Une tribu d’irréductibles carpocapses

En agriculture, les alternatives biologiques aux pesticides sont recherchées pour des raisons environnementales et sanitaires. L’utilisation d’un virus en tant qu’agent de bio-contrôle des ravageurs de cultures est aujourd’hui assez répandue. C’est le cas du Cydia pomonella granulovirus. Utilisé depuis quelques décennies, il cible un ravageur de culture friand des pommes et des poires : le carpocapse. Miguel Lopez-Ferber, chercheur à IMT Mines Alès, s’y intéresse depuis 2005, année où les larves de cet insecte ont développé une résistance au produit commercialisé à base de ce granulovirus.

 

Cydia pomonella. Nom vernaculaire : carpocapse. A l’âge adulte, un papillon de nuit grisâtre, d’environ 18 millimètres. Dans son plus jeune âge, une larve se terrant dans les fruits des vergers et les grignotant de l’intérieur. Les pommes et les poires s’abîment, pourrissent, et ne sont plus adéquates à la vente. Toutefois, ces insectes sont très sensibles à un virus : leur granulovirus, dont le petit nom est CpGV. Si elles rentrent en contact avec celui-ci, les larves tombent malades, meurent, et laissent les vergers beaux et sains.

Malheureusement pour les pommiers : les carpocapses développent une résistance au CpGV, et cela pose plusieurs problèmes. D’un côté, les agriculteurs ont besoin d’une nouvelle solution pour protéger leurs vergers. De l’autre, les industriels veulent savoir s’il est possible d’améliorer la préparation virale, de trouver un substitut, ou s’il faut arrêter la production. Puis il reste la question du scientifique : « Depuis des millions d’années les carpocapses ont été en contact avec ce virus, et jamais ces insectes n’ont développé de résistance. Pourquoi maintenant ? » s’interroge ainsi Miguel Lopez-Ferber, chercheur à IMT Mines Alès. « S’il y avait eu une résistance généralisée auparavant, nous ne trouverions plus ce virus dans la nature ».

Une explication possible, « c’est que nous avons sous-estimé l’inventivité de la nature » exprime Miguel Lopez-Ferber. « Nous nous sommes comportés comme s’il s’agissait d’un produit chimique : au fil des années, c’est rigoureusement la même solution virale que nous avons étendue dans les vergers ». Dans la nature, un insecte entrant en contact avec le même produit chimique de manière répétitive va s’adapter, et trouver une parade. Le produit n’agira plus aussi bien. Les virus par contre, si on ne les empêche pas, vont eux aussi s’adapter et trouver de nouvelles astuces pour atteindre les insectes : ils sont en coévolution.

« C’est le même fonctionnement chez les êtres humains, avec le virus de la grippe par exemple », précise le chercheur. « Nous développons des défenses pour nous protéger du virus, mais ce dernier évolue et revient de plus belle l’année suivante ». Et le CpGV existe sous différentes formes dans le monde. Ce sont de légères variations dans le génotype – ce qui compose l’ensemble des gènes d’un individu. Et la solution virale commercialisée correspond à l’aboutissement de recherches sur un seul génotype isolé de ce virus.

Les recherches pour vaincre la résistance

Avec le CpGV, le même isolat viral a été appliqué massivement au fil des années. Il est alors possible que les larves du carpocapse ne soient pas résistantes à d’autres isolats du virus. Les différents génotypes du virus ont été triés en 5 groupes, de A à E, les « A » ressemblant le plus à l’isolat mexicain, celui utilisé historiquement. Les chercheurs ont alors remarqué que d’autres groupes infectaient les larves résistantes. Cependant au début, ces autres isolats viraux étaient moins performants que celui utilisé originellement, c’est-à-dire qu’une plus grande quantité de produit était nécessaire pour une même parcelle de terrain. Mais avec un peu de sélection, la performance a atteint les mêmes niveaux originaux. « Nous étions aussi inquiets d’observer dans le futur une résistance à ces nouveaux génotypes », précise Miguel Lopez-Ferber. Mais il est probable que ce phénomène de résistance n’apparaisse pas si l’on dispose d’une plus grande diversité virale.

Les chercheurs ont alors essayé une autre méthode : ils ont combiné l’isolat mexicain auquel les larves étaient devenues résistantes, avec un autre génotype du virus infectant les larves. Et ils ont découvert qu’ensemble, ceux-ci pouvaient encore mieux atteindre les larves. D’une certaine manière, le second génotype « ouvre la porte à celui  qui était jusque-là bloqué » explique Miguel Lopez-Ferber, « mais le mécanisme est, aujourd’hui encore, mal compris ». Les chercheurs étudient alors comment les différentes formes du virus interagissent entre elles pour atteindre la larve. Cette connaissance leur permettrait de concevoir un ou plusieurs mélanges optimaux, en associant de manière pertinente les particularités de chaque génotype.

« La diversité virale est un atout, mais nous ne comprenons pas encore pleinement les mécanismes en jeu » précise le chercheur. « Imaginons que nous souhaitons coloniser une île déserte. Si tous les colons sont des miniers, il va nous manquer des qualités pour y construire des maisons, planter des cultures, etc. Nous avons besoin de différents métiers complémentaires. C’est ce que nous avons lorsque nous associons plusieurs génotypes du virus, mais en quelque sorte, nous ne connaissons pas leurs métiers. Nous savons juste qu’ils fonctionnent mieux ensemble ».

Et l’étude du comportement du virus dans les larves du carpocapse n’est pas chose facile. Mettons que l’on disperse dans un verger un virus de type A et un de type B. Comment savoir si une larve aurait absorbé les deux formes du virus, ou si elle n’en aurait absorbé qu’un ? Ou encore si l’un d’eux aurait empêché l’autre de s’installer ? Pour comprendre leur partage des tâches, il faut être capable de suivre A et B à mesure qu’ils colonisent la larve. Pour cela, les outils moléculaires à disposition aujourd’hui ne sont pas les plus efficaces. Actuellement, l’équipe de Miguel Lopez-Ferber travaille en partenariat avec une entreprise toulousaine, NeoVirTech pour développer une meilleure technique de suivi des virus.

 

Les origines du granulovirus

« Utiliser un prédateur naturel pour protéger nos récoltes, ce n’est pas un concept récent » souligne Miguel Lopez-Ferber. « Nous avons domestiqué les chats pour lutter contre les souris. Avec le granulovirus, c’est le même principe ».

C’est en 1964, au Mexique, que le granulovirus du carpocapse (CpGV) est découvert. Des larves de carpocapse sont retrouvées mortes et les chercheurs se penchent sur la question. Ils isolent alors le virus responsable : l’isolat mexicain du CpGV. Peu de temps après, d’autres formes du même virus sont observées en Russie, puis au Royaume-Uni. Il existe de légères variations entre elles, de fines différences dans les génotypes – la composition de l’ensemble des gènes d’un individu. L’isolat mexicain a été préféré pour une éventuelle mise sur le marché car il était le plus homogène. Il était alors plus facile de le caractériser pour répondre aux critères de règlementation des insecticides, équivalents pour les produits phytosanitaires et biologiques et nécessitant une identification rigoureuse de tout ce qui compose le produit.

Après 25 ans de recherche, la solution virale est prête à l’usage et autorisée à la commercialisation. Dans la pratique, elle s’utilise comme un produit chimique. Une solution liquide concentrée est préparée dans une cuve. Puis, elle est dispersée en un brouillard de fines gouttelettes se déposant, idéalement, de manière homogène sur l’ensemble du verger. Le produit est utilisé à grande échelle, à raison de plusieurs épandages par an. Nous sommes dans les années 1990, et cela sera tout à fait fonctionnel jusqu’en 2005. Jusqu’au jour où, après traitement, les larves de carpocapses étaient toujours présentes.

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