaire, qui s’appelle Codecast. Cette fois-ci, c’est un émulateur du langage C, qui tourne sur n’importe quel navigateur et qui est synchronisé avec l’audio explicatif du professeur. Cet outil était un vrai défi parce que nous voulions que n’importe qui puisse exécuter une instruction en langage C directement dans son navigateur, sans avoir à passer par un serveur de calcul distant, ni utiliser un logiciel tiers sur son ordinateur. Nous avons créé un interpréteur de langage C spécialisé pour le web, qui fonctionne avec tous les navigateurs. Lorsque vous êtes en train de suivre le cours du professeur en vidéo, vous pouvez directement éditer des lignes de code et les exécuter dans votre navigateur, depuis la page web du cours. Et en plus de cela, lorsque l’enseignant intègre dans son cours une instruction à apprendre et tester qu’il vous envoie, vous pouvez mettre la vidéo en pause, éditer l’instruction et essayer des choses, puis reprendre sans conséquences le cours de la vidéo.

Vous avez répondu également à un autre défi des MOOC de ce type : l’évaluation des apprenants.

RS : Oui, avec un troisième outil, Taskgrader. Dans un cours classique en école, l’enseignant évalue un à un les codes proposés par ses élèves, et les corrige. C’est impensable de faire cela avec un MOOC, car vous avez des dizaines ou des centaines de milliers d’apprenants à corriger. Taskgrader permet d’évaluer automatiquement les codes des étudiants en temps réel, sans que le professeur n’ait à passer derrière, en donnant un feedback personnalisé.

Tous ces outils ont-ils des applications hors du cadre du parcours de MOOC sur l’apprentissage du langage C ?

RS : Codecast peut intéresser les grands sites communautaires de développement comme Github. Les développeurs amateurs ou professionnels s’y partagent des bouts de code pour des applications. Mais la coopération y est souvent difficile : pour corriger le code de quelqu’un il faut télécharger la version fausse, la corriger, la renvoyer et la personne re-télécharge… Un émulateur dans le navigateur permet de travailler directement en temps réel et en ligne. Quant à Taskgrader, c’est un outil intéressant pour tous les enseignants de langage informatique même hors MOOC.

Votre travail de recherche en lien avec ces MOOC s’arrête-t-il à présent que le parcours d’apprentissage est finalisé ?

RS : Non, car nous sommes également engagés sur un second type de recherches. Nous nous associons aux universités de Cornwell et de Standford pour mener des expérimentations sociologiques à large échelle, portant sur les apprenants de ces MOOC. Nous voulons mieux comprendre nos communautés d’apprenants.

Quel type de recherche menez-vous en ce sens ?

RS : Nous avons 160 000 apprenants sur le parcours de MOOC dans le monde entier, qui viennent de tous les horizons sociaux, ethniques, démographiques… Nous voulons savoir s’il y a des différences sur la façon d’apprendre entre hommes et femmes par exemple, ou entre personnes âgées et personnes jeunes. Nous implémentons donc des différences dans les cours donnés selon les profils des personnes, selon une logique d’A/B testing – l’échantillon d’apprenants est divisé en deux et chaque groupe a un paramètre d’apprentissage qui change, comme l’âge, la voix ou le sexe de l’enseignant. Cela devrait nous permettre, à terme, de mieux comprendre les logiques d’apprentissage et de les adapter pour que chaque personne ait un parcours qui facilite la transmission des connaissances.

 

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