Les matériaux composites à fibres de carbone sont de plus en plus répandus, et leur utilisation continue de croître chaque année. Leur recyclage reste encore délicat, mais s’avère pourtant nécessaire, à la fois pour des raisons environnementales, économiques et législatives au niveau européen. À IMT Mines Albi, les chercheurs travaillent sur une nouvelle méthode : la vapo-thermolyse. Si le procédé offre des résultats prometteurs, il reste cependant de nombreuses étapes à franchir avant de pouvoir structurer une filière de recyclage.
Nouveaux fers de lance des géants de l’aéronautique Airbus et Boeing, l’A350 et le 787 Dreamliner sont également des emblèmes de la prépondérance croissante des matériaux composites dans notre environnement. Les avions, mais également les éoliennes, les voitures ou les matériels de sport en contiennent de plus en plus. Les composites à fibre de carbone représentent encore une minorité des composites sur le marché — loin derrière ceux à fibre de verre — mais sont en croissance de 10 à 15 % par an. Dès lors, la question à laquelle doivent répondre les industriels est : que deviendront ces matériaux une fois la vie de leurs produits achevée ? Dans une société où la considération pour l’impact environnemental n’est plus une option, impossible de faire l’impasse sur la question du recyclage.
À IMT Mines Albi, les travaux scientifiques de Yannick Soudais[1] Gérard Bernhart[2] sont au cœur de cette problématique. Chercheurs en chimie des polymères et matériaux, ils développent un nouveau procédé de recyclage des composites à fibre de carbone. La tâche n’est pas une mince affaire, car il s’agit de séparer la fibre présente sous la forme d’un tissu ou de filaments unidirectionnels, de la résine polymère solide qui constitue la matrice dans laquelle elle est plongée. Deux grands procédés existent actuellement pour essayer de séparer la fibre de la résine, la pyrolyse et la solvolyse. Le premier consiste à brûler la matrice dans une atmosphère inerte d’azote, afin d’éviter la combustion d’une partie de la fibre. Le second est une voie chimique basée sur des solvants, très « lourd », car il repose sur des hautes températures et des fortes pressions.
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Le procédé des chercheurs albigeois, appelé « vapo-thermolyse » combine ces deux procédés. Il est l’un des plus prometteurs au monde actuellement pour aller vers une réutilisation à grande échelle des fibres de carbone. Avec Albi, seuls quelques autres centres de recherche dans le monde travaillent dessus (au Japon, en Chine et en Corée du Sud essentiellement). « Nous utilisons de la vapeur d’eau surchauffée qui agit comme un solvant et induit des réactions chimiques de dégradation » synthétise Yannick Soudais. À la différence de la pyrolyse, pas besoin d’azote. Et comparé à la voie chimique classique, le procédé se déroule à pression atmosphérique. En somme : la vapo-thermolyse est plus facile à mettre en place et à maitriser industriellement.
Après la récupération, la réutilisation
La manière la plus simple de réutiliser les fibres de carbone consiste à étaler cet amas de fibres qui s’interpénètrent sur un plan et de le réutiliser tel quel comme une moquette. Elles serviront alors à faire des composites pour des pièces d’habillage plutôt que pour des pièces de structure. La taille des fibres récupérées peut également être diminuée encore pour être utilisées comme renforts de granulés en polymères. Cette approche permet par exemple de réaliser des pièces automobiles par injection. De telles démonstrations de réutilisation ont été effectuées par les chercheurs en collaboration avec la société Alpha Recyclage Composites (ARC) basée à Toulouse.
Toutefois, le véritable enjeu reste de pouvoir réutiliser ces fibres pour des utilisations de plus haute performance. Pour cela, « il faudrait arriver à faire des fibres filées à partir des fibres courtes » résume Gérard Bernhart. « C’est une grosse action de recherche que nous poursuivons en partenariat avec ARC car personne au monde n’y arrive encore. » Ces pistes mettent en jeu des techniques propres à l’industrie textile, d’où un partenariat des chercheurs avec l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH). Pour l’instant, les réflexions sont encore prospectives et consistent à déterminer des technologies qui pourraient être utilisées pour concevoir des procédés de remise en forme. Une des idées serait par exemple d’utiliser des rouleaux crantés pour constituer des pelotes homogènes, puis une carde pour créer un voile uniforme, suivi d’une étape d’étirage et de filature.
Pour les fabricants de pièces composites, ces perspectives ouvrent la voie à des matériaux économiquement plus compétitifs. Certes, le recyclage est un enjeu environnemental, et à ce titre certaines régulations imposent des comportements aux industriels. C’est le cas par exemple des constructeurs automobiles qui, quelles que soient les pièces utilisées dans leurs voitures, doivent assurer que 85 % de la masse des véhicules hors d’usage soient recyclés. Mais des procédés de recyclages matures et efficaces permettraient également de réduire les coûts de fabrication des pièces en composites à fibre de carbone.
La fibre elle-même, neuve, coûte 25 € le kilo, voire 80 € le kilo pour les fibres destinées aux matériaux à haute performance. « Le prix s’explique principalement par les coûts de matière et d’énergie que la fabrication des fibres représente » pointe Gérard Bernhart. Des fibres recyclées conduiraient donc à de nouvelles opportunités industrielles. Loin d’être décorrélée de la perspective environnementale, cette dimension économique pourrait au contraire être un moteur de la structuration d’une filière performante de recyclage des fibres de carbone.
[1] Yannick Soudais est chercheur au laboratoire Rapsodee, unité mixe de recherche IMT Mines Albi/CNRS
[2] Gérard Bernhart est chercheur à l’Institut Clément Ader, unité mixte de recherche IMT Mines Albi/ISAE/INSA Toulouse/univertié Toulouse III-Paul Sabatier/CNRS
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