Lamiae Benhayoun, Institut Mines-Télécom Business School et Daniel Lang, Institut Mines-Télécom Business School
L’évolution des technologies et l’usage grandissant d’objets connectés génèrent une quantité énorme de données que les entreprises s’acharnent à rendre intelligibles grâce à l’intelligence artificielle (IA). L’IA regroupe l’ensemble des théories et techniques mises en œuvre pour réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine. Son usage devient critique pour s’aligner avec les changements imprévisibles des comportements des clients et l’émergence de crises économiques et sanitaires entre autres.Si l’IA n’est pas une technologie nouvelle, son essor récent induit des changements profonds dans les catégories classiques des métiers, et fait émerger le besoin pour de nouvelles compétences en support à la collecte, la fouille, la gestion de la qualité des données et leur exploitation, que le marché de travail peine à combler. Une enquête mondiale réalisée par IBM a en outre conclu en 2019 que d’ici 2022, environ 120 millions d’emplois doivent s’adapter à l’IA, dont 2 millions en France.
Dès lors, il est judicieux de s’interroger sur l’alignement des formations d’ingénieur et de manager en France avec ces besoins contemporains du marché d’emploi en IA.
Dans le cadre d’une étude à paraître dans la revue Employee Relations, nous nous sommes penchés sur le contenu de formation en IA. Suivant une démarche de text mining, les offres d’emploi en IA postées en 2020 sur Indeed.fr ont été analysées pour établir un panorama des compétences techniques, soft et interdisciplinaires exigées. Aussi, les contenus de formation en IA des 20 premières écoles d’ingénieurs et 20 premières écoles de commerce en France (selon les classements du Figaro 2020) ont été scrutés pour identifier les gaps entre les marchés académique et professionnel.
Une pluralité de compétences techniques
Au regard des compétences techniques, l’on remarque un équilibre entre l’offre et la demande en termes de langages de programmation, les plus demandés et enseignés étant Python, puis Java et C++.
Les formations académiques correspondent également aux besoins professionnels en Data Science incluant les techniques de machine learning et deep learning, et la chaine BI comme le Dashboarding, data Visualisation, et la modélisation des Datamarts/Datawarehouses.
Par ailleurs, les offres d’emploi soulignent la nécessité de maîtriser des technologies autres que l’IA comme l’IoT (Internet of Things) ou le cloud compte tenu de la nature interconnectée des technologies digitales, et de posséder des compétences techniques parallèles à l’IA notamment le prototypage, la modélisation, l’optimisation, l’économétrie, mais surtout les bases de données. Généralement, les écoles proposent des cursus en IA qui tiennent compte des liens entre ces technologies et techniques, et communiquent sur cet atout de leurs formations via leurs brochures.
Établir des partenariats
Enfin, plusieurs offres d’emploi requièrent la maîtrise d’outils spécifiques comme Github, Microsoft BI, ou Squash, et la possession de certifications méthodologiques (ITIL, Design Thinking, Devops) ou mathématiques (data mining, design algorithmique).
Ces outils et certifications constituent un écart dans les formations académiques. Concernant les outils, leur diversité implique que les écoles doivent faire des choix pour en intégrer certains dans leurs formations, ce qui explique l’absence de consensus en termes d’outils enseignés. Quant aux certifications, les rares écoles (10 %) qui y prêtent attention proposent seulement des contenus de cours pour préparer leurs étudiants à passer la certification par leurs propres moyens. Les institutions pourraient ainsi établir des partenariats avec les organismes porteurs des outils les plus demandés et autres certificateurs pour remplir ces besoins du marché de travail.
Une sensibilisation aux enjeux éthiques et sectoriels
En outre, la majorité des offres d’emploi requiert une pluralité de « soft skills » (compétences « douces »). Les plus citées sont relatives au mode opératoire notamment l’esprit d’équipe, l’autonomie, la curiosité et la résolution de problèmes. Du côté des offres de formation, les écoles communiquent explicitement surtout sur la compétence de travail en équipe. Cependant, les cursus académiques incluent plusieurs activités qui favorisent implicitement l’autonomie, la curiosité et la créativité des apprenants entre autres.
Le marché de l’IA requiert aussi l’aptitude de travailler dans un contexte international. Cette aptitude peut être favorisée par l’établissement de partenariats internationaux pour des échanges académiques, qui existent dans la moitié des cursus académiques centrés sur l’IA. L’orientation internationale du marché de l’IA est même visible à travers les compétences linguistiques requises dans les offres d’emploi où l’anglais est omniprésent, et est mis en évidence dans l’ensemble des brochures de formation en IA.
Par ailleurs, notre analyse a souligné la nécessité de posséder plusieurs compétences interdisciplinaires au regard de l’IA. Il s’agit de connaître les particularités de certains secteurs surtout l’énergie, la musique, le médical et le militaire. Cette interdisciplinarité sectorielle n’est pas visible dans les brochures de formations académiques. Les écoles doivent réfléchir à des modalités pédagogiques pour permettre aux étudiants de cerner cette propriété de l’IA à travers des cas d’usage s’apparentant à plusieurs secteurs, établis en collaboration avec des entreprises. L’apprenant développera par la même occasion un sens de l’écoute, et des aptitudes de responsabilité et de réactivité.
La seconde compétence interdisciplinaire concerne les sciences humaines et sociales, particulièrement les dimensions éthiques et réglementaires, la gestion de projet, le design thinking, la conduite du changement et le lean management.
Si ces compétences sont clairement mises en avant dans les brochures des écoles de management, elles sont moins présentes dans les cursus ingénieurs. Les écoles doivent ainsi veiller à ce que les étudiants développent des aptitudes managériales pour mieux appréhender les technologies émergentes et accompagner de façon responsable leur mise en œuvre dans les organisations.
Enfin, plusieurs offres d’emploi requièrent des compétences en recherche en l’occurrence la rédaction d’articles et de synthèses techniques pour la valorisation scientifique. Seulement deux brochures académiques soulignent explicitement un contenu pédagogique propre à la recherche. Les écoles pourraient donc envisager d’intégrer dans leurs cursus des modalités relatives aux méthodologies de recherche mais aussi établir des partenariats avec des entreprises et des laboratoires pour mettre en œuvre un apprentissage par la pratique des étudiants autour de thématiques avec des retombées scientifiques et pragmatiques.
Ces recommandations d’ajustement des cursus académiques permettent ainsi aux écoles de mieux aligner les contenus de formation initiale avec les exigences du marché de l’emploi et de favoriser l’insertion de leurs diplômés.
Lamiae Benhayoun, Professeure Associée, Institut Mines-Télécom Business School et Daniel Lang, Enseignant-Chercheur en Systèmes d’Information, Institut Mines-Télécom Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.