Masques de protection : vers une réutilisation généralisée ?

Comment recycler et réutiliser des masques de protection sans risque ? Scientifiques, praticiens et industriels se sont associés pour explorer différentes méthodes de traitement. Au sein de ce consortium, les chercheurs d’IMT Atlantique étudient l’impact des procédés de décontamination sur la performance des masques.

 

Les masques chirurgicaux et FFP2 sont à usage unique. Jetés après seulement quelques heures d’utilisation, ils visent à protéger le porteur de l’inhalation d’agents infectieux transmissibles par voie aérienne. La question de leur recyclage ne s’était jusque-là jamais posée, mais la forte demande pour protéger le personnel soignant et la population change la donne. Pour pallier leur pénurie actuelle, un consortium interdisciplinaire regroupant près de 25 laboratoires et industriels dans toute la France s’est mis en place début mars à l’initiative du professeur Philippe Cinquin du CHU de Grenoble, du CNRS et du CEA. Son objectif est de trouver un processus de traitement des masques permettant leur réutilisation.

Actuellement, différentes voies de décontamination reconnues pour leur action aussi bien virucide que bactéricide sont à l’étude : entre autres, l’irradiation par rayons gamma ou béta ; la décontamination thermique sous vapeur à 121 °C ; un traitement à l’oxyde d’éthylène ; ou encore des méthodes de chauffage sec ou humide à 70 °C et plus. Ces méthodes doivent parvenir à diminuer la charge microbienne d’un masque de protection d’une part, sans qu’il perde de son efficacité de filtration et de sa respirabilité d’autre part.

À IMT Atlantique, membre du consortium de recherche, Laurence Le Coq et ses collègues Aurélie Joubert et Yves Andrès travaillent essentiellement sur ce deuxième versant du projet. Les chercheurs s’appuient notamment sur leurs travaux de filtration appliquée au traitement de l’air — pour des applications de rejet industriel par exemple, ou de traitement de l’air intérieur dans des réseaux de ventilation. L’équipe a pu rapidement réorienter et adapter son expertise pour le recyclage de masques usagés. « La contribution et l’implication des chercheurs et des personnels techniques, sollicités dans l’urgence pour développer des solutions techniques et établir les conditions d’expérimentation, ont été déterminantes » souligne Laurence Le Coq.

Aussi, dès la mi-mars, les scientifiques ont mis en place un premier banc de test permettant de s’approcher des conditions des normes s’appliquant aux masques, type Afnor, afin de tester leurs performances après décontamination. « Si les masques sont normalement destinés à un usage unique, c’est aussi parce qu’ils subissent en amont un traitement qui leur donne une certaine efficacité et qui leur confère leur tenue mécanique et leur mise en forme spécifique. Lorsqu’on les décontamine, il se peut qu’on enlève une partie de ce prétraitement, suivant le type et les conditions de décontamination. De plus, en fonction de la manière dont il a été mis, porté, enlevé, un masque peut avoir été malmené et sa structure altérée » problématise la chercheuse.

Des résultats préliminaires

Alors, comment combiner une bonne décontamination et un niveau de protection suffisant ? « Nous comparons le maintien des performances entre des masques neufs traités et des masques usagés traités. Plus précisément, nous mesurons les changements induits par les traitements de décontamination, notamment leur niveau de respirabilité et leur efficacité de filtration pour des particules dont le diamètre varie de 0,3 à 3 µm, le virus étant véhiculé dans des microgouttelettes » précise Laurence Le Coq.

Après avoir éliminé certaines pistes, les scientifiques ont ainsi pu déterminer des conditions de traitement favorables pour décontaminer sans trop dégrader les qualités intrinsèques des masques. « Les traitements en chaleur sèche, par exemple, sont prometteurs mais on ne peut pas encore s’avancer pour le moment. Par irradiation ou après un lavage à 95°, certains résultats sont aussi encourageants mais seulement pour les masques chirurgicaux. Pour l’instant, nos résultats ne nous permettent pas de converger vers un seul traitement, un seul protocole. Et surtout, il y a une grande différence entre ce que l’on fait dans de bonnes conditions en laboratoire et ce que l’on pourrait faire sur de plus grandes quantités en milieu hospitalier, ou encore chez soi » souligne Laurence Le Coq.

Les chercheurs tentent actuellement de préciser et de confirmer ces résultats préliminaires. Leur objectif est désormais d’établir rapidement des conditions de traitement qui soient valables pour l’ensemble des masques chirurgicaux et FFP2 et ce, quel que soit leur fabricant.

Généraliser le recyclage des masques ?

La plupart des masques "grand public" fournis dans le cadre du déconfinement sont réutilisables après un lavage à 60 °C pendant 30 minutes. Ce n'est pas encore le cas des masques professionnels.
La plupart des masques « grand public » fournis dans le cadre du déconfinement sont réutilisables après un lavage à 60 °C pendant 30 minutes. Ce n’est pas encore le cas des masques professionnels.

Les mesures de déconfinement s’accompagnent d’une sensibilisation de la population au port du masque. Dans les départements rouges, les masques « grand public » sont notamment obligatoires dans les transports en commun et les lycées. Ces masques, en tissu textile, sont moins efficaces que les masques de protection professionnels, mais facilement réutilisables et lavables au moins cinq fois. « Ce que l’on pourra perdre en efficacité, on le gagnera par la généralisation du port du masque et sa facilité d’utilisation » souligne Laurence Le Coq.

Pour la chercheuse, ce projet de recherche inédit pourrait être aussi l’occasion de s’interroger sur le recyclage des masques de protection dans la durée et hors pénurie. « Est-ce vraiment pertinent d’avoir des masques à usage unique si on est amené par la suite à en utiliser de plus en plus, voire quotidiennement ? Comment peser le coût environnemental de ces déchets médicaux ? Évidemment, la suite dépendra du traitement qui pourra être mis en place » conclut-elle.

 

Par Anne-Sophie Boutaud, pour I’MTech.