Le déploiement industriel de la production d’hydrogène n’a de sens que si celui-ci n’émet que peu ou pas de dioxyde de carbone. Les chercheurs des écoles de l’IMT travaillent notamment sur différentes alternatives à l’utilisation des énergies fossiles, comme l’électrolyse et la photocatalyse de l’eau, la pyrolyse du méthane par plasma ou encore la pyrolyse et gazéification de biomasse.
Produire une tonne d’hydrogène aujourd’hui, c’est émettre 12 tonnes de CO2. En effet, 95 % de l’hydrogène mondial sont produits à partir de ressources fossiles. On parle d’hydrogène gris. Une situation incompatible avec le déploiement à long terme de la filière hydrogène. D’autant que, même si le CO2 émis par les procédés actuels peut être capté en milieu contrôlé, les ressources fossiles ne pourront de toute façon pas répondre aux ambitions gouvernementales sur cette énergie. Développer d’autres modes de production « d’hydrogène décarboné » est donc essentiel. Dans le cadre du réseau Carnot H2Mines, les chercheurs des différentes écoles de l’IMT travaillent sur des procédés qui pourraient faire tourner au vert la palette de couleurs de l’hydrogène actuel.
Du bleu pour se mettre au vert
En ligne de mire du plan gouvernemental français publié en septembre dernier : l’électrolyse de l’eau. Elle consiste à séparer une molécule d’H2O en hydrogène et en oxygène grâce à un apport d’électricité. Une solution décarbonée, à condition que l’électricité provienne d’une source renouvelable. Mais pourquoi transformer une énergie déjà propre en gaz ? « L’hydrogène permet le stockage d’importantes quantités d’énergie sur le long terme, ce que ne permettent pas de faire les batteries à grande échelle pour alimenter tout un réseau », explique Christian Beauger, chercheur en sciences des matériaux à Mines ParisTech. Le gaz répond donc en partie à la problématique d’intermittence des énergies renouvelables.
Dans ce cadre, les chercheurs veulent améliorer la performance des électrolyseurs afin de les rendre plus compétitifs sur le marché. À savoir : trouver le meilleur équilibre possible entre rendements, durée de vie et coûts réduits. Les électrolyseurs, sont constitués de plusieurs cellules électrochimiques contenant deux électrodes et un électrolyte, comme dans le cas de piles à combustible. Il en existe trois grandes familles : les alcalins dont l’électrolyte est liquide, les technologies à membrane polymère (PEM) et les systèmes à haute température à base d’oxyde solide céramique (SOC). Chacune présentant des problématiques qui lui sont propres.
À Mines ParisTech, l’équipe de Christian Beauger cherche à augmenter la durée de vie des électrolyseurs PEM en se concentrant sur les matériaux utilisés au niveau de l’anode. « Nous développons de nouveaux supports de catalyseurs sous forme d’aérogels d’oxydes métalliques qui doivent être conducteurs électroniques et capables de résister à la corrosion en milieu humide, à une température de 80°C et soumis à des potentiels souvent supérieurs à 2 volts», rapporte le chercheur. Une autre problématique de taille touche également les matériaux : le coût d’un électrolyseur. En effet, le catalyseur présent sur les électrodes des PEM est l’oxyde d’iridium. Un composé trop cher pour favoriser le déploiement massif de futurs électrolyseurs à forte puissance. C’est pourquoi les chercheurs travaillent sur des catalyseurs à base de nanoparticules d’oxyde d’iridium. Ils réduisent ainsi la quantité de matière et donc le coût potentiel du système.
Lumière sur la photocatalyse
À l’échelle du laboratoire, une alternative utilisant l’énergie solaire pour casser les molécules d’eau en hydrogène et oxygène est également envisagée. C’est la photocatalyse. Les semi-conducteurs utilisés peuvent être immergés dans de l’eau sous forme de poudre. Sous l’effet des rayons solaires, les paires électrons-trous créées fournissent l’énergie nécessaire à la dissociation des molécules d’eau. Mais attention : les niveaux d’énergie de ces porteurs de charge doivent être très précisément contrôlés pour être utiles.
« Nous formons des défauts au sein des matériaux qui viennent introduire des niveaux d’énergie dont la position doit être compatible avec l’énergie nécessaire au procédé », explique Christian Beauger. Un travail d’ultra-précision délicat à réaliser, et qui conditionne l’efficacité de la photocatalyse. La route est encore longue pour les photocatalyseurs dont le rendement dépasse difficilement 1 % pour les plus stables. Mais il ne faut pas enterrer ce mode de production d’hydrogène trop vite, car il est moins cher et plus facile à mettre en place qu’un système combinant une source d’énergie renouvelable et un électrolyseur.
De l’hydrogène turquoise par pyrolyse du méthane
À Mines ParisTech, l’équipe de Laurent Fulcheri, spécialiste des procédés plasma, travaille sur la production d’hydrogène non plus à partir de l’eau, mais à partir de la pyrolyse du méthane. Une technique encore peu connue en France, bien que largement explorée par nos voisins allemands, russes. « Ce procédé nécessite de l’électricité comme pour l’électrolyse de l’eau, mais son principal intérêt est qu’il en nécessite environ sept fois moins que celle-ci. Il permet donc de produire plus d’hydrogène à partir de la même quantité d’électricité », révèle le chercheur.
En pratique, les chercheurs craquent des molécules de méthane, formule : CH4 à haute température. « Pour cela, nous utilisons un gaz à l’état plasma pour fournir de l’énergie thermique au système. C’est la seule alternative pour apporter de l’énergie à une température supérieure à 1 500°C sans émission de CO2 et à une échelle industrielle », précise Laurent Fulcheri. La réaction génère ainsi deux produits valorisables : l’hydrogène (25 % en masse) et le noir de carbone solide (75 % en masse). Ce dernier, à ne pas confondre avec le CO2, est notamment utilisé dans la gomme des pneus, les piles, les batteries, des câbles ou encore des pigments. Le carbone est ainsi stocké dans les matériaux et peut théoriquement être recyclé à l’infini. « La production d’une tonne de noirs de carbone par cette méthode permet d’éviter l’émission de 3 tonnes de CO2 comparé aux méthodes actuelles », ajoute le chercheur.
Ce procédé a déjà fait ses preuves de l’autre côté de l’Atlantique. Depuis 2012, les chercheurs de Mines ParisTech collaborent avec la start-up américaine Monolith Materials qui a développé une technologie directement inspirée de leurs travaux. Sa localisation dans le Nebraska n’est pas anodine, car elle lui apporte un accès direct à l’énergie éolienne au cœur de la « corn belt », espace agricole majeur des États-Unis. L’hydrogène produit est ainsi transformé en ammoniac pour fertiliser les exploitations de maïs environnantes.
Si la machine tourne, le travail de l’équipe de Laurent Fulcheri, acteur majeur de la R&D de la start-up, est pourtant loin d’être fini. « La production d’hydrogène est la tâche la plus simple, car les procédés de purification du gaz sont assez matures. Par contre, le noir de carbone produit peut avoir des valeurs sur le marché drastiquement différentes selon sa nano-structure. L’objectif est donc désormais d’optimiser notre procédé afin de pouvoir générer toutes les qualités de noirs de carbone qui répondent à la demande des industries consommatrices », présente le chercheur. En effet, l’avenir de cette technologie repose dans les capacités de valorisation des deux coproduits sur le court terme.
Transformation de la biomasse : une alternative locale
Du côté d’IMT Mines Albi, l’équipe de Javier Escudero travaille sur des procédés thermochimiques de transformation de la biomasse par pyrolyse et gazéification. Des déchets organiques sont chauffés à des températures élevées dans un réacteur et convertis en petites molécules de gaz de synthèse. L’hydrogène, le monoxyde de carbone, le méthane et le CO2 ainsi produits sont captés pour ensuite être recombinés ou séparés. Par exemple, le CO2 et l’hydrogène peuvent servir à la formation de méthane de synthèse utilisable dans les réseaux de gaz naturel.
Toutefois, un verrou scientifique doit encore être levé : « le gaz de synthèse produit est toujours accompagné de molécules inorganiques et de grandes molécules organiques appelées goudrons. Bien que leur concentration soit faible, elle impose tout de même une étape d’épuration supplémentaire du gaz », explique Javier Escudero. En résulte une augmentation des coûts de traitement qui rend l’implémentation de cette solution plus difficile à petite échelle. Le chercheur travaille donc sur plusieurs solutions. Par exemple, l’exploration de différents matériaux catalyseurs qui permettraient d’accélérer certaines réactions de séparation des molécules des déchets, tout en éliminant les goudrons.
Cette approche pourrait être envisagée comme une forme de valorisation énergétique locale des déchets. En effet, ces technologies permettraient un maillage du territoire à petite et moyenne échelle avec des tailles de réacteurs adaptées à celles des centres de collecte de déchets verts, de résidus agricoles non valorisés, etc. Mais ceci tient également à un besoin de clarification des réglementations encadrant ce type d’installations. « Pour le moment, la loi n’est pas claire sur les contraintes environnementales imposées à de telles structures, ce qui ralentit leur développement et rebute certains industriels à vraiment investir dans cette méthode », précise le chercheur.
Les solutions ne manquent par pour la production d’hydrogène décarboné. Néanmoins, la réalité économique veut que pour être réellement compétitifs, ces procédés devront produire un hydrogène moins cher que celui issu des énergies fossiles.
Par Anaïs Culot
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