S’inspirer de la nature pour créer différents types de technologies a toujours existé, mais depuis les années 1990 cela s’est formalisé dans une démarche plus systématique. Frédéric Boyer, chercheur à IMT Atlantique, explique comment la bio-inspiration peut être une source de nouvelles idées pour le développement de technologies et de concepts, et en particulier pour la robotique
Depuis quand existe la bio-inspiration ?
Frédéric Boyer : Il y a toujours eu des échanges entre la nature et les sciences fondamentales ou de l’ingénieur. Par exemple, Alessandro Volta s’est inspiré des poissons électriques comme les torpilles pour concevoir les premières batteries. Mais c’est une démarche qui est devenue plus systématique et volontaire depuis les années 1990.
Qu’apporte la bio-inspiration dans le développement des nouvelles technologies ?
FB : Le rêve de la robotique a toujours été de fabriquer un robot autonome, capable d’interagir de manière adaptée avec un environnement a priori inconnu, sans mettre en danger son entourage et lui-même. En robotique, nous ne parlons pas vraiment d’intelligence, ce qui nous intéresse c’est l’autonomie, et nous en sommes encore loin.
Il y a un véritable changement de paradigme qui est en cours. Pendant longtemps, l’intelligence était considérée comme la puissance de calcul. À partir des mesures effectuées par les différents capteurs du robot, celui-ci devait reconstruire de manière symbolique son environnement complexe et prendre ses décisions en fonction de cela. Avec cette approche, nous avons construit des machines extrêmement complexes mais avec peu d’autonomie, et peu de capacité à s’adapter aux différents types d’environnements. Grâce, notamment, au mouvement de la bio-inspiration, l’intelligence a aussi été définie en fonction de l’autonomie qu’elle apporte à un système.
Quel est le principe de fonctionnement d’un robot bio-inspiré ?
FB : Les robots bio-inspirés ne sont pas basés sur la perception et la représentation complexe de leur environnement. Ils ont simplement des capteurs et des boucles locales qui leur permettent de se diriger dans différents types d’environnements. Ce type d’intelligence provient de l’observation du corps des animaux : c’est ce que nous appelons l’intelligence incarnée. Cette intelligence, encodée dans le corps et la morphologie des vivants, a été déployée au fur et à mesure de l’évolution : un animal avec un système nerveux très simple peut interagir de manière très efficace avec son environnement. Nous pratiquons quotidiennement l’intelligence incarnée : avec des niveaux très bas de cognition nous résolvons des problèmes complexes liés à l’autonomie de notre corps.
Pour illustrer la différence entre les paradigmes, prenons l’exemple d’un robot qui se déplace par reptation, comme un serpent. Il y a deux approches pour piloter ce type de système. La première consiste à placer dans le robot un supercalculateur qui va envoyer un signal à chacune des vertèbres et des moteurs pour actionner les articulations. La seconde approche consiste à ne pas avoir de calculateur centralisé. La « tête » envoie une impulsion à la première vertèbre qui se propage de proche en proche et se synchronise automatiquement par des phénomènes de rétroaction entre vertèbres, et avec l’environnement, via des capteurs.
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Quelle est la démarche d’une approche bio-inspirée pour développer une nouvelle technologie ?
FB : Il s’agit d’une démarche en trois temps. Il faut d’abord observer attentivement le fonctionnement des êtres vivants et sélectionner un bonne solution candidate à un problème donné. Ensuite, il s’agit d’extraire les phénomènes pertinents dans le fonctionnement du système naturel de départ et de les appréhender avec les lois de la physique et des modèles mathématiques. C’est la phase la plus complexe car il faut effectuer une réelle abstraction. La nature est extrêmement redondante, ce qui lui permet d’être adaptable à des changements d’environnements, mais dans notre cas, seuls certains phénomènes sont à rechercher. Il s’agit donc de trier l’information et de l’ordonner au travers de modèles mathématiques, afin de comprendre la manière dont les animaux résolvent des problèmes. Enfin, ces modèles sont utilisés pour la conception de nouvelles technologies. C’est aussi pour cela que nous parlons plutôt de bio-inspiration et non de bio-mimétisme : il ne s’agit pas de reproduire les systèmes du vivant, mais de s’en inspirer en s’appuyant sur des modèles fonctionnels.
Quels sont des exemples de technologies bio-inspirées ?
FB : Nous travaillons sur le sens électrique inspiré des poissons dits électriques : grâce à leur peau électrosensible, ces animaux arrivent à percevoir leur environnement (objets, distance, congénères…) et à naviguer sur de longues distances grâce à des cartes encore largement incomprises. Nous arrivons à imiter ce sixième sens grâce à des électrodes placées à la surface de nos robots qui enregistrent les « échos » d’un champ émis, et réfléchis par l’environnement.
En dehors de cela, l’un des exemples les plus connus est celui des robots grimpeurs développés par le Massachussetts Institute of Technology (MIT). Ces robots sont inspirés des geckos. Ils peuvent adhérer aux surfaces grâce à une multitude de forces d’adhésion microscopiques, telles que celles générées par les soies qui couvrent les pattes des geckos. La démarche bio-inspirée peut aussi être poussée jusqu’à ces échelles nanométriques !
Sinon, le vol battant et la vision des insectes, ou bien la reptation des serpents sont d’autres exemples de sources d’inspiration pour le développement de technologies robotiques.
Existe-t-il d’autres types d’intelligences inspirées des animaux ?
FB : L’intelligence collective est un bon exemple. En étudiant les fourmis ou les abeilles, il est possible de réaliser des essaims de drones aptes à accomplir des tâches cognitives complexes sans beaucoup d’intelligence embraquée. Pour les animaux qui sont organisés en essaim, chaque unité a très peu d’intelligence, mais l’ensemble de leurs interactions, mutuelles et avec leur environnement, permet de faire émerger une intelligence collective. C’est aussi une source d’étude pour le développement de nouvelles technologies robotiques.
Dans quels domaines s’applique la bio-inspiration ?
FB : Au-delà de la robotique, la bio-inspiration stimule aujourd’hui de nombreux domaines. Que ce soit au niveau des sciences appliquées, comme l’aéronautique et l’architecture, ou bien dans des domaines de recherche fondamentale comme les mathématiques, la physique ou les sciences computationnelles.
Quel est le futur de la bio-inspiration ?
FB : Il va falloir réinventer et produire de nouvelles technologies qui ne sont pas prédatrices pour l’environnement. Il y a une révolution philosophique et un changement de paradigme à effectuer sur les rapports entre l’Homme et le vivant. Il ne faut surtout pas croire que nous pouvons remplacer les êtres vivants par des robots.
La bio-inspiration nous enseigne une forme de sagesse et d’humilité, car il faut se lever de bonne heure avant de construire un drone capable de voler de manière autonome d’un point de vue énergétique et décisionnel comme un insecte. La nature est une source intarissable d’inspiration, mais aussi d’émerveillement.
Par Antonin Counillon
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