La fourrure d’un chat, c’est doux, ça plait. La vase, visqueuse, plaît beaucoup moins. Mais pourquoi cela ? Les goûts et les couleurs, dira-t-on, ne s’expliquent pas. Mais les proverbes n’empêchent pas les scientifiques de chercher des réponses. Jenny Faucheu, chercheuse à Mines Saint-Étienne, s’est penchée sur cette question de la perception tactile, pour le moins originale.
« Nous avons l’habitude de définir ce qui est beau ou plaisant visuellement » commence Jenny Faucheu, chercheuse en ingénierie des matériaux[1] à Mines Saint-Etienne, « mais il est plus rare d’avoir ces questionnements avec d’autres sens, comme le toucher ». Un Groupement de Recherche nommé GDR TACT 2033 s’est alors formé au 1er janvier 2018 pour étudier à travers diverses disciplines la complexité de la perception tactile.
Une meilleure compréhension du sens du toucher aurait des retombées différentes. D’une part, un questionnement médical plutôt tourné sur les causes possibles d’une déficience tactile. Ou encore des applications tournées vers la rééducation. D’autre part, des actions de développement ou de conception de produits, plutôt orientées vers des interfaces et simulateurs tactiles, ou des innovations dans le e-commerce. Pour en arriver là il est alors nécessaire d’approfondir nos connaissances sur un sens passant généralement bien après la vue ou l’ouïe.
Qui aime quoi
« Notre but, ce n’est pas de définir un humain standard et un matériau de rêve » signale Jenny Faucheu, « nous essayons de tisser des liens entre les différents aspects jouant sur les perceptions tactiles ». Les chercheurs prennent alors en compte la texture et la matière du matériau et utilisent des capteurs pour repérer les vibrations du doigt sur une surface. À travers des électroencéphalogrammes ils étudient aussi l’activité cérébrale, et collectent des informations comportementales à l’aide de questionnaires psychosensoriels. « Par exemple, nous demandions si lors d’un achat en ligne, disons d’un pull, la personne était dérangée de ne pas sentir le tissu » illustre Jenny Faucheu.
D’autres questionnaires étaient orientés sur les surfaces elles-mêmes. Sous la forme d’un QCM à quatre choix, les participants devaient trier les surfaces allant de « j’aime beaucoup » à « je n’aime pas du tout ». Un autre quant à lui s’intéressait plutôt à la surprise ou familiarité d’une surface. Par la suite il était demandé aux participants de trier les matériaux selon leurs similarités. Puis, de les nommer et de leur attribuer des étiquettes de caractéristiques. « Ces mécanismes nous permettent de créer des correspondances » confie Jenny Faucheu, « nous pouvons nous dire alors : si cette personne aime l’échantillon 22 elle devrait aimer le 45 ».
Certains matériaux remportent tout de même un consensus. Typiquement les matières lisses sont très appréciées, à l’encontre d’autres plus rugueuses plaisant difficilement. Et il y a la surprise, tantôt positive, tantôt négative. Mais il faut garder à l’esprit l’impact culturel. « Cette étude a été réalisée avec des participants français » précise-t-elle, « il est fort probable que les résultats soient différents pour une culture différente ».
Aimer sans regarder
Pour réaliser cette étude l’équipe de chercheurs a fabriqué des surfaces spécifiques. Les différentes textures sont créées en distribuant sur une surface en polyuréthane de petits plots cylindriques de hauteur, diamètre et espacement variés. Certains échantillons sont perçus lisses, rugueux, vibrants ou collants.
« Lorsque nous frottons un échantillon, des vibrations sont générées et se propagent dans le doigt jusqu’aux mécanorécepteurs » explique Jenny Faucheu. Les capteurs utilisés par l’équipe de chercheurs servent à étudier les vibrations reçues par ces capteurs sensoriels dans nos doigts. Les plus basses fréquences correspondent aux matériaux rugueux, généralement peu appréciés. Et inversement, plus les fréquences sont haute,s plus les matériaux sont perçus lisses, et ont tendance à plaire. Mais il semblerait aussi qu’une grande amplitude intensifie le sentiment de rugosité.
Tous les échantillons se ressemblaient visuellement, un peu blanchâtres, sans trop discerner à l’œil nu les petites aspérités de la cinquantaine d’entre eux. « Nous avions aussi choisi d’être dans une salle assez sombre pour limiter l’influence de la vue » indique la chercheuse stéphanoise. L’information visuelle est omniprésente et peut alors perturber notre perception. Mais l’ouïe, bien que plus discrète, le peut aussi.
« Nous voulions savoir si, en associant des sons plus ou moins agréables, cela pouvait modifier les perceptions tactiles » complète Jenny Faucheu. Les mêmes expériences sont alors répétées avec en prime un casque insonorisé. Lorsque le testeur passe son doigt sur la surface, divers sons sont envoyés dans le casque. Il serait alors imaginable d’inverser la donne d’une surface plutôt perçue comme désagréable en jouant sur l’ambiance sonore. « Cela dit, nous parlons bien de sentiment désagréable, et non pas de douleur » précise-t-elle.
La perte de sensation tactile peut apparaître avec l’âge ou à la suite d’un accident. Pour ralentir cette perte ou réacquérir cette sensation, des exercices de stimulation tactile peuvent être entrepris. Il est possible qu’un ressenti désagréable freine la rééducation en demandant plus d’efforts. De fait, solliciter l’ouïe pour transformer la perception d’une surface pourrait alléger ce processus. « C’est le principe de gameification » renchérit Jenny Faucheu, « plus le processus est ludique et agréable, plus le patient s’engage et la rééducation est efficace ». Une idée requérant de la recherche fondamentale sur le sens du toucher et de nouveaux protocoles d’analyse et de compréhension.
On retrouve le même principe avec les interfaces tactiles. Sur une tablette ou smartphone, il y a généralement un retour tactile pour accentuer une sélection : un outil améliorant l’interaction avec l’objet. « Les stimulateurs tactiles essayent de simuler les rendus réels de surface » ajoute Jenny Faucheu. Des projets tels que StimTact visent à développer un écran tactile augmenté donnant l’impression de toucher la matière affichée. Nous pourrions donc imaginer acheter un pull sur un site de vêtements en ligne et caresser la surface réelle du tissu, en restant face à notre ordinateur.
[1] Jenny Faucheu est chercheuse au laboratoire Georges Friedel, unité mixte de recherche CNRS/Mines Saint-Étienne.Tiphaine Claveau pour I’MTech
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