Tribune rédigée en partenariat avec The Conversation France.
Par Rodolphe Sonnier, IMT Mines Alès
Cet article a été co-écrit avec Clément Lacoste (IMT Mines Alès), Laurent Ferry (IMT Mines Alès) et Henri Vahabi (Université de Lorraine).
Qu’est-ce que le feu ?
Un feu nécessite la conjonction de trois éléments : un combustible, un comburant et une source de chaleur, ce que l’on appelle le triangle du feu. Ces éléments interagissent dans un processus complexe dans lequel interviennent des phénomènes physiques tels que les transferts thermiques et des phénomènes chimiques tels que la pyrolyse de la source combustible ou la combustion des produits de pyrolyse.
Techniquement, on distingue réaction et résistance au feu. La réaction au feu concerne les matériaux combustibles, qui sont susceptibles de libérer de la chaleur lors de leur décomposition sous l’effet de la température et en présence d’un comburant (le plus souvent l’oxygène présent dans l’air). La résistance au feu s’intéresse à la capacité d’un élément à maintenir sa fonction porteuse et ses propriétés d’isolation thermique et d’étanchéité aux gaz et aux fumées durant l’incendie. En tant que matériau combustible utilisé comme élément de structure dans des bâtiments, le bois est concerné par ces deux aspects qui font appel à des normes spécifiques et des tests différents.
En matière de lutte contre l’incendie, il existe deux stratégies non exclusives l’une de l’autre. La première prévoit d’utiliser des dispositifs dits actifs en cas d’incendie : extincteurs, détecteurs de fumées ou extincteurs automatiques à eau. La seconde consiste à utiliser des matériaux qui vont contribuer le moins possible à la propagation de l’incendie.
L’ignifugation
De nombreux matériaux, tels que la plupart des plastiques ou le bois sont intrinsèquement fortement combustibles, et il est nécessaire d’y incorporer des additifs appelés retardateurs de flamme, qui, incorporés dans ou à la surface d’un matériau combustible, ont vocation à modifier son comportement en perturbant le triangle du feu.
Leurs effets sont principalement de retarder l’apparition de la flamme, ralentir la vitesse de propagation de celle-ci, réduire le dégagement de chaleur et la puissance du feu, limiter l’opacité des fumées et leur toxicité. Tous ces effets sont évalués par l’intermédiaire de tests de réaction au feu normés. Ils conduisent à des classements qui déterminent l’utilisation potentielle du matériau dans une application donnée en fonction de la réglementation. Il n’existe pas de retardateur de flamme universel. Un système ignifugeant doit être adapté au matériau qu’il vise à protéger en prenant en compte notamment son processus de décomposition. Par ailleurs, le choix d’un retardateur de flamme est également guidé par le procédé de fabrication du matériau et ne doit pas altérer de façon sensible les propriétés fonctionnelles attendues.
Les archéologues situent les prémices de l’ignifugation dans l’Antiquité. Les Égyptiens, vers 400 av. J.-C., utilisaient des minéraux pour rendre certains tissus résistants au feu comme le coton ou le lin. Plus tard, durant le siège du Pirée (23 ans avant J.C), des solutions d’alun furent utilisées pour rendre les remparts en bois résistants au feu. Il faut ensuite attendre jusqu’en 18 juin 1735 pour que l’anglais Obadiah Wyld dépose le premier brevet, brevet numéro 551, sur le traitement du coton. Au XIXᵉ siècle, à la demande du roi de France, Louis XVIII, il fallut trouver un système efficace pour prévenir les incendies dans les théâtres parisiens éclairés à la bougie. Joseph Louis Gay-Lussac déposa alors un brevet sur l’utilisation d’un mélange de phosphate d’ammonium, de chlorure d’ammonium et de borax pour l’ignifugation des rideaux dans les théâtres.
Les retardateurs de flamme
Il existe plusieurs familles de retardateurs de flamme, basées sur des éléments chimiques différents et avec des modes d’action variés. Historiquement, les molécules halogénées contenant du chlore ou du brome, ont été très utilisées en raison de leur efficacité, même en faible quantité. Ces molécules agissent en perturbant les réactions de combustion ayant lieu dans la flamme, favorisant son extinction et limitant la quantité d’énergie libérée. On parle alors d’inhibition de flamme. Cependant, le caractère toxique de certains composés halogénés a conduit à leur interdiction. En raison de l’impossibilité de distinguer aisément lors du recyclage les molécules bromées autorisées de celles qui sont interdites, il n’est plus possible de recycler des plastiques ignifugés par ces retardateurs de flamme. Par ailleurs, ces molécules entraînent la formation de fumées opaques et corrosives lors de l’incendie. Pour toutes ces raisons, cette famille d’ignifugeants est aujourd’hui de plus en plus sur la sellette.
Elle est remplacée principalement par les retardateurs de flamme phosphorés. Ceux-ci sont d’une très grande variété et, par conséquent, ils peuvent agir selon différents modes d’action. Le mode d’action principal reste cependant la promotion d’une couche résiduelle à la surface du combustible protégeant la partie saine du matériau. La stratégie consiste à perturber les réactions de pyrolyse (décomposition du matériau sous l’action de la chaleur) et à favoriser la formation d’un résidu riche en carbone et thermiquement stable appelé « char ». Certains systèmes particulièrement efficaces sont appelés intumescents car le char forme une couche expansée, isolante et très protectrice. Ce type de systèmes intumescents est notamment utilisé dans des revêtements pour protéger des éléments métalliques ou le bois.
Nous pouvons également mentionner les hydroxydes métalliques, peu chers mais proportionnellement moins efficaces et qui doivent donc être incorporés à des taux élevés (jusqu’à 65 % en masse dans des gaines extérieures pour câbles) pour produire un effet notable. Sous l’effet de la température, ces particules libèrent de l’eau sous forme de vapeur par décomposition endothermique, contribuant ainsi à refroidir le matériau et à diluer les combustibles dans la flamme.
D’autres chimies existent, basées sur l’azote (mélamine), le bore (borate de zinc) ou l’étain (hydroxystannate) par exemple. Les nanotechnologies ont également été employées depuis une quinzaine d’années dans le domaine de l’ignifugation. Les nanoparticules de type argiles lamellaires ou nanotubes de carbone favorisent le caractère isolant du char formé, même à de faibles taux. Mais elles sont insuffisantes à elles seules pour apporter une protection globale du matériau.
Et le bois ?
De manière générale, les matériaux d’origine organique (issus du monde du vivant) comme le pétrole, le bois, ou le charbon ont en commun une composition riche en atomes de carbone et d’hydrogène, susceptibles d’être oxydés. Ils sont donc combustibles. Le bois est un matériau à structure complexe avec une composition chimique élémentaire constituée pour moitié de carbone (50 %), d’oxygène (44 %), ainsi que d’hydrogène en faible quantité (6 %).
Peu dense, le bois possède une capacité naturelle à charbonner, c’est-à-dire qu’une couche protectrice de char se forme entre le bois sain et les flammes. Lors de sa combustion, le bois va premièrement perdre de l’eau pour devenir complètement sec à 120 °C. Ensuite, sa structure se décompose progressivement avec l’augmentation de la température. Ses constituants sont relativement stables jusqu’à 250 °C, température à partir de laquelle un dégagement de fumées est observé. À 320 °C, la quantité de gaz est telle qu’elle peut assurer l’inflammation du bois dans l’air. La pyrolyse a lieu principalement jusqu’à 500 °C, après quoi subsiste seulement le charbon de bois (char) qui peut se décomposer lentement par oxydation. Si la couche de char ralentit la pyrolyse du bois sain sous-jacent, sa tenue mécanique est en revanche négligeable. Au fur et à mesure de la pyrolyse, la section utile d’un élément structurel en bois se réduit donc et sa capacité portante également.
Les retardateurs de flamme utilisés pour l’ignifugation du bois appartiennent aux familles précédemment citées (phosphore, bore, azote, hydroxydes métalliques). Cependant, contrairement aux plastiques, il n’est pas possible d’intégrer ces additifs lors de la fabrication du bois. L’ignifugation a donc lieu sous deux formes : le dépôt d’un revêtement de surface (peinture, vernis) et l’imprégnation à cœur du bois, c’est-à-dire dans la partie creuse – appelée lumen – des cellules du bois, par un procédé en autoclave. Il s’agit de remplir la totalité des lumens en dégazant sous vide dans un premier temps puis en forçant la pénétration de l’ignifugeant par surpression. Cette solution plus complexe permet d’éviter une détérioration du caractère ignifuge en cas de défauts de surface. Dans le cas d’un revêtement, si celui-ci vient à être altéré, il ne peut plus jouer son rôle ignifuge et laisse le bois sans protection en cas d’incendie.
Cet article a été co-écrit avec Clément Lacoste (IMT Mines Alès), Laurent Ferry (IMT Mines Alès) et Henri Vahabi (Université de Lorraine).
Rodolphe Sonnier, Mines Alès – Institut Mines-Télécom
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.