Les personnes atteintes de glaucomes ou de rétinites pigmentaires développent une sensibilité accrue à la lumière et perdent progressivement la vision périphérique. Ces deux symptômes qui induisent une gêne évidente dans la vie quotidienne contribuent également à une diminution de l’activité sociale des patients. Le projet de recherche AUREVI impliquant IMT Mines Alès souhaite améliorer la qualité de vie de ces personnes malvoyantes grâce à un casque de réalité virtuelle.
La rétinite pigmentaire et le glaucome sont deux maladies dégénératives de l’œil. Si leurs causes sont différentes, elles se traduisent par des symptômes semblables, à savoir une sensibilité accrue aux changements de lumière, et une perte progressive de la vision périphérique. Afin de pallier en partie ces déficiences, le projet de recherche AUREVI a vu le jour en 2013. Depuis 6 ans, il rassemble les chercheurs d’IMT Mines Alès et l’institut ARAMAV à Nîmes spécialisé dans la réadaptation et la rééducation pour les déficients visuels. Ensemble, les deux centres mettent au point une solution basée sur la réalité virtuelle pour améliorer le quotidien des patients atteints de rétinite pigmentaire ou de glaucome.
« Chez ces patients, toute source de lumière peut être une gêne » explique Isabelle Marc, chercheuse en traitement d’image à IMT Mines Alès sur le projet AUREVI. Un écran d’ordinateur allumé peut par exemple les éblouir. Lorsqu’ils se promènent en extérieur, les changements de lumière entre les zones d’ombres et les zones de clarté, ou même les éclaircies du ciel, entrainent des éblouissements violents. « Pour ces personnes malvoyantes, le temps de réadaptation de l’œil à la nouvelle luminosité est bien plus long que pour les personnes saines » ajoute la chercheuse. « Là où il faut quelques secondes normalement pour pouvoir rouvrir les yeux après un éblouissement ou pour mieux voir en zone ombragée, il faudra aux patients plusieurs dizaines de secondes, voire quelques minutes. »
Contrôler la lumière
Grâce à un casque de réalité virtuelle, l’équipe d’AUREVI propose aux personnes malvoyantes atteintes de rétinite et de glaucome un meilleur contrôle de la luminosité. Des caméras renvoient sur les écrans du casque l’image que percevraient normalement les yeux. En cas de changement brusque de lumière, des algorithmes de traitement d’image modifient la luminosité de l’image afin de la maintenir constante aux yeux du patient. Pour les chercheurs, la difficulté principale de ce dispositif reste la latence. « Nous voulons atteindre le temps réel, car il faut un décalage minimal entre ce qui est affiché sur l’écran du casque et ce qui se trouve réellement face à l’utilisateur » pointe Isabelle Marc. L’équipe utilise donc des caméras logarithmiques, qui permettent de capturer directement des images HDR (High Dynamic Range), ce qui améliore le temps de traitement.
Le casque se veut un remplacement aux lunettes noires que portent habituellement les personnes atteintes des pathologies en question. « C’est une sorte de paire de lunettes noires adaptatives dont la teinte peut varier pixel par pixel » résume Isabelle Marc. L’avantage de cet outil est qu’il peut être calibré en fonction de chaque patient. Selon le degré d’avancement de la rétinite ou du glaucome, la sensibilité sera différente, et cela peut être pris en compte dans le traitement des images qui est réalisé. Pour cela, les scientifiques ont développé un test spécifique pour évaluer le degré de luminosité qu’une personne peut supporter. « C’est un test qui pourrait être pratiqué pour paramétrer le dispositif, et ainsi l’adapter au mieux à tout utilisateur » souligne la chercheuse.
Les premiers essais cliniques du casque ont débuté sur quinze sujets en 2016. Il s’agit dans un premier temps de mesurer les niveaux de luminosité ressentis comme confortables par chaque sujet, et de recueillir des témoignages sur le confort du dispositif, avant d’envisager d’évaluer le service rendu aux personnes malvoyantes. Pour cela, les chercheurs font varier la luminosité d’un écran face à des patients équipés du casque, et ceux-ci donnent leur ressenti. Isabelle Marc rapporte que « les premiers retours des patients montrent qu’ils préfèrent porter le casque qu’autre chose pour contrôler la luminosité ». Cependant, les testeurs témoignent également de l’encombrement du dispositif. « Nous travaillions jusque-là avec des gros casques disponibles sur la marché, dont le design n’est pas fait pour se promener avec » concède la chercheuse. « Nous sommes donc en train de démarcher des partenaires industriels pour nous aider à passer sur un prototype de présérie dont le design serait pensé pour le déplacement. »
Indiquer ce que les patients ne voient pas
Si le contrôle de la luminosité apporte déjà une amélioration importante au confort visuel des patients, les chercheurs ne veulent pas s’arrêter là pour autant. Le projet AUREVI a également pour ambition de compenser un autre symptôme induit par les glaucomes et les rétinites : la perte de la stéréovision. Progressivement, les malades perdent en effet des degrés de champ visuel, pour atteindre 2 ou 3 degrés autour de 60 ans, voire la cécité complète. Avant ce dernier stade, il y a une étape importante dans l’évolution du handicap, comme le décrit Isabelle Marc : « Dès que la personne passe sous 20 degrés de champ de vision, les images des yeux ne se recouvrent plus, et le cerveau ne peut plus reconstruire l’information 3D. »
Sans cette vision stéréoscopique, le patient ne perçoit donc plus la profondeur de champ. L’une des futures étapes du projet sera d’intégrer au casque une fonctionnalité capable de compenser ce déficit de vision tridimensionnelle. Les chercheurs travaillent sur des méthodes pour transmettre l’information de profondeur. Ils étudient actuellement la pertinence d’un affichage par codage en couleur : un objet proche serait ainsi coloré en rouge par exemple, et un objet lointain en bleu. Plus que du confort, cette fonctionnalité apporterait également plus de sécurité. Les patients souffrant d’un stade avancé de glaucome ou de rétinite ne voient en effet pas des objets situés au-dessus de leur tête pouvant les blesser, ni au niveau de leurs pieds pouvant les faire tomber.
Cette perte d’information sur l’environnement induit chez les personnes malvoyantes un sentiment de danger qui progresse en même temps que les symptômes empirent. Couplée à des gênes de plus en plus fréquentes lorsque la luminosité change, cette peur entraîne souvent une exclusion sociale. « Les patients osent de moins en moins se déplacer, en particulier en extérieur » constate Isabelle Marc. « Au travail, leur refus de participer à des activités extra-professionnelles avec leurs collègues est souvent mal compris. Comme ils peuvent garder une bonne acuité visuelle pour lire par exemple, les personnes à la vue normale ont du mal à saisir où se situe le handicap. Les malvoyants ont alors un cercle social qui se réduit petit à petit. » Le casque développé dans le cadre du projet AUREVI représente alors une opportunité d’améliorer l’insertion sociale et professionnelle de ces personnes. Pour cette raison, il est soutenu financièrement par plusieurs entreprises dans le cadre des missions handicap et diversité — en particulier Sopra Steria, Orano, Crédit Agricole et Thalès. Les chercheurs comptent notamment sur ces opérations d’aide aux personnes handicapées pour continuer à développer leur projet.
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