Les entreprises s’orientent de plus en plus vers la vente d’usages de leurs produits. Ce changement de modèle économique touche aussi bien les PME que les grandes entreprises. En pratique, il impacte l’ensemble de l’organisation de l’entreprise, depuis sa chaîne de conception jusqu’à la mise en place de collaborations pour déployer de nouvelles offres clients. Xavier Boucher et ses collègues, chercheurs en conception et optimisation des systèmes industriels à Mines Saint-Étienne, accompagnent les entreprises dans cette transformation.
Vendre l’usage et non plus le produit. Ce mouvement du monde de l’entreprise vers une économie de fonctionnalité émerge depuis le début des années 2010. Il s’appuie sur de nouvelles offres dans lesquelles le produit est encapsulé dans un service et vise à augmenter la création de valeur. De grands industriels sont à l’origine de ce mouvement, comme Michelin qui, avec la Michelin Fleet Solutions, est passé de la vente de pneus à la vente de kilomètres auprès des flottes de transporteurs routiers européens. Mais la tendance touche également de plus en plus de PME. D’autant qu’on lui reconnaît de nombreux avantages : nouvelles opportunités de création de valeur, génération de croissance, impacts environnementaux positifs, fidélisation client, accroissement de la motivation et de l’implication des employés, etc.
Toutefois, cette transition n’est pas si simple à mettre en œuvre et demande une stratégie sur le long terme. Quelles stratégies d’innovation ? Quels services déployer et comment ? Quelles structures d’entreprise et quelles compétences mettre en place ? Cela dépend des évolutions du marché, des impacts économiques d’une telle transformation sur une entreprise ou encore des moyens à mettre en œuvre seul, ou avec des partenaires, pour aboutir à une transformation durable. Plus globalement, orienter son activité vers un système produit-services implique un changement de modèle d’affaire. Avec son équipe, Xavier Boucher, chercheur à Mines Saint-Étienne, accompagne les entreprises dans ce virage.
En région Rhône-Alpes où le chercheur mène ses travaux, une majorité des industriels développe une dimension services plus ou moins importante sous forme d’actions logistiques et de maintenance. « Mais parmi plus de 150 000 entreprises dans la région, seules quelques centaines ont réellement migré leur activité sur la vente d’usage et la gestion du cycle de vie des produits », rapporte le chercheur. Toutefois, son équipe fait aujourd’hui face à une demande croissante des industriels.
Un accompagnement adapté à chacun
La transformation d’un modèle de commercialisation de produits vers un système produits-services repose sur plusieurs problématiques d’organisation d’entreprise, de reconfiguration de la chaine de production, ou encore de gestion des relations clients que les chercheurs analysent à l’aide de modèles. Après une phase de diagnostic, il s’agit souvent d’accompagner un projet de transformation d’entreprise. En premier lieu, la manière de concevoir le produit doit évoluer : « Lors de la conception d’un produit, il faut considérer toutes les transformations qui permettront de développer des services lors de son usage et lors de toute autre phase de son cycle de vie », explique Xavier Boucher. Ainsi, il est souvent pertinent d’équiper un produit de capteurs qui permettront la traçabilité des performances et du cycle de vie chez les clients. Mais la gestion de production est également impactée : cette stratégie d’entreprise s’installe dans le contexte plus global d’agilité. L’objectif ? Créer de la valeur qui évolue en permanence et sur laquelle des processus industriels flexibles et reconfigurables doivent être alignés.
En ce sens, l’équipe de Xavier Boucher développe différents outils qui vont de l’analyse stratégique à l’aide à la décision pour industrialiser une solution. « Nous avons créé, par exemple, un modèle économique utilisable au moment du développement d’une nouvelle offre de service qui permet d’identifier la bonne chaine de création de valeur à mettre en place et le mode de vente de service le plus pertinent pour une entreprise », détaille le chercheur. À partir d’une plateforme générique de simulations et une démarche de customisation, les chercheurs adaptent ces calculateurs économiques au contexte spécifique des industriels.
Car chaque parcours est unique et requiert un modèle économique adapté. En effet, la commercialisation d’un téléphone portable ou le déploiement d’un robot de nettoyage ne s’appuient pas sur les mêmes leviers d’action. Le second fera appel à des services d’installation adaptés au client, de maintenance et évolutivité, mais aussi de gestion des consommables, ou encore de mesure et garantie de la qualité de nettoyage. De plus, le niveau d’avancement vers la servicisation varie selon l’entreprise. Les chercheurs peuvent ainsi collaborer avec une start-up entrant directement dans le modèle produit-service, ou bien avoir affaire à des entreprises ayant une économie ancienne, demandant un processus de transformation long et adapté.
Quelles étapes vers un système produit-services ?
L’expertise des chercheurs de Mines Saint-Étienne peut intervenir à différentes phases d’avancement des projets des entreprises. Par exemple, un industriel s’interroge en amont sur comment la vente d’usage va influencer son équilibre économique. Cette transformation est-elle pertinente selon son contexte ? Dans ce cas, les modèles établissent une trajectoire progressive de sa transformation et la décomposent en étapes.
Un autre type de collaboration peut se faire avec une entreprise prête à s’engager dans la vente d’usage et qui se demande comment appliquer sa première offre. À l’aide de leurs outils de simulation, les chercheurs identifient trois modèles économiques possibles : le premier consiste à commercialiser son produit et ajouter de la vente de services tout au long du cycle de vie ; le deuxième bascule l’économie de l’entreprise sur de la vente d’usage et encapsule son produit dans un service ; et enfin, le troisième modèle vend de la performance aux clients.
La PME Innovtec a ainsi été accompagnée sur la conception d’une offre de robots autonomes pour du nettoyage industriel. « Nous avons développé des outils informatiques d’aide à la conception : modélisation, scénarios organisationnels, simulation. L’enjeu était d’élargir les outils classiques orientés produits en apportant une dimension packages de services », explique Xavier Boucher. L’entreprise bénéficie alors de différents scénarios : identification des technologies pour assurer la performance de ses robots, quels services adaptés à ce nouveau produit, etc. Mais les projections abordent aussi des thèmes au-delà de la chaîne de production : doit-elle intégrer les nouveaux services à l’entreprise actuelle ou bien créer une nouvelle structure juridique pour les déployer, etc.
Dans un dernier cas de figure, une entreprise déjà mature dans la servicisation souhaite aller plus loin. C’est le cas de la PME Clextral qui produit des machines d’extrusion utilisées par l’industrie agroalimentaire et qui a été accompagnée lors du projet européen DiGiFoF (Digital Skills for Factories of the Future). Ses machines ont une longue durée de vie et permettent de créer de la valeur sous la forme d’activité de maintenance et de remise à niveau. Un axe de développement de services identifié par les chercheurs s’appuie alors sur des offres de retrofiting, sortes de mises à jour techniques. Elles consistent à échanger des pièces obsolètes en maintenant la configuration d’une machine, voire à modifier la configuration d’un équipement pour permettre une utilisation industrielle différente de celle d’origine.
Digitalisation et gestion des risques dans un contexte multi-acteurs
Si la servicisation est aujourd’hui en train de se développer, c’est notamment grâce à la digitalisation des entreprises. L’Internet des Objets (IoT) leur permet de récolter des données pour suivre les performances de leurs machines. D’ici quelques années, on peut même envisager une automatisation complète du processus de suivi allant de la commande de pièces détachées jusqu’à la planification d’intervention sur le terrain. Les systèmes produits-services intelligents permettant de coupler digitalisation et servicisation est un axe de recherche émergent. Il est au cœur de travaux réalisés avec l’entreprise elm.leblanc qui souhaite mettre en place une offre de traitement en temps réel de l’information afin d’intervenir rapidement auprès des clients.
Toutefois, ce changement de modèle d’affaire n’impacte pas uniquement l’entreprise mais aussi l’ensemble de son écosystème. Notamment, elm.leblanc s’interroge sur le partage des coûts et des risques entre différents acteurs. Une piste serait, par exemple, d’intégrer des entreprises partenaires pour l’application de ce service. Mais comment répartir la valeur économique ou encore l’image de marque entre les partenaires sans que ceux-ci ne prennent le marché à l’entreprise ? La recherche sur la gestion des risques et des incertitudes est un enjeu majeur pour l’équipe de Xavier Boucher. À lui d’ajouter : « une des difficultés dans nos travaux est le nombre d’échecs potentiels pour les entreprises, liés aux difficultés de bien gérer la transition. Si la servicisation est très clairement confirmée comme un chemin d’avenir, elle n’est pas associée à une réussite économique immédiate et systématique. Anticiper les difficultés est essentiel ».
Article écrit par Anaïs Culot pour I’MTech
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