Recyclage des plastiques bromés : des pistes innovantes

Valoriser les matières plastiques non traitées et les remettre dans un circuit de recyclage via une chaîne de dépollution : c’est l’enjeu des travaux de thèse de Layla Gripon, doctorante à IMT Lille Douai. Ces méthodes d’extraction s’inscrivent ainsi dans une démarche globale de valorisation des matières plastiques, et en particulier des plastiques bromés.

 

Une grande consommation d’appareils électroniques implique une importante quantité de déchets à traiter. Si l’on considère souvent les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) comme des mines d’or, d’argent et de terres rares, 18 % de ces gisements sont des matières plastiques.  Soit 143 000 tonnes en France en 2018 selon le rapport de l’Ademe (Agence de la transition écologique) publié en 2019. Mais toutes ces matières plastiques ne sont pas identiques. Certaines contiennent des atomes de brome, un composé chimique largement utilisé par l’industrie dans les retardateurs de flammes. Ces derniers répondent à des exigences de réduction des risques d’inflammabilité d’appareils pouvant chauffer pendant leur utilisation, comme les ordinateurs ou les téléviseurs. Le hic ? Plusieurs de ces substances sont des polluants organiques persistants (appelés POP). Autrement dit, des molécules pouvant parcourir de grandes distances sans être transformées, et qui sont toxiques pour l’environnement et la santé.

La quantité de ces molécules introduites dans les appareils est donc réglementée au moment de la conception, mais aussi lors de la phase de traitement en fin de vie. En 2019, l’Union européenne a fixé à 2 grammes par kilo le seuil à partir duquel un déchet contenant du brome ne peut plus être recyclé. Au-delà de cette limite, il est détruit par incinération ou utilisé comme combustible. Ne serait-il pas pour autant recyclable, moyennant le bon traitement ? Dans le cadre de sa thèse co-encadrée par des chercheurs d’IMT Lille Douai et de l’Institut supérieur de plasturgie en Alternance d’Alençon (ISPA), Layla Gripon s’est attaquée à l’identification d’une méthode de séparation des retardateurs de flamme bromés des plastiques. « Nous cherchons à maximiser le recyclage en limitant la perte de matière non valorisable, tout en répondant aux exigences des réglementations », présente la doctorante.

Trouver l’équilibre entre efficacité d’extraction et respect de l’environnement

Environ 13 % des plastiques des DEEE sont au-dessus du seuil légal imposé pour les retardateurs de flammes bromés, soit environ 17 500 tonnes en France. Les échantillons testés en laboratoire atteignaient une concentration de brome jusqu’à 4 fois supérieure au seuil légal. Pour les traiter, Layla Gripon a testé plusieurs méthodes ne dégradant pas la matière plastique d’origine. La première est très efficace avec 80 % du brome retiré. Il s’agit d’une extraction à l’aide d’éther diéthylique, un solvant organique. Mais la solution, utilisant beaucoup de solvant, est peu écologique. Autre technique à base de solvants : la dissolution-précipitation. Elle consiste à dissoudre du plastique dans le solvant qui retient les retardateurs de flamme. « Afin de limiter l’impact environnemental de ce procédé, nous avons sous-traité un essai avec un laboratoire de l’institut allemand Fraunhofer. Leur procédé breveté (CreaSolv) leur permet de réutiliser les solvants. Au final, le brome n’était plus détecté après traitement et l’impact environnemental était réduit », précise-t-elle.

Par ailleurs, une méthode plus écologique, mais pour le moment moins efficace utilise du CO2 supercritique, un solvant vert non toxique et non inflammable. Ce procédé est par exemple déjà utilisé dans l’agroalimentaire pour retirer la caféine du café. À l’état supercritique, le dioxyde de carbone se trouve à l’intermédiaire entre les états liquide et gazeux. Pour y parvenir, le gaz est chauffé et mis sous pression. En pratique, le système en boucle fermée utilisé par Layla Gripon est simple. Des broyats de plastique sont placés au sein d’un autoclave dans lequel circule en continu le fluide supercritique. À la sortie, le gaz récupéré a emporté avec lui différents additifs dont une partie des retardateurs de flammes.

Afin d’améliorer le rendement de la deuxième méthode, Layla Gripon a envisagé l’utilisation d’un solvant en petite quantité. « Les tests avec l’éthanol améliorent le rendement avec un taux de 44 % du brome retiré, mais ce n’est pas encore assez », ajoute la doctorante. D’autres solvants pourraient être envisagés à l’avenir. « La méthode au CO2 supercritique fonctionne en revanche très bien sur le retardateur de flamme bromé le plus utilisé par l’industrie actuellement (tétrabromobisphenol A – TBBPA) », remarque Layla Gripon. Les plus difficiles à traiter sont, au contraire, les plastiques bromés interdits depuis plusieurs années. En effet, bien qu’ils ne soient plus présents sur les marchés, ils s’amassent encore dans les déchets.

Une démarche de valorisation à grande échelle des plastiques recyclés

Ces traitements prometteurs doivent encore évoluer pour répondre pleinement aux besoins de la filière recyclage. « Si ces deux procédés sont retenus pour une application au-delà du laboratoire, il faudra minimiser leur impact environnemental », ajoute la doctorante. De telles méthodes pourraient alors s’intégrer en tant que phase de prétraitement avant le recyclage mécanique des matières plastiques des DEEE.

En parallèle, les retombées de ces recherches, amorcées dans le cadre de la chaire Ecocirnov1, retentissent aussi auprès des industriels. « Ils se sont greffés à ce projet, car les législations évoluent vite et ils ont besoin de prendre en compte les besoins des valorisations matières pour leurs produits », précise Éric Lafranche, chercheur spécialiste des matières plastiques à IMT Lille Douai et directeur de la thèse de Layla Gripon. L’objectif de maximisation du recyclage se mêle à l’ambition de créer de nouveaux produits adaptés aux propriétés des matériaux recyclés.

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« Le recyclage d’aujourd’hui diffère d’il y a dix ans. Avant, on voulait récupérer la matière, la réutiliser avec des propriétés similaires pour une application identique à sa première utilisation. Or, le produit recyclé perd des propriétés. Il faut lui trouver de nouvelles applications afin de le valoriser à sa juste valeur », décrit Éric Lafranche. Par exemple, le groupe industriel français Legrand, spécialisé dans les systèmes d’installations électriques et les réseaux d’information, cherche à utiliser les matières plastiques recyclées dans ses produits de protection électrique. En collaboration avec les chercheurs d’IMT Lille Douai, l’industriel a mis en place un système d’injections multicouches à base de matières de récupération et de matières premières plus nobles en surface. De quoi offrir de nouvelles perspectives applicatives aux plastiques recyclés, à condition d’optimiser leur traitement en fin de vie.

 

Par Anaïs Culot.

1 Chaire consacrée à l’économie circulaire et au recyclage créée en 2015, rassemblant IMT Lille Douai, l’Institut de supérieure de plasturgie d’Alençon et Armines.

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