Tribune rédigée en partenariat avec The Conversation.
Par Myriam Benabid et Emmanuel Baudoin, Institut Mines-Télécom Business School ; et Serge Perrot, Université Paris Dauphine – PSL
D’après l’étude administrée par Kantar TNS en 2016, un peu plus d’un salarié sur deux avait recours à l’apprentissage numérique informel pour développer ses compétences au travail. Une seconde étude administrée par OpinionWay en 2018 a montré que ce chiffre concerne aujourd’hui un peu plus de 60 % des actifs.
Des besoins fondamentaux
Il n’est pas nouveau que les salariés se forment par eux-mêmes au quotidien, en observant leurs collègues ou manager, en lisant des journaux professionnels, en dialoguant avec leurs pairs… Cet ensemble de comportements d’apprentissage a commencé à être étudié et formalisé dans les années 1950 dans le sillage de Knowles, considéré comme le père de l’andragogie.
Formé à partir des mots grecs anciens andros (ἀνδρὀς), qui signifie « homme » (dans le sens d’homme mûr, et par extension de l’être humain adulte, non genré), et agogos (ἀγωγός), qui veut dire « guide », ce terme renvoie à l’acquisition de connaissances à l’âge adulte.
Dès les années 1960, Bandura explore les phénomènes de mimétisme, où les individus apprennent en observant ou en écoutant les autres, considérés comme « modèles » ou « formateurs ponctuels ». Puis, en 1996, trois chercheurs, Morgan McCall, Robert W. Eichinger et Michael M. Lombardo, du Center for Creative Leadership (en Caroline du Nord, aux USA) ont démontré, sur la base d’une étude auprès de 200 cadres, que l’individu apprend tout au long de sa vie et de façons diverses.
Dans cette étude, les situations traditionnelles (off-the-job learning) et formelles d’apprentissage (c’est-à-dire les canaux des formations officielles et/ou certifiantes) ne représentent que 10 % du temps d’apprentissage, contre 90 % pour les temps d’apprentissage informels, plus instantanés et désorganisés.
À une époque où l’obsolescence des compétences est de plus en plus rapide, l’apprentissage informel devient crucial pour les salariés et professionnels afin qu’ils puissent rester efficaces à leur travail. L’étude conduite par Kelley montre en effet que la part des connaissances stockées en mémoire et nécessaires à l’action professionnelle est estimée par les travailleurs en diminution constante : 75 % en 1986, 20 % en 1997, puis 10 % en 2006.
Une culture de l’apprentissage tout au long de la vie ou du « lifelong learning » vient peu à peu concurrencer la culture ancienne de la formation (training).
Dans un monde interconnecté, les possibilités d’apprentissage informel sont également démultipliées. Les outils ont imposé une métamorphose à grande échelle qui va du voisin de bureau aux 4 milliards d’internautes, du livre emprunté aux 30 millions d’articles créés en plus de 280 langues sur Wikipédia, en passant par les 2 millions d’inscriptions sur la plateforme de MOOC française FUN.
Des modalités nouvelles
À travers deux études de cas, nous avons analysé cette réalité auprès de consultants, auditeurs, et professionnels exerçant en libéral, identifié les facteurs de recours à ces pratiques, et mis en évidence quatre modes informels d’apprentissage numérique :
- Panoramix diffuse du contenu à son village gaulois grâce aux outils tels que les réseaux sociaux. C’est le cas par exemple de Laura, 31 ans, orthophoniste qui crée, diffuse et partage du contenu qu’elle estime intéressant au sein des groupes de confrères et consœurs orthophonistes, sur les réseaux sociaux. Au sein d’un groupe Facebook, « Les Orthos et la Neuro », ils sont plus de 11 000 confrères à échanger, partager, débattre sur les sujets d’actualité et préoccupations liées à leur profession.
- Idéfix suit les tendances de son métier ou de son secteur d’activités par des mises à jour ponctuelles et réactives. C’est le cas de Vincent, 32 ans, manager au sein d’un cabinet d’audit et de conseil, qui, avant de dormir, fait défiler les actualités LinkedIn. Cette démarche de veille est opportuniste et ce mode est mobilisé si les circonstances le permettent comme l’utilisation de temps creux, d’attente et de transports.
- Astérix mobilise toutes les ressources numériques disponibles nécessaires pour atteindre son objectif. C’est le cas de Caroline, 29 ans, consultante senior, à qui on propose une mission ambitieuse, éloignée de ses compétences actuelles. Elle relève ce défi, et s’auto-forme via toutes les ressources en ligne qu’elle jugera pertinentes. Sa démarche est intense et associée à un objectif précis représenté ici par cette nouvelle mission. Il peut également s’agir d’une autre démarche personnelle, telle qu’une promotion ou une reconversion.
- Obélix réagit aux difficultés qui se présentent dans l’exercice de son activité, et utilise sa force d’apprentissage pour le bon besoin, au bon moment. C’est le cas de Sarah, 36 ans, pharmacien, qui se doit de répondre aux questionnements et demandes de conseils de ses patients. Pour cela, elle fait appel aux contacts appropriés ou s’appuie sur des sites de confiance référencés en amont pour proposer une réponse très rapide et efficace.
Les quatre modes informels d’apprentissage numérique identifiés dans cet article résonnent en phase avec l’abandon du plan de formation depuis le 1ᵉ janvier 2019, au profit d’un plan de développement des compétences allant dans le sens d’une démarche plus personnalisée et centrée sur les objectifs de formation que sont les compétences cibles. Cette loi offre en effet des flexibilités dans la mise en place des parcours d’apprentissage qui sortent du traditionnel schéma planifié dans le temps et dans un espace.
Les entreprises, et toutes les formes d’organisation, ont là l’occasion de pouvoir gagner en souplesse pour coller aux pratiques réelles et aux besoins des salariés et professionnels d’aujourd’hui. Cela ouvre par exemple une réflexion sur la (co)-production, la structuration, la mise à disposition, l’utilisation, le partage, etc. des ressources numériques
Myriam Benabid, Directrice de programme, Institut Mines-Télécom Business School ; Emmanuel Baudoin, Professeur associé en RH, Institut Mines-Télécom Business School et Serge Perrot, Professeur de Management, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.