Pour déployer efficacement des politiques d’économie circulaire sur un territoire, entreprises et décideurs doivent disposer d’outils d’évaluation et de simulation. La conception de ces outils, encore au stade de la recherche, passe nécessairement par une meilleure prise en compte de l’impact des activités humaines, tant à l’échelle locale que planétaire.
« L’économie circulaire permet d’optimiser les ressources à disposition, afin de les préserver et de réduire la pression sur l’environnement », introduit Valérie Laforest1, chercheuse à Mines Saint-Étienne. La conscience de la nécessité de préserver la planète a commencé à se développer véritablement dans les années 1990. Elle s’est accompagnée progressivement de différentes règlementations importantes. Par exemple, la directive IPPC de 1996 (Integrated Pollution Prevention and Control), dont Valérie Laforest a contribué à la mise en œuvre via ses recherches, vise à prévenir et réduire les différents types d’émissions polluantes. Plus récemment, des lois comme la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (2015) et la loi anti gaspillage pour une économie circulaire (2021) ont traduit la volonté croissante de prendre en compte l’environnement dans la réflexion des activités anthropiques. Seulement, afin que les industries puissent s’adapter à ces règlementations, il est fondamental de pouvoir les doter d’outils issus d’une recherche approfondie sur les impacts de leurs activités.
Des outils pour aider la décision des acteurs
Afin de permettre aux acteurs de suivre les règlementations et de réduire leurs impacts sur l’environnement, il est nécessaire de leur fournir des outils adaptés à des problématiques qui sont à la fois planétaires et locales. Une partie de la recherche en économie circulaire concerne donc la construction de ces outils. Il s’agit de concevoir des modèles qui soient suffisamment précis pour pouvoir caractériser et évaluer un système à l’échelle d’un territoire, mais qui soient également suffisamment larges pour être adaptés à des territoires avec d’autres caractéristiques. Des cadres méthodologiques assez généraux peuvent donc être développés, à l’intérieur desquels il est possible de déterminer des critères et des indicateurs spécifiques à certains cas ou secteurs. Ces outils doivent permettre aux décideurs de disposer des informations nécessaires pour implémenter leurs infrastructures.
À Mines Saint-Étienne et en collaboration avec Macéo, une équipe de chercheurs se concentre sur le développement d’un outil appelé ADALIE, qui a pour but de caractériser le potentiel des territoires. Cet outil présente notamment une cartographie de différentes zones géographiques avec différents critères, comme des critères économiques ou environnementaux des territoires, ainsi que des industries déjà implantées et leurs impacts. Les décideurs peuvent donc se baser sur cette cartographie pour choisir leur zone d’activité prioritaire. « La question sous-jacente est de pouvoir assurer qu’un territoire possède les aspects pour mettre en place des stratégies d’économie circulaire, et que cela réussisse », précise Valérie Laforest. L’outil ADALIE visera dans un second temps à archiver les expériences de pratiques territoriales efficaces pour constituer des bases de données.
Pour chaque étude de territoire, les recherches permettent d’obtenir un maximum d’informations de différentes natures. Ces données génèrent des modèles qui peuvent ensuite être testés sur d’autres territoires, ce qui permet aussi de vérifier la robustesse des modèles selon les indicateurs choisis. Les outils de ce type aident la décision des acteurs locaux sur les aspects d’économie industrielle et territoriale. « Cela permet de réfléchir au moyen de développer des stratégies qui rassemblent plusieurs acteurs avec des enjeux et des problématiques différentes sur un territoire », indique Valérie Laforest. Pour cela, il est fondamental de disposer de méthodologies qui permettent de mesurer les différents impacts environnementaux. Deux grandes méthodes existent.
Mesures d’impact en économie circulaire
L’analyse du cycle de vie (ACV) vise à estimer des impacts environnementaux ayant une couverture géographique et temporelle importante, et prenant notamment en compte les problématiques de distance de transport. L’ACV cherche à modéliser l’ensemble des consommations et des émissions potentielles sur toute la durée de vie d’un système. Les modèles sont construits à partir d’une compilation de données issues d’autres systèmes et permettent de comparer différents scénarios afin de déterminer celui qui aurait le moins d’impact.
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L’autre approche est celle des meilleures techniques disponibles (MTD). Cette pratique a été implémentée avec la directive européenne sur les émissions industrielles (IPPC puis IED) dès 1996. Elle vise à aider les entreprises européennes à obtenir des performances équivalentes à des valeurs de référence sur leurs flux de consommations et d’émissions. Ces références sont définies à partir d’échantillons d’entreprises européennes. La comparaison de leur performance avec l’échantillon de référence permet d’aboutir ou non à une autorisation d’exploitation. Les MTD se basent donc sur des référentiels européens et ont une finalité réglementaire.
Les MTD sont relatives à leur performance en phase d’usage, c’est-à-dire que les performances des techniques sont regardées à la loupe des flux entrants et sortants durant la phase d’utilisation. L’ACV, quant à elle, s’appuie sur des données réelles ou modélisées intégrant celles en amont et en aval de cette phase. Les approches MTD et ACV sont donc complémentaires et non exclusives. Par exemple, entre deux MTD applicables à un système afin que celui-ci puisse être aligné avec les règlementations, il serait possible de mener différentes modélisations des systèmes par des ACV afin de déterminer la technique qui a le moins d’impact sur l’ensemble de son cycle de vie.
Les limites planétaires
Au-delà de la quantification des flux générés par les entreprises, les mesures d’impacts doivent également intégrer l’effet de ces flux sur l’environnement à l’échelle de la planète.
Pour ce faire, des recherches et des pratiques sont également orientées vers l’effet des activités par rapport aux différentes limites planétaires. Ces limites traduisent la capacité de la planète à absorber les impacts, au-delà desquelles ils sont considérés comme ayant des effets irréversibles.
Les travaux de Natacha Gondran1 à Mines Saint-Étienne s’inscrivent dans le cadre du développement de méthodes d’évaluation absolue de la durabilité environnementale, basées sur les limites planétaires. « Nous travaillons à partir des limites planétaires, définies dans la littérature, et qui correspondent à des catégories d’impacts qui font l’objet de seuils au niveau planétaire. Si l’Humanité dépasse ces seuils, les conditions de vie sur Terre deviendront moins stables qu’elles ne le sont aujourd’hui. Nous essayons d’implémenter cela dans des outils d’évaluation d’impacts à l’échelle de systèmes tels que les entreprises », explique la chercheuse. Ces impacts, comme les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation des sols, ou l’eutrophisation des eaux ne sont pas directement visibles. Il s’agit donc de les représenter afin de pouvoir identifier les actions à mettre en place afin les réduire.
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Les limites planétaires sont définies au niveau mondial par une communauté de scientifiques. Grâce à des outils de modélisation, elles permettent de définir des budgets écologiques qui correspondent, en quelque sorte, à la quantité maximale de polluants qui peuvent être émis pour ne pas dépasser ces limites planétaires. L’enjeu est ensuite de réfléchir à différentes méthodes qui permettent d’assigner ces budgets, planétaires, au niveau des territoires ou systèmes productifs. Il est ainsi possible d’estimer l’impact d’industries ou de territoires au regard des limites planétaires. « Aujourd’hui, de nombreuses filières dépassent déjà les limites, par exemple l’industrie agroalimentaire associée à l’alimentation carnée. Le défi consiste à trouver des systèmes locaux alternatifs à ces circuits afin de passer en deçà des limites », indique la chercheuse. Il serait par exemple judicieux de rapprocher géographiquement la production issue de l’élevage avec la production maraîchère, les effluents d’élevage pouvant servir d’engrais pour les produits maraîchers. Cela pourrait réduire l’impact global des différentes filières agro-alimentaires sur les cycles de l’azote et du phosphore, les émissions associées au transport, ainsi que d’avoir une meilleure gestion des déchets au niveau des territoires.
Ensemble, ces différents outils fournissent un cadre méthodologique de plus en plus étoffé afin de rendre les activités humaines compatibles avec la préservation des écosystèmes.
1 Valérie Laforest et Natacha Gondran effectuent leurs recherches dans le cadre du laboratoire Environnement, Ville, Société, unité mixte de recherche CNRS rassemblant 7 composantes dont Mines Saint-Étienne.
Antonin Counillon
Cet article fait partie d’une mini-série de 2 épisodes sur l’économie circulaire.
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