Air intérieur : ces polluants sous-estimés

Si certaines sources de pollution de l’air intérieur sont bien connues, d’autres demeurent encore mal comprises par les chercheurs. C’est le cas notamment des produits d’entretien et des huiles essentielles. Les composés libérés, ce qu’ils deviennent, et leur dynamique dans les bâtiments sont notamment étudiés par les chimistes d’IMT Lille Douai.

 

Lorsqu’il s’agit de qualité de l’air, s’enfermer chez soi n’est pas une solution pour se protéger de la pollution. « En plus des polluants de l’extérieur qui rentrent dans les bâtiments, il faut ajouter ceux qui proviennent de l’intérieur ! Une grande diversité de composés organiques volatils sont émis par les matériaux du bâti, les peintures ou encore le mobilier » rappelle Marie Verriele Duncianu, chercheuse en chimie de l’atmosphère à IMT Lille Douai. Le bois compacté associé avec de la résine, qui constitue souvent le mobilier d’intérieur, est une des premières sources de formaldéhyde. En définitive, l’air intérieur est en général plus pollué que l’air extérieur. Ce constat n’est pas nouveau, et il est le sujet de nombreuses campagnes d’information des agences environnementales, dont l’ADEME et l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI). Toutefois, plusieurs travaux académiques récents tendent à montrer que les sources de polluants intérieurs sont encore sous-estimées, et leurs émissions mal connues.

« Au-delà de tout ce qui vient de la construction et de l’aménagement, de nombreux composés sont émis par les activités des occupants » pointe la chercheuse. Les produits d’entretien, les activités de cuissons, mais également les produits d’hygiène ou de soin sont ainsi autant de sources de composés organiques volatils (COV) peu étudiées. Contrairement à leurs homologues issus du mobilier et du bâti, les polluants qui viennent des produits utilisés par les occupants ont une dynamique beaucoup plus rapide. Là où un mur émet en continu des petites quantités de COV, un produit nettoyant en émettra très spontanément une quantité parfois dix fois plus importante. Cette rapidité d’émission rend la mesure des concentrations et la caractérisation des sources bien plus complexe.

Parce qu’ils sont moins bien compris, ces polluants liés aux usagers sont également moins contrôlés. « Ils ne sont absolument pas pris en compte dans les règlementations » assure Marie Verriele Duncianu. « Les seules législations en rapport sont celles qui touchent d’une part les crèches et les écoles, et d’autre part celles qui imposent un étiquetage des matériaux de construction. » Les établissements recevant du jeune public ont obligation depuis de 1er janvier 2018 de surveiller dans leur air intérieur les concentrations en formaldéhyde et benzène. Cependant, aucune action sur les sources de ces polluants n’est imposée. L’ADEME a, quant à elle, émis une série de recommandations impliquant notamment de préférer des produits écologiques pour l’entretien des sols et des bâtiments.

Le paradoxe des produits écologiques

Ces conseils sont donnés dans un contexte où les consommateurs sont de plus en plus responsables sur leurs achats, y compris pour les produits d’entretien. Certains nettoyants bénéficient par exemple d’un Ecolabel, garantissant une empreinte environnementale plus faible. Cependant, l’impact en matière d’émissions de polluants n’est pas plus évalué sur ces produits considérés comme écologiques que sur leurs équivalents sans label. Sous couvert d’arguments marketing, les produits à base d’huiles essentielles se retrouvent ainsi affublés de certains bienfaits, sans aucune preuve pour les valider. Pour résumer simplement : les chercheurs  connaissent peu les conséquences sur la pollution intérieure ni des produits d’entretien classiques, ni de ceux réputés écologiques. En revanche, il n’est pas rare de trouver des fausses informations assurant l’inverse.

C’est justement en voyant naître des idées reçues et des vertus miracles sur des sites de consommateurs que Marie Verriele Duncianu a choisi de travailler sur un nouveau projet baptisé ESSENTIEL.  « Avec des collègues chercheurs, nous avons vu apparaître des discours expliquant que les huiles essentielles purifient l’air intérieur » se souvient la chercheuse. « Sur certains blogs, nous avons même lu des témoignages de consommateurs racontant que les huiles essentielles éliminent les polluants. C’est faux : si elles ont bien la capacité d’assainir l’environnement d’un point de vue bactériologique, elles n’éliminent pas du tout les polluants de l’air. Au contraire, elles en rajoutent ! »

Les chercheurs étudient en laboratoire le comportement des produits à base d'huiles essentielles. Quels composés sont libérés ? Comment se diffusent-ils dans l'air intérieur ?
Les chercheurs étudient en laboratoire le comportement des produits à base d’huiles essentielles. Quels composés sont libérés ? Comment se diffusent-ils dans l’air intérieur ?

 

Les huiles essentielles sont en effet riches en terpènes. Ces molécules sont allergisantes, surtout sur la peau. Elles peuvent également réagir avec l’ozone pour former des particules fines ou du formaldéhyde. En se concentrant sur les huiles essentielles et les molécules qu’elles libèrent dans l’air, le projet ESSENTIEL veut participer à combler le manque de connaissances sur les polluants intérieurs. Les chercheurs poursuivent ainsi deux objectifs : comprendre comment se déroulent les émissions des composés organiques volatils des huiles essentielles, et déterminer les risques liés à ces émissions.

Les premiers résultats montrent des dynamiques d’émission particulières. Sur les nettoyants de sol, « il y a un pic de concentration en terpènes sur la première demi-heure après utilisation » détaille Shadia Angulo Milhem, doctorante sur le projet dans l’équipe de Marie Verriele Duncianu. « Par ailleurs, la concentration en formaldéhyde augmente régulièrement au-delà de quatre heures après l’activité de nettoyage. » Le formaldéhyde est un produit très contrôlé, car irritant, et également cancérogène en cas d’exposition forte et répétée. Les concentrations mesurées jusqu’à plusieurs heures après utilisation de produits de nettoyage à base d’huiles essentielles sont dues à deux facteurs. Premièrement, aux terpènes qui réagissent avec l’ozone pour donner du formaldéhyde. Et deuxièmement, à la décomposition des libérateurs de formaldéhyde, utilisés comme conservateurs et biocide dans les produits d’entretien.

Vers des seuils règlementaires ?

Dans le cadre du projet ESSENTIEL, les chercheurs n’ont pas évalué que les produits nettoyants à base d’huiles essentielles. Ils se sont également intéressés aux dispositifs de diffusion d’huiles essentielles. Les résultats montrent des émissions caractéristiques de chaque dispositif. « Les diffuseurs par capillarité, comme un petit flacon avec des bâtonnets en bois, ont une mise en régime qui dure plusieurs heures » rapporte Shadia Angulo Milhem. « Les concentrations en terpènes se stabilisent ensuite et restent constantes durant plusieurs jours. » Les dispositifs vaporisant les huiles par chauffage ont quant à eux une émission plus spontanée, induisant une concentration moins permanente de terpènes dans le domicile.

Au-delà de la mesure des concentrations, la dynamique des composés organiques volatils libérés est difficile à appréhender. Dans certains bâtiments, ils peuvent être piégés dans des matériaux poreux, puis relargués des jours après lorsque l’humidité ou la température évolue. Comprendre comment ils sont absorbés par les surfaces en intérieur fait partie des pistes que les chercheurs souhaitent investiguer par la suite. Les comportements des polluants sont en effet cruciaux pour établir le risque qu’ils présentent. Un composé n’est pas aussi dangereux selon qu’il se disperse très rapidement dans l’air, ou qu’il s’accumule pendant des jours dans des peintures ou des faux plafonds.

À l’heure actuelle, aucun seuil règlementaire n’existe pour la concentration de terpènes dans l’air, par méconnaissance à la fois de l’exposition de la population, mais aussi de la toxicité à court et long terme. Rappelons que le risque associé à l’exposition à un polluant dépend de la toxicité du composé, de sa concentration dans l’air et du temps passé à son contact. À son terme prévu en 2020, le projet  ESSENTIEL, devra générer un rapport technique et scientifique rendu à l’ADEME. Dans l’attente d’éléments de législation, les résultats devront notamment permettre de produire a minima des fiches de recommandations quant à l’utilisation de des produits à base d’huiles essentielles.  Elles permettront alors d’informer le consommateur des bienfaits réels, tout comme des effets potentiellement néfastes, des produits qu’il achète, loin de la spéculation pseudo-scientifique et des arguments de vente.

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