Produire des matières premières de qualité à partir de déchets nécessite un tri efficace. Les plastiques issus de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) n’échappent pas à cette règle. En ce sens, des chercheurs d’IMT Mines Alès ont élaboré un algorithme d’automatisation sélective adapté à ces plastiques. Il se destine à être intégré sur de nouvelles machines de tri à l’échelle industrielle.
En quoi se réincarnera votre cafetière après sa mort ? Composé en grande majorité de plastiques, de métaux et de verre, cet appareil électroménager entre dans la catégorie des déchets des équipements électriques et électroniques (DEEE). Votre smartphone ou votre machine à laver font également partie dans cette catégorie. Une fois jetée, la cafetière se retrouve noyée au milieu de plus de 750 000 tonnes de DEEE récoltés chaque année en France, avant d’être prise en charge par un centre de tri spécialisé. Elle y est démantelée, broyée, séparée de ses éléments métalliques ferreux et non ferreux, comme le cuivre ou l’aluminium, jusqu’à ce qu’il ne reste plus d’elle qu’un amas de plastique. Ce dernier est le composé le plus présent dans les DEEE après l’acier, ce qui fait de son recyclage un enjeu majeur.
Un bon recyclage commence avant tout par un tri efficace. 20 % des matières plastiques sont récupérées par flottaison après avoir été placées dans un bac d’eau. Comment traiter les 80 % restants ? « Des échantillons de 1 cm² sont placés sur un tapis roulant au bout duquel une caméra infrarouge permet de scanner la matière et de déterminer le type de plastique qui la compose », décrit Didier Perrin, physico-chimiste à IMT Mines Alès. En effet, le rayonnement interagit avec les liaisons atomiques des molécules en les excitant, ce qui renvoie une signature spectrale caractéristique du plastique à identifier. Une technique utilisant une source proche infrarouge (SPIR) est particulièrement rapide mais ne permet par d’identifier la nature des plastiques sombres qui absorbent les rayonnements. Or la teinte noire, qui résiste bien mieux au temps que les plastiques colorés, représente près de 50 % du gisement. « Une identification précise et propre du matériau est donc cruciale afin de générer de la matière primaire à recycler de qualité alliant pureté et performances mécaniques », ajoute le chercheur. Toutefois, cette méthode ne permet pas toujours de déterminer la nature exacte d’un échantillon.
Un algorithme d’automatisation du tri
Les chercheurs d’IMT Mines Alès ont donc développé une méthode de tri automatique des plastiques en travaillant avec l’entreprise Pellenc ST, conceptrice de machines de tri intelligentes et connectées, et SUEZ. Cette collaboration s’appuie d’abord sur l’élaboration d’une classification des plastiques constituant les DEEE. Les chercheurs ont généré une base de données dans laquelle chaque plastique a sa carte d’identité spectrale bien définie. Ainsi, les DEEE se composent de quatre familles majoritaires : l’ABS (acrylonitrile butadiène styrène), un polymère fréquemment utilisé dans l’industrie qui représente 50 à 60 % des gisements de plastiques (carters, couvercles, etc.) ; le HIPS (high-impact polystyrène), proche de l’ABS mais moins coûteux et mécaniquement performant (clayette de réfrigérateur, gobelets) ; le polypropylène (matériau plus ductile que l’ABS et l’HIPS (couvercles souples de boîtes alimentaires, gobelets) ; et le polystyrène dit « cristal » (intérieur de réfrigérateur, vitre organique transparente).
Première étape : mieux reconnaître les plastiques à trier. « Nous avons réalisé une méthode d’apprentissage supervisé sur des données mesurées en laboratoire, avant d’analyser les mêmes échantillons dans les conditions industrielles, » explique la doctorante Lucie Jacquin. Pour autant, caractériser la nature du plastique d’un déchet n’est pas toujours évident. Premièrement, ce matériau s’altère avec le temps, ce qui modifie ses propriétés et rend donc son identification complexe. Deuxièmement, les conditions industrielles — qui analysent 3000 kg de déchets par heure — entrainent souvent des mesures spectrales incomplètes.
En plus des incertitudes sur les mesures, les méthodes habituelles de tri présentent elles aussi des failles. Elles s’appuient, par exemple, sur des algorithmes de classification probabilistes consistant à déterminer à quel point un échantillon ressemble à ceux d’une base de données de référence. Sauf que ces algorithmes ne font pas la distinction entre l’équiprobabilité et l’ignorance. Dans le cas de l’équiprobabilité, le spectre d’un échantillon ressemble à 50 % au spectre d’un plastique A et à 50 % à celui d’un plastique B. Dans le cas de l’ignorance, bien que le spectre de l’échantillon ne ressemble à celui d’aucun élément de la base, l’algorithme fournit le même résultat que dans le cas d’équiprobabilité (soit 50 % A et 50 % B). Comment savoir si les informations fournies par l’algorithme correspondent à une incertitude ou une ignorance ? L’objectif des chercheurs est alors de mieux gérer l’incertitude des mesures en conditions réelles.
Connaître la matière pour mieux la recycler
« Nous avons approché ce problème par les théories modernes de l’incertain, qui permettent de mieux représenter l’incertitude sur la classification d’un échantillon à partir de l’incertitude sur son spectre obtenu en conditions réelles. Les fonctions de croyances sont, par exemple, capables de distinguer l’équiprobabilité de l’ignorance», explique le chercheur en informatique, Abdelhak Imoussaten. L’algorithme tente de déterminer la classe de plastique d’un échantillon. Lorsqu’un doute persiste, il détermine à quel ensemble de classes de plastiques il correspond et élimine les autres. Par exemple, on peut être sûr qu’un échantillon est soit de l’ABS, soit du HIPS mais en aucun cas du polypropylène. « De cette façon, nous faisons de l’apprentissage automatique « prudent » afin de gérer ce que la machine va envoyer dans les bacs de tri », ajoute Abdelhak Imoussaten. Car c’est bien là l’objectif : déterminer vers quel bac de tri envoyer ces petits morceaux de plastique de façon automatique.
« Chaque famille de plastique accepte une certaine quantité d’autres plastiques sans altérer la matrice de la matière recyclée », précise Didier Perrin. En pratique, cela signifie qu’il est possible d’envoyer dans un bac un échantillon dont on n’est pas sûr de la nature exacte (A ou B mais pas C) et ce, avec un certain degré de certitude. Au cours de sa thèse à IMT Mines Alès, un doctorant de Didier Perrin, Charles Signoret, a étudié tous les mélanges possibles entre les différents plastiques et leurs compatibilités. Par exemple, l’ABS ne peut contenir que 1 % de polypropylène dans sa structure afin de conserver ses propriétés mécaniques, alors qu’il peut contenir jusqu’à 8 % de HIPS.
Si la présence d’impuretés fait partie du jeu du recyclage, les chercheurs estiment qu’une méthode de tri est performante lorsqu’en résultent des matériaux avec 5 % d’impuretés ou moins. Une chose est sûre, les travaux de collaboration entre les chercheurs, SUEZ et Pellenc ST ont fait leurs preuves sur la question de la qualité du tri. En effet, ils ont déjà abouti à une machine de démonstration qui sera par la suite déployée pour la mise en production de nouvelles machines de tri.
Améliorer l’efficacité des systèmes de tri est essentiel au bon fonctionnement économique de la filière recyclage. Chaque année, l’ADEME estime l’entrée sur le marché de 1,88 million de tonnes d’équipements ménagers en France. Des produits qu’il faudra, à terme, trier en vue de fournir une matière de qualité pour la production de futurs équipements de ce marché en perpétuelle croissance. « Notre objectif est aussi de faire en sorte que le terme « recyclé » pour les plastiques ne soit plus synonyme de bas de gamme, comme c’est déjà le cas pour le verre et l’acier, deux matières recyclées dont on ne remet plus en question la qualité, » conclut Didier Perrin.
Par Anaïs Culot, pour I’MTech.
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