Les facteurs de stress chez les individus peuvent survenir régulièrement, en particulier dans des contextes incertains comme la situation sanitaire actuelle. Afin d’éviter que l’état de stress ne devienne chronique et conduise à des problèmes de santé mentale, des approches impliquant des technologies positives permettraient aux individus de développer leur résilience. Anuragini Shirish, chercheuse à Institut Mines-Télécom Business School, détaille ses travaux menés sur le sujet.
Pourquoi est-il important de réduire le stress chez les individus de manière générale ?
Anuragini Shirish : Selon les dernières estimations datant de 2017, 792 millions de personnes dans le monde sont diagnostiquées comme ayant des problèmes de santé mentale, dont 284 et 264 millions qui souffriraient respectivement d’anxiété et de dépression. Or, l’état physiologique de stress chronique est un facteur de risque important pour le développement de ces maladies. Éviter — ou du moins limiter — cet état de stress chronique chez les individus pourrait donc nettement réduire le risque de développer ces maladies, et améliorer leurs conditions de vie de manière générale.
Comment s’installe l’état de stress chronique chez les individus ?
AS: La manière de comprendre les mécanismes qui induisent du stress a beaucoup évolué. Auparavant, il était considéré que le stress provenait de l’exposition répétée à des facteurs stressants. Mais à présent, notamment au regard des théories en neurobiologie de l’évolution, il est plutôt admis que le stress est une réponse par défaut afin de faire face aux situations de danger, et que cela est inhibé par le cortex préfrontal lorsque les individus perçoivent un sentiment de sécurité. La théorie récente “Generalized Uncertainty Theory of Stress” [théorie de l’incertitude généralisée au stress] stipule que le stress provient plutôt d’un sentiment d’insécurité permanente chez les individus.
Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle influencé les situations individuelles et collectives de stress chronique ?
AS: La pandémie de Covid-19 a provoqué un sentiment d’insécurité générale sur beaucoup d’aspects, comme par exemple la santé personnelle et celle des proches, la stabilité financière, la sécurité de l’emploi. Beaucoup d’individus ont été affectés par des situations de stress chronique qui ont provoqué une hausse importante des maladies mentales. Les incertitudes et le stress poussent les individus à chercher des réponses. Seulement, les informations sont parfois inadéquates, voire dangereuses à des échelles individuelles et collectives. Il s’agit donc de réfléchir au moyen de guider ces réponses, d’autant plus dans le contexte de la pandémie.
Vous suggérez d’utiliser la technologie pour réduire le stress de manière globale ?
AS: La technologie dite positive a pour objectif d’améliorer les conditions de vie individuelles et collectives. Dans ce cas, cette technologie peut être conçue pour améliorer l’état mental des personnes. Il y a plusieurs types de technologies positives, et beaucoup consistent aujourd’hui en des applications mobiles, ce qui permet de les rendre accessibles à une grande partie de la population.
Concrètement, quels outils technologiques permettraient de réduire le stress ?
AS: C’est précisément l’objet de la réflexion que nous cherchons à porter. Nous avons défini trois types de comportements face au stress. Selon les individus et le contexte, certains comportements peuvent être favorisés.
Le comportement dit hédonique cherche à réduire le stress par une distraction immédiate. Il s’agit de se faire plaisir momentanément. Les technologies positives hédoniques permettent de répondre au stress de manière très rapide. C’est le cas par exemple des jeux vidéo ou des séries télévisées. Mais les effets de diminution de stress sont en général assez limités dans le temps : ces approches ont un effet momentané et n’apprennent généralement que très peu aux individus à limiter le stress futur.
Le comportement dit social permet de réduire le stress via des interactions sociales. Les effets ont une durée plus importante que les comportements hédoniques car les personnes peuvent partager leurs émotions, s’aider et se conseiller sur des objectifs communs. Cependant les effets restent transitoires. Durant les confinements, les réunions d’amis ou de famille en visioconférence sont des exemples de la façon dont la technologie positive sociale a permis de répondre au stress individuel et collectif.
Le comportement dit eudémoniste est lié à la recherche de sens et de but. Il se base sur un principe de croissance personnelle et d’évolution. C’est le comportement qui permet de mieux répondre au stress dans le temps. Celui-ci est aussi le plus difficile à atteindre, car il se base sur un investissement plus conséquent de temps et d’énergie. C’est ce vers quoi nous aimerions que la technologie positive tende de plus en plus. En facilitant l’accès à des comportements eudémonistes, il serait possible de mieux lutter contre le stress et les problèmes de santé mentale à l’échelle de la société.
Comment fonctionne une technologie positive eudémoniste ?
AS: Les technologies positives eudémonistes peuvent avoir différentes approches. Beaucoup d’applications actuelles concernent par exemple des accompagnements à la méditation, dont les bénéfices sur la santé mentale ne sont plus à démontrer. Les applications liées à un processus d’apprentissage avec de la réalisation personnelle peuvent être considérées comme des technologies eudémonistes. Nous pouvons aussi développer des technologies avec des utilisations hédoniques ou sociales en premier lieu afin de faciliter leur accès, et qui puissent mener dans un second temps à des utilisations eudémonistes. L’application récente Heartintune est un exemple de ce type d’approche.
Quelles sont les perspectives du développement de technologies positives à l’échelle de la société ?
AS: Les technologies positives de différents types existent déjà, mais il s’agirait de promouvoir leur développement et leur utilisation à grande échelle dans des optiques de résilience. Nous pensons donc que la stratégie adéquate serait de favoriser davantage les comportements eudémonistes à travers les technologies.
Ce sujet serait notamment important à souligner durant le sommet mondial de la santé qui a lieu fin octobre 2021 à Berlin, dont un des aspects concerne la manière de comprendre comment les innovations et les technologies peuvent résoudre des problèmes de santé.
Antonin Counillon
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