La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation. Par Matthieu Glachant, chercheur en économie à Mines ParisTech.
La rénovation énergétique est l’un des piliers de l’action publique en faveur de la transition énergétique. Dernière illustration en date, le plan gouvernemental de rénovation énergétique des bâtiments, qui prévoit la rénovation de 500 000 logements par an pendant cinq ans. Ou le discours de politique générale de juin 2019 du premier ministre qui annonçait une réforme des aides à la rénovation. Cette priorité se manifeste par une multiplication d’instruments : éco-prêt à taux zéro, crédit d’impôt pour la transition énergétique, certificats d’économies d’énergie, diagnostic de performance énergétique, et les acronymes correspondants : éco-PTZ, CITE, CEE, DPE… Mais la rénovation énergétique des logements réduit-elle vraiment la consommation d’énergie comme elle le prétend ?Un investissement moyen rentabilisé en… 120 ans
Nous venons de publier une étude économétrique reposant sur l’observation des travaux réellement effectués par des ménages et leurs factures énergétiques avant et après travaux. Les données proviennent de l’enquête Maîtrise de l’Énergie réalisée par TNS-SOFRES pour l’Ademe. De 2000 à 2013, l’institut de sondage interrogeait chaque année un panel représentatif de 7 à 9 000 ménages sur leur dépense énergétique et sur leurs éventuels investissements dans la rénovation. Chaque ménage était sondé plusieurs années consécutives, permettant ainsi d’observer l’évolution de leurs factures après rénovation. L’enquête fut malheureusement stoppée et les enquêtes plus récentes ne fournissent plus les mêmes éléments.
Le modèle économétrique, que nous ne décrirons pas ici, consiste pour l’essentiel à comparer la variation de la consommation d’énergie d’un ménage réalisant des travaux avec celle des ménages n’effectuant pas de travaux ou des travaux d’un montant différent. Pour identifier un effet « toutes choses égales par ailleurs », nous effectuons cette comparaison pour une même année et entre des ménages vivant dans la même région (et donc soumis aux mêmes conditions météorologiques, macroéconomiques et réglementaires), ayant un revenu similaire et une taille de foyer identique, contrôlant ainsi l’effet de facteurs susceptibles d’affecter la consommation énergétique.
Notre estimation aboutit au résultat suivant : 1 000 euros de travaux ne diminuerait en moyenne la facture énergétique que de 8,4 € par an. Pour un investissement moyen de l’enquête, cela correspond à une diminution de 2,7 % de la facture. La rénovation énergétique est alors loin d’être rentable si l’on s’en tient aux seules économies d’énergie puisque le temps de retour correspondant, c’est-à-dire le nombre d’années nécessaires pour récupérer le coût de l’investissement initial, est de 120 ans.
Ce résultat apparaît en décalage avec le consensus actuel des experts. Notre estimation est par exemple beaucoup plus faible que celles incluses dans les fiches des opérations standardisées utilisées pour calculer les économies d’énergie générant les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE).
À titre d’illustration, la fiche CEE décrivant la pose d’une fenêtre ou d’une porte-fenêtre avec vitrage isolant – une opération notoirement moins efficace que d’autres – prédit un impact deux fois plus élevé que notre estimation de l’impact de l’investissement moyen.
Une question de confort plus que d’économies
Notre travail est une analyse a posteriori sur des données décrivant des comportements réels. Au contraire, le consensus d’experts a été construit en France à partir de modèles de simulation fondés sur des hypothèses de comportements. De ce point de vue, notre approche est plus proche d’une étude américaine réalisée en 2018 qui identifie elle aussi des impacts très faibles – des économies d’énergie environ 2,5 fois inférieures à celles prédites par le modèle utilisé par les autorités publiques américaines pour piloter de nombreux programmes de soutien à la rénovation énergétique.
Comment alors expliquer la modestie de ces impacts ? Une première explication tient au fait que la première motivation exprimée par les ménages réalisant des travaux de rénovation énergétique n’est pas l’économie d’énergie, mais le confort. Or améliorer son confort équivaut en pratique à augmenter la température intérieure du logement. Après rénovation, rien ne dit que cette augmentation ne vienne annuler l’impact énergétique des travaux. Plus de confort, moins de déperdition d’énergie mais au total plus de consommation d’énergie. C’est « l’effet rebond ».
Par ailleurs, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous dans un marché de la rénovation où prévaut une asymétrie d’information entre des ménages peu au fait des subtilités techniques de l’opération, et des professionnels qui savent que la qualité de leur prestation ne sera observée par les clients qu’une fois les travaux terminés et la facture réglée.
Cibler les fournisseurs et non les consommateurs
Ce résultat conduit évidemment à s’interroger sur la pertinence des subventions à l’efficacité énergétique dans le secteur résidentiel si elles sont uniquement motivées par la réduction de la consommation d’énergie. En tout état de cause, la rénovation énergétique ne constitue pas un gisement d’opérations peu coûteuses de réduction de la consommation d’énergie, et par conséquent des émissions de gaz à effet de serre.
L’estimation d’un temps de retour de 120 ans concerne un investissement moyen. Or il est notoire que l’impact énergétique varie beaucoup en fonction du type de travaux réalisés. Notre étude invite donc à cibler le soutien public sur les travaux les plus efficaces (en particulier, l’isolation des combles, des murs, des planchers).
Enfin et surtout, ce résultat invite à déplacer la focale de l’action publique des consommateurs d’énergie vers les fournisseurs de solutions de rénovation énergétique avec un double objectif : réduire les prix et améliorer la qualité de la rénovation. D’autant que la multiplication des aides allouées à leurs clients n’a pu que dégrader leur performance sur ces deux dimensions. Des dispositifs comme l’opération en cours « isolation des combles à 1 euro » rendent ainsi presque accessoires le prix et la qualité des travaux réalisés.
Matthieu Glachant, Professeur d’économie, Mines ParisTech
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.