Frédéric Thévenet, IMT Lille Douai – Institut Mines-Télécom
Nous passons 80 % de notre temps de vie dans des espaces clos entre notre habitat, notre lieu de travail et les transports. Nous sommes donc très exposés à cet air, souvent plus pollué que l’air extérieur. La problématique de santé dans les environnements intérieurs est donc plutôt associée à une exposition chronique aux polluants, et notamment aux composés organiques volatils (COV). Ces espèces peuvent provoquer des irritations des voies respiratoires ou des maux de tête. Ces symptômes sont regroupés sous le nom de « syndrome du bâtiment malsain ». Parmi les COV, un fait l’objet d’une attention particulière : le formaldéhyde. Ce composé gazeux à pression et température ambiante est très fréquemment présent dans nos environnements intérieurs. Or le formaldéhyde est classé comme composé CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) de catégorie 1B. Il est donc soumis à une valeur guide en air intérieur revue de façon plus restrictive depuis 2018
Les sources des composés organiques volatils
Les COV peuvent être émis dans les espaces intérieurs par des sources directes, ou sources primaires. Les matériaux sont souvent identifiés comme des sources majeures, qu’ils soient associés au bâti (matériaux de construction, bois agglomérés, parquets, dalles de plafond), à l’ameublement (mobiliers constitués de panneaux de particules, mousses), ou à la décoration (peintures, revêtements). Les colles, les résines et les liants contenus dans ces matériaux sont des sources clairement identifiées et bien renseignées.
Pour régler cette problématique, depuis 2012, il existe un étiquetage obligatoire de ces produits : ils sont classés en termes d’émission. Si ces sources primaires associées au bâti sont aujourd’hui bien renseignées, celles liées aux activités et aux choix des habitants en termes de produits de consommation sont plus délicates à caractériser (activités de ménage, cuisine, tabagisme…). Par exemple, quel produit utilise-t-on pour faire le ménage, est-ce qu’on se sert de désodorisants, de parfum d’intérieur, aère-t-on régulièrement son logement ? Des travaux sont en cours, dans notre laboratoire pour mieux caractériser les contributions de ces produits à la pollution intérieure. Nous avons travaillé récemment sur les émissions de produits d’entretien ainsi que sur leur élimination. Dernièrement l’impact des huiles essentielles sur la qualité de l’air intérieur (QAI) a fait l’objet de travaux dans notre laboratoire (à l’IMT Lille Douai) en partenariat avec le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) en coordination avec l’ADEME.
Émission, dépôt et réactivité des huiles essentielles en air intérieur (Shadia Angulo-Milhem, IMT Lille Douai). Author provided
Au-delà des sources primaires des COV, il existe également des sources secondaires qui résultent de la transformation de COV primaires. Généralement ces transformations sont associées à des processus oxydants. Par ces réactions, d’autres types de COV sont également formés, entre autres, du formaldéhyde.
Quelles solutions face aux COV en air intérieur ?
Il y a une vingtaine d’années, on envisageait une approche dite « procédé destructif ». L’idée consistait à faire passer l’air à traiter dans un dispositif de purification afin de détruire les COV. Ces dispositifs peuvent être autonomes, et donc placés directement dans une pièce afin d’en épurer l’air, ou bien intégrés sur une centrale de traitement d’air pour traiter l’air neuf entrant ou l’air recirculé.
La photocatalyse a été largement étudiée pour le traitement des COV en air intérieur, ainsi que les plasmas froids. Ces deux procédés ont en commun de viser l’oxydation des COV, idéalement leur transformation en CO2 et H2O. La photocatalyse est un procédé qui s’appuie sur la capacité d’un matériau, généralement le dioxyde de titane (TiO2), à adsorber et oxyder les COV sous irradiation aux rayons ultra-violets. Le plasma froid est un procédé où, sous l’effet d’un champ électrique intense, des électrons viennent ioniser une fraction de l’air qui circule dans le dispositif, et former des espèces oxydantes.
Les limitations techniques de ces dispositifs résident dans le fait qu’il faut canaliser l’air à traiter, le faire circuler dans un système et surtout alimenter en énergie les dispositifs de traitement. Par ailleurs, en fonction de la conception des dispositifs et de la nature de l’effluent à traiter (nature des COV, concentration, taux d’humidité…) il s’est avéré que certains dispositifs pouvaient conduire à la formation de sous-produits entre autres, du formaldéhyde… Actuellement des normes sont disponibles pour cadrer l’évaluation des performances de ce type de dispositifs, elles évoluent avec les avancées technologiques.
Depuis une dizaine d’années se développent les solutions de remédiation en air intérieur orientées sur l’adsorption des COV, c’est-à-dire leur piégeage. L’idée est d’intégrer dans les environnements intérieurs des matériaux avec des propriétés adsorbantes, afin de capter les COV. On a alors vu apparaître des matériaux de construction, des peintures, des dallages, des textiles intégrant dans leurs compositions des adsorbants et revendiquant ces propriétés.
Parmi ces matériaux adsorbants, on peut distinguer deux approches. Certains piègent les COV, et ne les réémettent pas, c’est un processus définitif, irréversible. Le « piège à COV » peut donc totalement se remplir après un certain temps et devenir inopérant, parce que saturé. Aujourd’hui, il apparaît plus judicieux de développer des matériaux dont les propriétés de piégeage sont « réversibles » : lors d’un pic de pollution, le matériau adsorbe le polluant, et quand la pollution diminue, comme lorsqu’on aère la pièce, par exemple, il le relâche, le polluant étant évacué lors de l’aération.
Ces matériaux sont actuellement en cours de développement par différents acteurs du domaine, académiques comme industriels. Il est intéressant de constater que si les matériaux étaient considérés il y a 20 ans comme des sources de polluants en air intérieur, aujourd’hui on peut les envisager comme des puits de polluants.
Comment tester les fonctions dépolluantes de ces nouveaux matériaux
Il existe encore plusieurs verrous techniques et scientifiques, quelle que soit la stratégie de remédiation adoptée. Le plus grand étant de savoir si on est capable de tester ces nouveaux matériaux à l’échelle 1 :1, tels qu’ils seront utilisés par le consommateur final, c’est-à-dire dans la « vraie vie ».
Il faut donc être capable de tester ces matériaux dans une pièce de taille réelle, et avec des conditions représentatives d’atmosphères intérieures réelles, tout en ayant une parfaite maîtrise des paramètres environnementaux. Cet aspect technique est un des enjeux majeurs en recherche actuellement en QAI puisqu’il détermine la représentativité et donc la validité des résultats que nous obtenons.
Pièce expérimentale IRINA (Innovative Room for Indoor Air studies, IMT Lille Douai). Author provided
Justement, dans notre laboratoire, nous avons développé il y a quelques années une enceinte de grand volume. Avec ses 40 m3, c’est une véritable pièce, dans laquelle on peut entrer, elle s’appelle IRINA (Innotive Room For Indoor Air Studies). Elle fut, il y a 7 ans, la première pièce expérimentale à échelle 1 :1 complètement contrôlée et instrumentée en France. Depuis son développement et sa validation, elle a accueilli de nombreux projets de recherche et nous la faisons évoluer et progresser techniquement chaque année. Elle permet de recréer la composition de l’air intérieur d’une maison à ossature bois, d’un appartement au-dessus du périphérique parisien, d’un bloc d’opération, et même d’une cabine d’avion moyen courrier !
Grâce à elle, il est donc possible d’étudier la qualité de l’air intérieur et les dispositifs de traitement dans des conditions réelles.
Connectés à cette pièce, nous disposons d’une multitude d’instruments de mesure, par exemple pour mesurer les COV en général, ou pour suivre la concentration d’un en particulier, comme le formaldéhyde.
Frédéric Thévenet, Professeur (physico-chimie hétérogène/atmosphère/qualité de l’air intérieur), IMT Lille Douai – Institut Mines-Télécom
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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