Le cycle de vie linéaire des plastiques, trop peu recyclés, exerce une pression accrue sur l’environnement. Le procédé de gazéification permettrait de réduire cet impact en transformant davantage de déchets – actuellement incinérés ou mis en décharge – en ressources d’intérêt comme l’hydrogène ou le biométhane. Javier Escudero, chercheur en génie des procédés à IMT Mines Albi, vise à perfectionner cette approche pour favoriser son implémentation locale.
Des déchets plastiques comme s’il en pleuvait. S’il est bien connu qu’ils s’accumulent dans les décharges et les océans, une étude américaine parue dans le journal Science a également montré que des fragments virevoltent dans l’air que nous respirons. Malgré cette pollution accrue, la production mondiale continue sa croissance fulgurante. Cependant, en bout de chaîne, le recyclage n’a jamais réussi à suivre la tendance. En France, le taux de recyclage moyen de l’ensemble des plastiques serait de 28 %, un quota majoritairement obtenu grâce au recyclage des bouteilles (54,5 % du total). Une grande majorité de ces matériaux est donc incinérée ou mise en décharge.
Afin de répondre efficacement à la crise du plastique, d’autres formes de valorisation doivent être développées. « La gazéification permet de transformer ces déchets en vecteurs énergétiques utiles tout en perdant le moins de matière possible », expose Javier Escudero, chercheur en génie des procédés à IMT Mines Albi. Une alternative qui s’inscrit dans un contexte d’économie circulaire.
Des emballages made in plastic pas fantastiques
Les plastiques rigides utilisés dans les bouteilles sont généralement constitués d’un seul matériau, ce qui facilite leur recyclage. Les films d’emballage, représentant 40 % des gisements de déchets, n’ont pas cette chance. Ils consistent en une combinaison multicouche de différents plastiques : polyéthylène, polyuréthane, etc. parfois mêlée à d’autres matériaux comme les cartons. Cette composition chimique complexe rend leur recyclage trop coûteux. Dans les centres de tri, ils se retrouvent donc en masse au sein des combustibles solides de récupération (CSR) – des déchets non dangereux utilisés pour la valorisation énergétique. Ils sont donc incinérés pour alimenter des turbines et générer de l’électricité.
Autres rebuts inéligibles au recyclage : les emballages de produits chimiques (industriels et grande consommation), considérés comme dangereux. Un prélavage de ces gisements retire une partie des composés toxiques (chlore, soufre, métaux, etc.) en surface. Toutefois, certains atomes migrent à l’intérieur de la matière que le prélavage ne permet pas de retirer. C’est là qu’entrent en jeu les avantages de la gazéification. « Elle permet de traiter tous les plastiques – les CSR et les pollués – et ce, avec un prétraitement moindre en amont du procédé », souligne Javier Escudero.
De plus, ce procédé a une plus grande capacité de valorisation des déchets plastiques que l’incinération, car elle produit des composés chimiques réutilisables par l’industrie. Ces gaz de synthèse peuvent être brûlés pour générer de l’énergie (chaleur, électricité) avec un meilleur rendement que la combustion. Ils peuvent aussi être retraités et stockés sous forme de gaz d’intérêt énergétique (biométhane, hydrogène). Pour y parvenir, l’un des enjeux de recherche est d’observer l’influence des polluants, et donc de la composition des plastiques, sur les produits obtenus après gazéification.
Transformer la matière jusqu’à la dernière miette
Les déchets broyés sont compactés sous forme de pastilles de taille homogène facilitant leur transformation en gaz au sein d’un gazéifieur. Mais valoriser au maximum les déchets demande d’adapter les paramètres de fonctionnement de la gazéification selon une classification des plastiques contenus dans ces pastilles. Par exemple, un traitement à basse température casse les longues chaînes de polymères constituant les films plastiques. Les molécules sont ensuite recoupées lors d’une nouvelle étape comme cela se fait en pétrochimie. En résulte une grande diversité de produits : hydrogène, méthane, acétylène, ainsi que des molécules plus lourdes.
Une transformation à plus haute température produit davantage de gaz de synthèse. Toutefois, elle favorise aussi la production de molécules aromatiques comme le benzène et le naphtalène. Ces composés, à la structure très stable, sont très difficiles à casser pour obtenir des molécules d’intérêt et peuvent se convertir en suies – des solides qui se déposent dans les conduits – synonymes d’une importante perte de matière. L’objectif des travaux de Javier Escudero sur la gazéification est donc de combiner les avantages de ces deux traitements afin d’éviter la formation de résidus solides, tout en produisant un maximum de gaz.
Pour cela, le chercheur et son équipe jouent notamment sur l’injection de gaz qui vont briser les liaisons moléculaires des matières à transformer. Où et quand les injecter dans le procédé ? Avec quel rapport ? Comment réagit la matière ? Autant de questions nécessaires à l’amélioration du procédé. Pour les tests, le gazéifieur de la plateforme technologique Valthera située à IMT Mines Albi permet de traiter une vingtaine de kilogrammes de matière par heure. En plus de la matière, le procédé valorise l’énergie des matériaux. « Les réactions de gazéification ont besoin d’énergie pour se produire. Cela signifie que nous utilisons l’énergie stockée dans la matière pour alimenter sa transformation », explique le chercheur.
Dépenser moins, transformer plus
L’hydrogène et le biométhane obtenus par gazéification alimentent directement les ambitions de la transition énergétique française. La gazéification transforme donc un matériau d’origine fossile, en énergie renouvelable. Cependant, ce procédé reste cantonné au cadre de la recherche. « Il y a encore de nombreux petits aspects à étudier dans la conception des gazéifieurs pour les rendre plus performants et matures selon une quantité donnée de matière. Nous allons également nous concentrer sur l’épuration des gaz de synthèse dans le but d’identifier des solutions encore moins onéreuses », rapporte Javier Escudero. La gazéification pourrait compléter les modes de gestion des déchets à l’échelle locale. Son coût demeure néanmoins le plus grand frein à son adoption par de petits acteurs industriels.
Anaïs Culot
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