Depuis 2006, la société française iXblue basée à Lannion et le laboratoire Hubert Curien[1] de Saint-Étienne collaborent pour développer des fibres optiques de pointe. Grâce à ce long partenariat, iXblue est aujourd’hui une référence mondiale pour des utilisations de fibres optiques en milieux sévères. Les avancées scientifiques et technologiques réalisées permettent à l’entreprise d’équiper les secteurs du nucléaire, du spatial et de la santé. Avec une particularité : ces fibres optiques ne sont pas dédiées aux télécommunications.
En juin dernier, l’entreprise iXblue et le laboratoire Hubert Curien inauguraient le LabH6 : un laboratoire de recherche commun dédié aux fibres optiques. Il s’agit là de la dernière actualité en date d’un partenariat qui dure depuis 2006 et l’explosion de la bulle internet. iXblue est en effet née des cendres d’une start-up spécialisée dans la fibre optique pour les télécoms. Après les déconvenues du secteur numérique connues au début des années 2000, « nous avons décidé de prendre un virage à 180° des télécoms, mais toujours dans la fibre optique » explique Thierry Robin, présent dès les débuts de iXblue et aujourd’hui CTO.
Un pari osé, alors que la fibre optique dans les réseaux domestiques en était à ses débuts. Un pari payant également. En 13 ans, la jeune pousse est devenue un acteur incontournable des fibres optiques en environnements sévères. Un succès qu’elle doit notamment aux innovations réalisées avec le laboratoire Hubert Curien. Aujourd’hui, les produits de l’entreprise sont utilisés dans des conditions de haute température, sous irradiation nucléaire, ou encore dans le vide spatial.
Mesurer l’irradiation nucléaire
L’un des grands succès de cette collaboration est la mise au point de fibres optiques capables de mesurer la dose de radiations nucléaires dans un environnement. La lumière qui traverse une fibre optique est naturellement atténuée avec la longueur de la fibre. Cette atténuation, appelée perte optique, est augmentée lorsque la fibre est soumise à des radiations nucléaires. « Or, nous connaissons la loi qui lie la perte optique et la dose de radiations reçue par la fibre » pointe Sylvain Girard, chercheur au laboratoire Hubert Curien. « Nous pouvons donc utiliser une fibre optique pour jouer le rôle de centaines de dosimètres chargés de relever la valeur des radiations. »
Le recours à une fibre dans cette application comporte deux avantages. D’abord, les données permettent d’établir une cartographie continue des radiations tout au long de la fibre, là où les dosimètres donnent une valeur ponctuelle associée à leur emplacement précis. Ensuite, la fibre optique offre une mesure en temps réel, puisque la perte optique est mesurée en direct. À l’inverse, les dosimètres sont généralement laissés pendant des jours, voire des mois, sur leur emplacement avant que la valeur des radiations accumulées ne soit relevée.
Les fibres utilisées pour ce genre d’application sont particulières. Elles doivent avoir une sensibilité accrue aux radiations pour pouvoir mesurer correctement les variations. Des recherches ont été menées en ce sens, et ont abouti à des fibres dopées au phosphore ou à l’aluminium. Ce type de fibre optique est actuellement installé au grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN à Genève, durant les deux ans de coupure qui durent jusqu’en 2020. « Cela permettra au CERN d’évaluer la vulnérabilité des équipements électroniques face aux radiations, et ainsi d’éviter les arrêts non prévus suite aux pannes » souligne Sylvain Girard.
Ces fibres optiques sont également évaluées à l’accélérateur de particules Triumf, au Canada, pour de la proton-thérapie. Il s’agit d’une médecine de très haute précision permettant notamment de soigner des mélanomes oculaires par irradiation. La dose d’irradiation déposée sur le mélanome doit être très précise. « La fibre devrait permettre de mesurer la dose de radiation déposée en temps réel, et de stopper lorsque la valeur souhaitée est atteinte » explique le chercheur stéphanois. « Sans la fibre, les médecins ne connaissent précisément la dose totale reçue par le patient qu’à la fin du traitement. Ils ont donc besoin d’accumuler trois irradiations plus faibles les unes après les autres pour approcher au mieux la dose totale visée. »
Résister dans l’espace
Si les fibres utilisées en dosimétrie doivent être sensibles aux radiations pour les mesurer, d’autres doivent y être hautement résistantes. C’est le cas des fibres utilisées dans l’espace. Les satellites sont en effet vulnérables aux radiations spatiales. Or les gyroscopes leur permettant de se positionner utilisent des fibres optiques amplificatrices. La collaboration entre iXblue et le laboratoire Hubert Curien a ainsi développé des fibres optiques chargées en hydrogène ou au Cerium. Ces fibres amplificatrices ont fait l’objet de deux brevets, et leur résistance leur a permis de devenir la référence des fibres optiques dans le domaine spatial.
La même problématique de résistance aux radiations se pose dans l’industrie nucléaire, où il est important de mesurer la température et les contraintes mécaniques au cœur des réacteurs. « Ce sont des environnements exposés à des doses de l’ordre du million de Gray. À titre de comparaison, la dose létale pour un être humain est de 5 Gray » explique Sylvain Girard. Les capteurs en fibre optique doivent donc être extrêmement résistants. Là encore, les recherches communes de l’entreprise et du laboratoire Hubert Curien ont permis de déposer des brevets sur de nouvelles fibres répondant à la demande d’industriels comme Orano (anciennement Areva). Ces fibres seront aussi déployées dans le projet de réacteur à fusion ITER.
Tous ces travaux se poursuivent dans le cadre du LabH6, qui permettra de faciliter la valorisation industrielle des recherches menées par iXblue et le laboratoire Hubert Curien. L’enjeu est grand, alors que les utilisations hors télécoms des fibres optiques se multiplient. Si les environnements sévères tels que l’espace ou le nucléaire peuvent apparaître comme des secteurs de niche, les fibres optiques développées pour ces applications pourraient cependant trouver d’autres usages. « Nous travaillons actuellement sur des fibres résistantes aux fortes températures pour équiper les voitures autonomes » indique Thierry Robin. « Ces produits sont indirectement issus des développements réalisés pour des fibres résistantes aux radiations » ajoute-t-il. Après avoir laissé le marché des télécommunications et la production de grand volume il y a 13 ans, iXblue pourrait donc y revenir prochainement.
Très rapidement nous avons voulu nous ouvrir à l’extérieur et échanger avec des scientifiques. Le partenariat avec le laboratoire Hubert Curien nous a permis de progresser de façon vertueuse. Là où nos concurrents entretiennent une culture du secret, nous informons les chercheurs qui travaillent avec nous des compositions exactes des fibres. Nous produisons même pour eux des fibres spéciales qui n’ont pas d’autre intérêt que celui scientifique de tester des compositions particulières. Nous voulons permettre aux académiques de faire leur recherche en leur donnant tous les éléments, afin de faire progresser le domaine. C’est cet esprit qui nous permet aujourd’hui de déboucher sur des produits uniques pour le spatial ou le nucléaire.
[1] Le laboratoire Hubert Curien est une unité mixte de recherche CNRS/Université Jean Monnet/Institut d’Optique Graduate School, dans laquelle s’effectue une grande partie de la recherche de Télécom Saint-Étienne.
Très intéressant de voir les compétences de pointes de l’industrie française dans la photonique. Belle société en pleine expansion.