En mai dernier, des chercheurs de l’université de Lille et d’IMT Lille-Douai ont pour la première fois mis en évidence une rupture d’un barrage de photons dans une fibre optique. Ces résultats viennent valider expérimentalement une théorie vieille de plus de 50 ans. Mais surtout, ils révèlent une analogie surprenante avec la rupture d’un barrage d’eau, ouvrant des perspectives de rapprochement entre physiciens de domaines différents.
Le problème pour un physicien travaillant sur la façon dont l’eau s’écoule après la rupture d’un barrage, c’est que les occasions ne sont pas nombreuses pour confronter la théorie à l’expérience. Malgré ce que certaines fictions pourraient laisser croire, les chercheurs sont rarement de dangereux sociopathes. Peu nombreux sont donc les scientifiques prêts à faire exploser une retenue d’eau en montagne pour valider expérimentalement les résultats de leurs équations. Ils doivent alors trouver des solutions secondaires. L’une d’entre elle pourrait bien être de simuler la rupture d’un barrage grâce à une fibre optique et un laser. C’est en tout cas ce que laissent présager les résultats publiés le 20 juin dernier dans Physical Review Letters. Cinq chercheurs en physique optique de l’université de Lille et d’IMT Lille-Douai signent cet article scientifique : Gang Xu, Matteo Conforti, Alexandre Kudlinski, Arnaud Mussot et Stefano Trillo.
Cette équipe du laboratoire de physique des lasers, atomes et molécules (Phlam) a en effet observé pour la première fois la rupture d’un barrage de photons — les particules élémentaires de la lumière — dans une fibre optique. « Un barrage de photons est une impulsion lumineuse d’un laser avec deux niveaux d’intensité très différents » explique Arnaud Mussot, chercheur à IMT Lille-Douai et membre du Phlam. Le signal lumineux est ainsi constitué d’un groupe de photons possédant une haute énergie (ceux envoyés avec une forte intensité), et d’un autre groupe à l’énergie moins élevée. La situation est analogue à un véritable barrage, l’altitude de l’eau remplaçant alors l’énergie des photons.
En comparant la forme du signal lumineux à l’entrée et à la sortie d’une fibre optique de 15 kilomètres, les chercheurs ont constaté une altération du signal. Les deux plateaux bien distincts avec en haut les photons de haute énergie et en bas ceux de faible énergie ont été chamboulés durant le trajet. Le signal en sortie présentait un troisième plateau au milieu, montrant que certains photons avaient perdu de l’énergie. En plus de cela « les plateaux se retrouvent connectés par des fronts d’onde obliques et très lents qui sont des ondes de raréfaction et des ondes de choc » décrit Arnaud Mussot. Tout comme des vagues qui se propagent lorsque le mur retenant l’eau cède.
Si la comparaison entre les deux types de barrage est si poussée, c’est avant tout parce que les deux évènements se ressemblent sur le plan mathématique. Les équations qui régissent le comportement des photons dans la fibre optique et de l’eau qui s’écoule après rupture de l’infrastructure sont similaires. « Pour les rendre identiques, nous avons dû paramétrer notre expérience d’une certaine façon » raconte le chercheur. Il a notamment fallu empêcher les pertes de signal dans la fibre dues à la propagation le long du câble, car il n’y a pas d’analogie de ce phénomène dans le cas du barrage retenant de l’eau. « Nous avons mis en place un système original pour compenser ces pertes en utilisant un amplificateur optique in situ », poursuit Arnaud Mussot.
La similitude entre les deux types de barrage a cependant ses limites et ne s’établit formellement que dans des cas bien particuliers où les équations de modélisation sont valides. En effet, la topographie locale — qui peut être très particulière — nécessitera probablement d’inclure des termes additionnels correctifs dans les modèles. Cependant, cette analogie reste « un bon moyen de pouvoir observer expérimentalement des résultats d’équations théoriques, et de les valider expérimentalement » soutient Arnaud Mussot. Ces résultats scientifiques permettront ainsi de construire des liens entre les scientifiques travaillant sur les deux sujets. Chaque communauté pourra alors apporter à l’autre ses résultats pour faire progresser les deux domaines.