Pourquoi la blockchain ne se développe pas plus vite

Patrick Waelbroeck, Télécom ParisTech – Institut Mines-Télécom, Université Paris-Saclay

Ce texte est publié dans le cadre de la chronique « Société numérique », proposée par les chercheuses et chercheurs du département Sciences économiques et sociales de Télécom ParisTech, membres de l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (CNRS).

La blockchain a été annoncée comme la prochaine révolution numérique avec des applications multiples et concrètes : des contrats d’assurance automatiques à la traçabilité de produits en temps réel et le partage de données intelligent.

Malgré ces belles promesses, après 10 ans d’existence, la seule application vraiment déployée à grande échelle reste toutefois, le bitcoin avec plus de 20 millions d’utilisateurs. Et encore, ce succès est à relativiser, puisque les cryptomonnaies représentent moins de 1 % des usages d’instruments de paiement en France.

Long délai de validation

Trois éléments peuvent expliquer cette lente diffusion : premièrement, il est difficile de passer à l’échelle. Le temps de validation d’un bloc sur le réseau bitcoin est de 10 minutes. Sur le réseau Ethereum, on se souviendra de l’épisode des CryptoKitties, une application ludique permettant d’élever des chats virtuels, qui ont ralenti le réseau pendant plusieurs jours.

Les CryptoKitties, « adorables » ralentisseurs du réseau Ethereum. Ricky Kresslein/Shutterstock

 

L’une des principales explications de ce long délai de validation des blocs est l’externalité négative de minage. En effet, la difficulté du minage augmente avec la puissance de calcul sur le réseau. Ainsi, lorsqu’un mineur investit dans du nouveau matériel plus puissant, il augmente sa probabilité de valider un bloc et donc d’être récompensé en cryptomonnaies. Cependant, il exerce également une externalité négative sur les autres mineurs du réseau qui voient la difficulté augmenter et donc leur probabilité de valider un bloc diminuer. Ils sont alors incités à investir eux-mêmes dans du nouveau matériel de minage, ce qui augmente la difficulté, etc. Ainsi, le niveau de difficulté et donc le temps pour valider un nouveau bloc augmente avec la valeur de la devise, bitcoin ou ether.

Deuxièmement, la blockchain apporte certes des éléments de confiance, mais pose dans le même temps de nouveaux défis. Cette confiance est traditionnellement garantie par un expert assermenté, tel un notaire, qui certifie qu’une transaction a bien eu lieu en conformité avec le droit. On parle de confiance centralisée. Or, même un expert peut se tromper. Le groupe de vente aux enchères Sotheby’s a par exemple été accusé d’avoir expertisé un original du Caravage comme une copie.

Failles de sécurité

Une alternative est alors de se tourner vers l’expertise de la foule, comme l’encyclopédie contributive Wikipedia, et vers les systèmes de recommandation en ligne, comme celui d’eBay. Toutes les études montrent que la qualité scientifique des articles de Wikipedia est équivalente à celle des articles écrits par les experts de l’encyclopédie Britannica.

De même, les études économétriques montrent que le système de notation d’eBay exclut rapidement les mauvais vendeurs et permet aux bons vendeurs d’augmenter leurs ventes et même de vendre leurs produits plus chers grâce à une prime à la réputation. Cependant, cette confiance décentralisée connaît le problème des biens publics et du passager clandestin. Ainsi, sur eBay, il n’y a qu’environ 50 % des transactions qui sont évaluées ; sur Wikipedia moins de 1 % des utilisateurs contribueraient à fournir entre 77 % et 90 % du contenu, selon les estimations.

C’est là qu’intervient la blockchain qui garantit une confiance distribuée : tous les nœuds du réseau possèdent une copie de la blockchain et contribuent ainsi à sa sécurisation. C’est l’incontestable atout de la blockchain : rassembler les deux mots « sécurité » et « distribué ». En effet, la sécurité informatique est aussi un bien public, à la fois non rival et non excluable. Ainsi, le secteur privé a tendance à sous-investir en sécurité informatique, comme l’attestent régulièrement les affaires de piratage de comptes. La blockchain résout le problème de bien public en donnant des incitations monétaires directes lorsqu’un nœud du réseau contribue à la sécurité de la blockchain.

Mais, dès lors que l’on sort de la blockchain, on ouvre la possibilité de piratages informatiques. C’est notamment le cas chez les nombreux intermédiaires qui ont vu le jour pour faciliter la gestion des portefeuilles de cryptomonnaies. De même, il existe des plates-formes d’échange qui permettent de convertir les cryptomonnaies en d’autres monnaies. Les clés privées et autres données personnelles sont stockées hors blockchain et ne sont pas soumises au même protocole de sécurité que dans la blockchain elle-même.

On compte par centaines de millions les pertes en euros suite à des hacks (piratages) ou parce qu’un utilisateur a perdu sa clé privée ou se l’est fait extorquée, ou en encore s’est fait voler son disque dur. Au total, un cinquième des bitcoins sont portés disparus. Ensuite, les smart contracts (contrats intelligents), des codes qui déclenchent des actions automatisées sur une blockchain, en particulier sur la blockchain Ethereum, utilisent des données externes.

Un cinquième des bitcoins auraient disparu dans la nature. Castrophoto/Shutterstock

 

Par exemple, un contrat d’assurance de retard de vol a besoin de consulter une source externe (appelée dans le jargon un « oracle logiciel ») avant de déclencher un remboursement automatisé. Si les données en entrée ne sont pas fiables ou s’il y a un bug dans le code, le smart contract peut avoir des effets inattendus, voire causer des dommages. Ceci nous amène au troisième point.

Aspects obscurs de la gouvernance

La gouvernance du protocole de communication du réseau bitcoin est cruciale pour garantir la confiance dans la technologie. Or, cette gouvernance pose problème à deux niveaux. Tout d’abord, le protocole de communication est comme une grammaire pour une langue parlée. Si l’on change trop souvent les règles, on court le risque que les gens ne se comprennent plus. Il en va de même pour les réseaux blockchain : on ne peut modifier les règles du protocole sans conséquence. Ainsi, lorsqu’un changement majeur est souhaitable, il s’agit de garantir que tous les nœuds du réseau adoptent le changement de règle, car sinon on risque une division du réseau en deux (« fork »), les nœuds qui ont accepté le changement et ceux qui l’ont rejeté. Or, et c’est le deuxième point, la puissance de calcul est aujourd’hui concentrée sur un nombre très limité de fermes et de pools de minage qui ont une influence sur le vote d’un fork. Ces deux aspects relativement obscurs de la gouvernance d’une blockchain publique peuvent réduire la confiance des utilisateurs : les forks risquent de diviser le réseau et par voie de conséquence la valeur des cryptomonnaies associées.

Pour résumer, la blockchain résout des problèmes de confiance dans l’économie numérique mais en crée de nouveau à travers les problèmes de la sécurisation des plates-formes d’échange, des smart contracts qui nécessitent des données hors blockchain et des questions de gouvernance liés aux forks.The Conversation

Patrick Waelbroeck, Professeur d’économie à Télécom ParisTech, Télécom ParisTech – Institut Mines-Télécom, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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