La grande distribution recherche des outils qui lui permettront d’améliorer l’expérience d’achat dans ses magasins pour rivaliser avec le commerce en ligne. Du guidage intelligent des usagers dans un hypermarché bondé, jusqu’à la sélection optimisée des produits en rayon, les chercheurs Marin Lujak et Arnaud Doniec d’IMT Lille Douai et Jacky Montmain d’IMT Mines Alès utilisent l’intelligence artificielle pour proposer une offre sur-mesure aux clients.
Samedi fin de matinée, Madame Petit entre dans son supermarché habituel, les yeux rivés sur le cadran de sa montre. Devant elle, les allées sont envahies par les caddies débordant de denrées en tous genres. Elle s’immerge dans cette cohue, slalomant à travers la foule et esquivant difficilement les promontoires promotionnels qui trônent au milieu du passage. Elle parvient tant bien que mal à récupérer deux packs d’eau avant de repartir à l’opposé du magasin pour s’emparer des croquettes du chien. Son charriot alourdi devient de moins en moins manœuvrable. Elle l’abandonne en bout de rayon puis erre, liste de courses en main, en se demandant « où est rangée la crème fraîche ? », qu’elle ne trouvera finalement jamais.
Le récit de Madame Petit est celui de tous les consommateurs qui vivent l’épreuve du supermarché chaque semaine. Aujourd’hui, les clients veulent gagner du temps lors de leurs achats. L’industrie de la grande distribution est de plus en plus concurrencée par le commerce en ligne, et les enseignes ont tout intérêt à répondre à ces besoins si elles veulent conserver leur clientèle. Et si une des solutions résidait dans un système de guidage intelligent des consommateurs ? « On pourrait imaginer une application qui calculerait automatiquement le meilleur parcours possible en magasin pour diminuer le temps de présence d’un consommateur en fonction de sa liste de courses », proposent Marin Lujak et Arnaud Doniec, spécialisés en intelligence artificielle à IMT Lille-Douai.
Optimiser le parcours dans un supermarché engorgé
Pour réaliser un guidage de la clientèle en temps réel, les deux chercheurs ont imaginé une architecture multi-agent. Cette approche consiste à développer une intelligence artificielle distribuée qui est constituée de plusieurs petites entités intelligentes – des agents – répartis dans tout le magasin et interagissant ensemble. De la somme des interactions émerge alors une intelligence collective.
Dans cette architecture, des agents fixes, sous forme de capteurs de présence ou de caméras reliés au réseau du magasin, évaluent la densité de clients au mètre carré dans les rayons. D’autres agents, déployés sur les smartphones des clients calculent l’itinéraire pour lequel le déplacement global du client est minimal à partir de sa liste de courses, de l’emplacement des articles et de la congestion en temps réel. Si une allée est embouteillée, l’information est transmise à l’application qui guide le consommateur vers un autre point du magasin et le fera revenir à cet endroit plus tard. Ce modèle, pour le moment théorique, devrait être optimisé en vue d’une application à des cas réels. Par exemple, des contraintes associées aux produits pourraient être ajoutées : commencer par les produits les plus lourds ou volumineux, finir par les produits congelés, etc.
La grande distribution est de plus en plus soucieuse de la qualité de l’expérience d’achat de ses clients. Cependant, si une telle solution ferait le bonheur d’un consommateur pressé, elle signifierait également qu’un client passerait moins de temps dans une enseigne. Alors quel intérêt pour un gestionnaire de magasin d’investir dans un tel outil ? Pour Marin Lujak et Arnaud Doniec, c’est une question d’équilibre : « À chaque enseigne de s’approprier l’outil et d’y intégrer par exemple des alertes sur des offres promotionnelles. On peut aussi imaginer guider le client vers certains rayons en fonction de centres d’intérêts qu’il aurait pu saisir dans l’application ».
Proposer le bon produit au bon client
Passer moins de temps en magasin c’est bien, mais c’est encore mieux si le consommateur trouve tous les produits dont il a besoin. Une autre façon de préserver sa clientèle est d’apprendre à la connaître et de s’adapter à ses besoins. À IMT Mines Alès, le chercheur Jacky Montmain collabore depuis 2010 avec l’entreprise TRF Retail pour développer des outils de supervision, de détection et de diagnostic de la performance de produits. « L’outil est intéressant pour la grande distribution car il permet de suivre la performance d’un produit, ou d’une famille de produits, dans l’ensemble d’un réseau de magasins. Il est possible de faire des comparatifs et de comprendre où un produit se vend ou non, et pourquoi », explique le chercheur. Libre au dirigeant de magasin d’ajuster l’assortiment, c’est-à-dire l’ensemble des produits qu’il propose dans ses rayons, en fonction de ces données.
Lorsque les magasins s’intéressent à leurs clients, ils regardent avant tout le chiffre d’affaire qu’ils leurs rapportent. Mais comment identifier et caractériser intelligemment ce que les gens achètent lorsqu’un hypermarché propose de 100 à 150 000 produits à la vente ? Jacky Montmain et le doctorant Jocelyn Poncelet répondent à cette question en instaurant une taxonomie de produits. Cette classification en arborescence se compose de cinq niveaux : le produit, la famille, le rayon, la sous-catégorie et la catégorie. Par exemple, un yaourt aux fruits fait partie de la famille des yaourts dans le rayon frais de la sous-catégorie des produits laitiers et de la catégorie de l’alimentaire. « Apporter ce découpage intelligent permet de déceler les habitudes de consommation des clients et de les comparer entre elles. Si on se contentait de comparer les tickets de caisse, alors un yaourt aux fruits serait aussi différent d’un yaourt nature que d’un paquet de lessive », décrit Jocelyn Poncelet.
La segmentation de la clientèle a fait ses premières preuves grâce à une expérience terrain menée auprès de deux enseignes (un petit magasin et un autre spécialisé dans le bricolage). À terme, la taxonomie des produits, et donc l’algorithme d’identification des habitudes d’achat, devrait être intégrée à l’outil d’évaluation de la performance des produits mentionné précédemment. En ligne de mire : une meilleure gestion des stocks pour les acteurs de la grande distribution, et des approvisionnements optimisés auprès des fournisseurs. Enfin, cette taxonomie aiderait à la mise en place d’un équilibre entre l’assortiment idéal des produits proposés par chaque magasin et les besoins réels des clients qui les fréquentent.
Article rédigé par Anaïs Culot, pour I’MTech.
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