XENON1T observe l’un des évènements les plus rares de l’univers

C’est un curieux phénomène que les chercheurs de la collaboration XENON1T ont observé : la double capture simultanée de deux électrons par un noyau atomique de xénon. Un phénomène si rare qu’il a valu à cette collaboration scientifique incluant le laboratoire Subatech[1] de faire la Une de la prestigieuse revue Nature le 25 avril dernier. Il s’agit par la même occasion du phénomène le plus long et le plus rare jamais mesuré directement dans l’univers. Si cette observation — la première au monde — est vécue comme un succès par l’équipe, elle n’était pourtant pas le but premier des chercheurs. Explications et récit de ce résultat avec Dominique Thers, chercheur à IMT Atlantique et responsable France de la collaboration XENON1T.

 

Quel est ce phénomène de double capture simultanée de deux électrons par le noyau d’un atome ?

Dominique Thers : Dans un atome, il est possible qu’un électron [une charge négative] qui orbite autour du noyau soit capturé par celui-ci. À l’intérieur du noyau, un proton [une charge positive] va donc devenir un neutron [une charge nulle]. Ce phénomène est connu et a déjà été observé. En revanche, la théorie interdit ce phénomène pour certains éléments atomiques. C’est le cas de l’isotope 124 du xénon, dont le noyau ne peut pas capturer un seul électron. Le seul évènement autorisé par les lois de la physique nucléaire pour cet isotope du xénon est la capture de deux électrons en même temps, qui neutralisent deux protons pour donner deux neutrons dans le noyau. Le xénon 124 devient alors du tellure 124, un autre élément. C’est ce phénomène simultané de double capture que nous avons observé, et qui n’avait jamais été observé auparavant.

La collaboration XENON1T est destinée initialement à la recherche de WIMP, les particules qui constitueraient la mystérieuse matière noire de l’univers. Comment passe-t-on de cet objectif, à l’observation du phénomène atomique que vous avez réalisée ?

DT : Pour observer les WIMP, notre stratégie repose sur l’exposition de deux tonnes de xénon liquide. Ce xénon contient différent isotopes, dont à peu près 0,15 % de xénon 124. Cela peut sembler peu, mais sur deux tonnes de liquide c’est un nombre d’atomes très conséquent. Il y a donc une chance que cet évènement de double capture simultanée se produise. Lorsque c’est le cas, le nuage d’électrons autour du noyau se réorganise, et émet à la fois des rayons X et des électrons particuliers appelés électrons Auger. Tous deux vont interagir avec le xénon et produire de la lumière avec le même mécanisme que les WIMP de matière noire qui réagiraient avec le xénon. Avec le même instrument de mesure que celui destiné à détecter des WIMP, nous pouvons donc observer ce mécanisme de double capture simultanée. Et c’est la signature énergétique de l’évènement que nous mesurons qui nous renseigne sur la nature de l’évènement. En l’occurrence, ici l’énergie libérée était approximativement égale à deux fois l’énergie nécessaire pour lier un électron à son noyau, ce qui est caractéristique d’une double capture.

Pour comprendre le fonctionnement du détecteur XENON1T, lire notre article dédié : XENON1T : chasseur de matière noire grand format

Vous attendiez-vous à observer ces événements ?

DT : Nous n’avons pas du tout construit XENON1T pour observer ces événements. Cependant, nous sommes dans une logique de recherche croisée : nous savions qu’il y avait une chance que la double capture se produise, et que nous pourrions peut-être le détecter si cela arrivait. Nous savions aussi que la communauté qui étudie la stabilité des atomes et ce genre de phénomène voulait observer un tel évènement pour consolider leurs théories. Plusieurs autres expériences dans le monde s’y attellent. Ce qui est amusant, c’est que l’une de ces expériences, XMASS située au Japon, avait publié une théorie d’exclusion de l’observation avec une période plus grande que ce nous avons observé. Autrement dit, d’après leurs résultats précédents issus de leur recherche de cette double capture électronique, nous n’étions pas censés observer le phénomène avec les paramètres de notre expérience. En fait, après réévaluation, c’est simplement qu’ils n’ont pas eu de chance, et qu’ils auraient pu l’observer avant nous avec des paramètres similaires.

Une des caractéristiques principales de cette observation, et qui la rend particulièrement importante, c’est son temps de demi-vie. Pourquoi cela ?

DT : Le temps de demi-vie mesuré est de 1,8.1022 années, ce qui correspond à 1 000 milliards de fois l’âge de l’univers. Dit plus simplement, dans un échantillon de xénon 124, il faudra plusieurs milliards de milliards d’années avant que ces désintégrations se soient produites pour la moitié des atomes. C’est donc un processus extrêmement rare. C’est le phénomène au temps de demi-vie le plus long jamais observé directement dans l’univers ; les temps de demi-vie plus longs que cela sont pour l’instant tous déduis indirectement. Ce qu’il faut comprendre derrière toutes ces informations, c’est que réussir à observer un tel évènement aussi rare sous-entend que nous connaissons très bien la matière qui nous entoure. Nous n’aurions pas pu détecter cette double capture si nous ne connaissions pas notre environnement avec autant de précision.

Au-delà de cette découverte, qu’est-ce que cela vous apporte dans votre recherche de la matière noire ?

DT : La plus-value essentielle de ce résultat est qu’il nous conforte dans l’analyse que l’on pratique. C’est compliqué de chercher de la matière noire sans jamais avoir de résultats positifs. Nous sommes souvent confrontés au doute, alors voir que nous avons un signal positif avec une signature propre qui n’avait jamais été observé jusqu’à présent nous conforte. Cela prouve que nous travaillons dans un terrain nouveau, et nous incite à nous mobiliser. C’est une preuve de la pertinence de notre instrument, qui salue par la même occasion la qualité et la précision de nos campagnes de calibration.

À lire sur I’MTech : Même sans matière noire, XENON1T est un succès

Quelle est la suite à venir pour XENON1T ?

DT : Nous avons encore une campagne d’observation à analyser, car nous sommes dans une logique qui consiste à laisser l’expérience tourner plusieurs mois sans interférence humaine, avant de la découvrir et d’analyser les mesures pour chercher des résultats. Nous avons amélioré l’expérience début 2019 pour augmenter encore la sensibilité de notre détecteur. XENON1T comportait à l’origine une tonne de xénon, d’où son nom. À présent nous sommes à plus du double, et d’ici la fin de l’année l’expérience s’appellera XENONnT et contiendra 8 tonnes de xénon. Cela nous permettra d’avoir une limite de sensibilité à la détection de WIMP dix fois plus petite pour espérer détecter enfin ces particules de matière noire.

 

[1] Le laboratoire Subatech est une unité mixte de recherche IMT Atlantique/CNRS/Université de Nantes.

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