Depuis 2018, Marie Bossard, spécialisée dans la psychologie sociale de la santé, étudie dans sa thèse le sentiment de préparation des personnels hospitaliers aux situations sanitaires exceptionnelles. Elle explore les facteurs pouvant influencer ce sentiment pour mieux comprendre les dynamiques de préparation dans les systèmes de soins.
La crise du Covid-19 le met en lumière : notre système de soins doit parfois faire face à des situations sanitaires exceptionnelles. Le personnel hospitalier est formé pour réagir à ces situations hors du commun, mais la littérature scientifique s’est rarement intéressée à la manière dont les premiers concernés perçoivent leur préparation. Alors comment les soignants, médecins, administratifs ou encore chefs de centres médicaux se sentent, face à l’arrivée d’une situation si particulière ? C’est l’objet de la thèse de Marie Bossard, doctorante à IMT Mines Alès et à l’université de Nîmes.
Lorsqu’elle débute ses travaux en 2018, la crise Covid-19 les pandémies ne sont pas encore au cœur des préoccupations. Les situations sanitaires exceptionnelles concernent tout ce qui dépasse le fonctionnement habituel des services de soins. « À l’origine, nous avions plutôt en tête un service d’urgence débordé suite à un attentat… », illustre Gilles Dusserre, chercheur en sciences des risques à IMT Mines Alès, et co-encadrant de Marie Bossard avec Karine Weiss de l’université de Nîmes. Mais quel que soit le motif, cette recherche se place dans une réflexion globale sur les problématiques actuelles de la médecine d’urgence. C’est ce que les chercheurs veulent mieux comprendre pour apporter des réponses opérationnelles aux utilisateurs spéciaux ou personnels hospitaliers.
Le sentiment « d’être prêt »
« L’idée est de partir de l’individu et d’étudier comment chacun perçoit sa préparation, pour ensuite développer ces réflexions à l’échelle collective », explique Marie Bossard. L’objectif est de mesurer le sentiment « d’être prêt », et d’identifier les facteurs qui l’influencent, mais aussi d’appliquer des modèles psychosociaux à la préparation des personnels hospitaliers. Au travers d’entretiens avec des médecins, paramédicaux, cadres de santé ou encore employés administratifs dans plusieurs CHU de France, la doctorante explore les représentations sociales des personnels hospitaliers.
« Nous pouvons différencier le sentiment d’être prêt, de la perception de notre préparation, puis de la préparation déclarée », rapporte Marie Bossard. « Si pour les personnels hospitaliers les situations sanitaires exceptionnelles ne sont liées qu’à un attentat par exemple, ils risquent de ne jamais se préparer à un incendie », illustre-t-elle.
Et, bien que la préparation reçue influence le sentiment d’être prêt, elle insiste que « beaucoup d’autres aspects sont à prendre en compte. Le sentiment d’auto-efficacité notamment est important ». Ce concept psycho-social représente en quelque sorte le pouvoir d’action, la perception individuelle d’avoir les compétences suffisantes pour gérer une situation et de savoir les appliquer. La perception de la préparation, qu’elle soit positive ou négative, impacte également le sentiment d’être prêt. Et le rôle du collectif est indéniable. « Une réponse courante est qu’individuellement la personne ne se sent pas prête, mais a cependant confiance dans le collectif », ajoute-t-elle. « Il y a une certaine résignation », souligne son co-directeur de thèse. « Les systèmes hospitaliers traversent d’ores et déjà une situation difficile et s’en sortent, alors collectivement ils se sentent capables d’affronter une difficulté supplémentaire. »
L’intérêt dans un second temps est de proposer des hypothèses sur la structure et le contenu de ces représentations sociales. Par exemple, les cadres et les paramédicaux n’ont pas le même type de réponses spontanées lorsqu’on leur demande des mots ou expressions en lien avec les situations sanitaires exceptionnelles. Les premiers parlent en général de la pratique de préparation (logistique, afflux), les seconds plutôt d’exemples quotidiens ou d’émotion (danger, grave, catastrophe).
Le contexte de la crise Covid
Une situation sanitaire exceptionnelle n’étant pas prévisible, il semblait impossible de réaliser une étude de terrain… Cela dit, la pandémie amorcée par le nouveau coronavirus début 2020 a fourni un terrain d’étude caractéristique aux chercheurs. Marie Bossard et ses co-directeurs ont donc réorganisé leur méthodologie et deux nouvelles études ont été préparées. La première avant l’arrivée du virus en France, étudiant le sentiment de préparation de plus de 400 participants sur des variables personnelles et collectives. La seconde après le premier pic de l’épidémie et avant une deuxième vague, encore incertaine à l’époque. Les questionnaires de l’étude réalisée auprès de 534 participants donnent une comparaison entre le sentiment de préparation post et pré-Covid-19.
L’étude post-Covid a confirmé que le sentiment « d’être prêt » dépend de variables psycho-sociales et non pas uniquement de la préparation. L’âge et les années d’expérience professionnelle influencent ce sentiment, tout comme la profession et une expérience antérieure de la gestion d’une situation sanitaire exceptionnelle. Celles-ci sont des variables individuelles, mais le rôle du collectif est aussi assuré. « Plus les autres sont prêts et préparés, plus la perception de la préparation personnelle est élevée », indique Marie Bossard. « De la même manière, percevoir l’hôpital comme prêt, disposant de ressources humaines et matérielles suffisantes, a une grande influence. » La doctorante étudie actuellement les résultats de la dernière étude réalisée courant septembre.
Cette situation, bien que difficile, offre alors « du contexte aux réponses données lors des premiers entretiens », souligne la thésarde. Par exemple, cela confirme que tout le personnel hospitalier est concerné, et non pas seulement ceux supposés en première ligne. En effet, la mobilisation impacte tous les services de l’hôpital. Elle confie que « la crise sanitaire du Covid-19 a donné un nouveau regard sur le sujet de cette thèse, qui se retrouve d’actualité et montre concrètement le besoin d’une meilleure compréhension dans ce domaine ». Cela est également l’occasion d’explorer l’effet de cette situation sanitaire exceptionnelle sur le sentiment de préparation des premiers concernés et les facteurs qui influencent ce sentiment avec une application concrète du sujet.
« Nous n’avons pas trouvé d’études antérieures s’étant intéressées à ce sujet avec le même angle d’approche, précise Marie Bossard. Tout est à faire. L’objectif est de rester le plus ouvert possible pour trouver des premiers indicateurs, pour creuser ensuite plus en détail sur des choses plus ciblées », conclut-elle. Cela pourrait alors donner lieu à de nouvelles études, par exemple pour comprendre pourquoi le sentiment d’auto-efficacité joue autant un rôle sur le sentiment de préparation.
Tiphaine Claveau