Quand les micro-organismes attaquent ou réparent les matériaux

Certains micro-organismes peuvent gravement endommager des ouvrages en béton ou en pierre, occasionnant des milliards d’euros de dégâts. Mais d’autres, au contraire, ont un effet positif et sont capables de cicatriser des micro-fissures.

 

Ils sont microscopiques, mais peuvent occasionner des milliards d’euros de dégâts. Les micro-organismes, tels que les bactéries, les champignons et les algues, sont omniprésents dans l’environnement et se développent sous certaines conditions à la surface de nos constructions, et leur impact ne doit pas être négligé. Façades, stations d’épuration, canalisations d’assainissement doivent être surveillées, réparées, et mieux conçues pour résister à ces agressions.

Détériorations coûteuses

« Les micro-organismes forment des biofilms qui se fixent à la surface des matériaux, interagissent avec eux, et peuvent dans certains cas les détériorer, indique Christine Lors, professeure au Centre d’Enseignement de Recherche et d’Innovation (CERI) Matériaux et Procédés à IMT Lille Douai. Cela entraîne plusieurs milliards d’euros de dégâts, notamment dans les réseaux d’assainissement. » En effet, la plupart des canalisations de grands diamètres, qui emportent nos eaux usées vers les stations d’épuration, sont en béton, et leur dégradation prématurée est très coûteuse. Les micro-organismes se développent à la surface des bétons mais aussi des pierres des édifices, tels que les églises. Cela ne met pas toujours ces monuments en danger, mais peut engendrer un coût important lors du nettoyage des salissures biologiques, comme c’est le cas au niveau des parements de façade. Ils peuvent également influer sur la santé dans l’environnement intérieur des bâtiments par la prolifération de champignons, qui peuvent générer des pathologies pour les occupants.

En général, les micro-organismes ne détériorent pas directement les ouvrages. Ils produisent des molécules issues de leur métabolisme qui altèrent les matériaux. Par exemple, les bactéries sulfo-oxydantes tirent leur énergie de composés soufrés, comme le sulfure d’hydrogène à l’odeur d’œuf pourri présent dans les eaux usées, et le transforment en acide sulfurique, très agressif pour le béton. Les bactéries nitrifiantes trouvées au niveau des stations d’épuration, quant à elles, produisent de l’acide nitrique à partir de la pollution azotée. Enfin, dans les stations de méthanisation, qui fonctionnent en absence d’oxygène, les bactéries acidogènes produisent des acides organiques, tels que les acides acétique, propionique et butyrique.

Des solutions existent

Comment empêcher, ou du moins limiter cette biodétérioration ? Tout d’abord en travaillant sur la surface des matériaux, afin de diminuer l’adhésion du biofilm. Plus la surface est rugueuse, plus les micro-organismes se fixent facilement, trouvant dans chaque rugosité un point d’ancrage. La tension de surface du matériau joue aussi un rôle sur l’adhésion du biofilm.

L’autre moyen de lutter contre la biodétérioration est de modifier le matériau lui-même. Certains ciments résistent mieux car ils neutralisent l’acide produit sans que cela ne diminue trop vite leur propre pH, évitant ainsi dans le cas des réseaux d’assainissement que les espèces les plus acidophiles se développent. Il faut également savoir qu’un béton non altéré est fortement basique, et très peu de micro-organismes peuvent s’y développer. Un béton conçu pour que son pH de surface diminue faiblement limite donc la colonisation de sa surface.

Enfin, pour les ouvrages existants qui tendent à se détériorer, il est possible d’ajouter une couche de béton haute performance fibré très résistant qui protège le béton initial sous-jacent. Cette pose est coûteuse, mais moins que de remplacer le matériau dans sa totalité dans le cas des canalisations de grands diamètres ou des collecteurs d’eaux usées.

Des micro-organismes utiles

Au vu de ce tableau, les micro-organismes semblent un fléau à éradiquer systématiquement dans les ouvrages. Pourtant, dans certains cas, ils sont au contraire utiles. « Certaines bactéries ont un effet positif, en déposant du carbonate de calcium (calcaire) à la surface du matériau, le protégeant et colmatant les micro-fissures », décrit Christine Lors. « C’est le cas des bactéries du genre Bacillus qui, en respirant, produisent du dioxyde de carbone, qu’elles combinent à du calcium pour former le carbonate de calcium. » Ce phénomène intéresse grandement EDF, qui collabore avec le CERI Matériaux et Procédés sur la problématique de réparation des micro-fissures dans les enceintes nucléaires. Objectif : développer un procédé de bioréparation de ces micro-fissures, notamment dans les zones peu accessibles.

Les micro-organismes peuvent aider à colmater les fissures d’un mur. Ici, un biofilm produit du carbonate de calcium qui cicatrise la fissure blanche sous le marqueur rouge et cyan. Une image au microscope montre le phénomène de colmatage.

 

« Dans un premier temps, nous avons développé des essais en laboratoire pour comprendre les mécanismes de bioréparation, précise la chercheuse. Il s’agissait de comprendre dans quelles conditions les bactéries productrices de carbonate de calcium se déposent à la surface du matériau micro-fissuré et colmatent la micro-fissure. Puis, nous avons mis au point un procédé permettant de maîtriser la croissance de ces bactéries en optimisant leur potentiel à produire du carbonate de calcium en fonction de nombreux paramètres (température, nutriments, oxygénation…). Enfin, nous avons mené des essais sur une maquette d’EDF qui reproduit à l’échelle 1/3 une enceinte de réacteur de centrale nucléaire. Les premiers essais sont prometteurs : les micro-fissures sont colmatées et résistent à l’application d’une pression de 5 bars correspondant aux essais décennaux de mise sous pression. »

Bioréparation dans les centrales nucléaires

Aujourd’hui, la souche bactérienne capable de colmater les micro-fissures est issue d’une collection de laboratoire. Demain, l’objectif est d’utiliser des souches indigènes prélevées sur le site nucléaire, préalablement identifiées, et dont le potentiel de production de carbonate de calcium est vérifié. Ces souches indigènes sont en effet plus adaptées aux conditions environnementales du site. Mais quand cette technique sera-t-elle applicable en conditions réelles dans une centrale ? « Nous vérifions aujourd’hui la faisabilité, avec une thèse en cours sur ce sujet, co-financée avec EDF, indique Christine Lors. Cette méthode pourrait être opérationnelle à la fin de la thèse. » Le CERI Matériaux et Procédés envisage aussi d’être à l’origine d’une start-up pour développer ce procédé.

Que leurs effets soient positifs ou négatifs, les interactions entre les micro-organismes et les matériaux du génie civil doivent être mieux prises en compte. L’enjeu est normatif. « Aujourd’hui, les normes pour les ouvrages intègrent les aspects chimiques, mais l’impact des micro-organismes n’est absolument pas pris en compte, relate Christine Lors. Il faudrait que ce soit fait à l’échelle européenne, avec des essais normalisés. C’est une des conditions pour que les industriels testent leurs produits et mènent des recherches pour les améliorer en prenant en compte l’altération biologique. » La balle est dans le camp des organismes de normalisation.

Article rédigé par Cécile Michaut pour I’MTech

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