Empreinte carbone, consommation d’eau, pollution, modification de la biodiversité… les conséquences d’une activité sur l’environnement sont multiples. La complexité de nos impacts est telle qu’un champ de recherche à part entière s’est développé pour les évaluer et les comparer. À IMT Mines Alès, une équipe de scientifiques travaille sur des outils pour améliorer la prise en compte de tous nos impacts, et ainsi dresser un portrait aussi juste que possible de notre empreinte sur l’environnement. Miguel Lopez-Ferber, chercheur au sein de cette équipe, nous présente quelques-unes des problématiques scientifiques importantes pour une amélioration des méthodes d’évaluation environnementale. Il nous parle également de la difficulté de mettre en place des indicateurs, et de les agréger pour une prise de décision efficace.
Est-il possible d’évaluer avec précision tous les impacts d’un produit sur l’environnement ?
Miguel Lopez-Ferber : Il y a des choses que nous savons mesurer. C’est le cas de l’empreinte carbone ou de la pollution générée par un produit ou un service. L’utilisation des produits phytosanitaires est également un impact que nous savons évaluer. En revanche, il y a des choses qui sont plus difficiles à mesurer. Les impacts liés à la consommation en eau nécessaire à la fabrication d’un produit ont par exemple été extrêmement difficiles à évaluer par le passé. Pour un usage donné, un litre d’eau prélevé dans une région peut générer des impacts très différents du prélèvement d’un litre d’eau dans une autre région. Le type d’eau, le climat et même la source d’électricité utilisée pour extraire, transporter et traiter l’eau seront différents. Aujourd’hui nous savons le faire un peu mieux, mais pas parfaitement. Nous avons également du mal à quantifier l’impact de l’aménagement d’un territoire par l’humain sur la biodiversité.
Est-ce un problème de ne pas pouvoir tout mesurer en matière d’impact ?
MLF : Si nous ne prenons pas en compte la totalité des impacts, nous risquons de ne pas voir ceux qui sont véritablement importants. Prenons une bouteille de jus de fruit par exemple. Si nous ne nous intéressons qu’à l’empreinte carbone, nous allons choisir plutôt un jus dont les fruits sont produits localement, ou dans des pays frontaliers. Le transport représente en effet une part importante de l’empreinte carbone. Pourtant, il est possible qu’une production locale utilise une ressource en eau marquée par un stress hydrique plus important que celui d’un pays plus éloigné. Peut-être que l’impact sur la biodiversité est également plus élevé… Nous pouvons donc avoir une vision faussée de la réalité.
Quelle est la difficulté pour évaluer l’empreinte eau d’un produit ?
MLF : Ce qui est difficile, c’est d’abord de différencier les types d’eau. Il faut savoir d’où provient l’eau utilisée. Ce ne sera pas la même chose si on prélève de l’eau d’une nappe captive sous le Sahara, ou si on prend l’eau du Rhône. Il faut évaluer la rareté de l’eau pour chaque site de provenance. Et l’autre chose délicate, c’est de comprendre les effets associés. Dans une région, si le mix d’eau utilisé correspond à 60 % d’eau de surface, 30 % d’eau de rivière, et 10 % d’eau souterraine, ça ne dit pas pour autant quels sont les impacts environnementaux. Il faut ensuite analyser pour chaque source si le prélèvement a des conséquences, comme par exemple un asséchement de nappe. Il faut aussi pouvoir différencier les différents usages de l’eau pour une région donnée, ainsi que les conditions socio-économiques associées, qui vont avoir un effet important sur le choix des technologies utilisées dans le transport et le traitement de l’eau.
Que sait-on bien déterminer de l’impact d’utilisation de l’eau ?
MLF : La thèse de Susana Leão, codirigée par mon collègue Guillaume Junqua, a permis de régionaliser les inventaires, c’est-à-dire : quelle est l’origine de l’eau dans chaque région en fonction des différents usages domestiques, agricoles ou industriels, et quelles sont les technologies associées ? Auparavant, nous n’avions que des origines moyennes par continent : pour un kilo d’acier produit en Europe, je connaissais la consommation d’eau moyenne, mais sans savoir s’il s’agissait d’eau de rivière, ou issue du dessalement, par exemple. Dès que l’on voulait rentrer dans le détail régional c’était plus difficile. Aujourd’hui, nous savons différencier la composition du mix d’eau d’un pays à un autre — voire même entre grands bassins hydrographiques. En fonction des données disponibles, il est possible de focaliser sur une région plus restreinte.
Concrètement, qu’est-ce que ces travaux apportent sur l’étude des impacts ?
MLF : La conséquence, c’est que nous pouvons différencier des sites de production localisés dans des endroits différents. Chaque type d’eau dans chaque site pourra induire des impacts différents, et nous pouvons prendre cela en compte. De plus, dans l’analyse d’un produit, comme la bouteille de jus de fruit, on peut catégoriser les impacts entre ceux qui sont induits sur le site de consommation — le transport ou les déchets par exemple — et ceux qui sont induits en dehors du site — la production ou l’emballage. En matière d’analyse du cycle de vie, cela permet de connaître les conséquences d’une activité sur son propre territoire, et sur les territoires extérieurs, plus ou moins lointains.
Sur les questions de territoire, vos travaux portent aussi sur la fragmentation des habitats : de quoi s’agit-il ?
MLF : Lorsque vous développez une activité, vous avez besoin d’espace pour construire une usine. Vous allez aménager des routes et transformer le territoire. Ces modifications perturbent les écosystèmes. Nous nous sommes par exemple rendu compte que pour une même superficie modifiée, les impacts peuvent être très différents. Par exemple, si vous ne faites que diminuer la surface d’un habitat, sans le couper, les espèces ne sont pas séparées. À l’inverse, si vous fragmentez de manière répétée, les espèces ont du mal à se déplacer entre leurs différents habitats, et s’isolent. Nous travaillons donc sur des méthodes d’évaluation de la dispersion des espèces, et de leur capacité à s’interconnecter entre différents fragments d’habitat.
Avec la multiplication des indicateurs d’impact, comment prendre en compte toutes ces empreintes ?
MLF : C’est très compliqué. Lorsque l’analyse du cycle de vie d’un produit comme un ordinateur est effectuée, un rapport est rendu dans lequel seront présentes une vingtaine de classes d’impact : changement climatique, pollution, relargage de métaux lourds, radioactivité, consommation d’eau, eutrophisation des milieux aquatiques… Cependant, les décideurs aiment avoir un petit nombre de paramètres, donc il faut encore les agréger en catégories. Elles sont essentiellement au nombre de trois : l’impact sur la santé humaine, l’impact sur les écosystèmes, et l’épuisement des ressources. Ensuite, les décideurs arbitrent.
Comment arbitrer entre des catégories toutes aussi importantes ?
MLF : Les rapports d’impact posent toujours la question aux décideurs de ce qu’ils veulent prioriser. Veulent-ils un produit ou un service qui minimise la consommation d’énergie ? La production de déchets ? L’utilisation des ressources en eau ? Les méthodes d’agrégation reposent déjà sur des échelles de valeur, des hypothèses très fortes, et la décision finale d’arbitrage encore plus. Il n’y a pas de moyen de fixer une échelle universelle, parce que les valeurs sous-jacentes ne sont pas universelles. Selon les propres convictions d’un décideur, selon sa situation géographique, la pondération des différents impacts sera spécifique. C’est un travail qui ne recouvre donc pas que des aspects d’ingénierie classique, mais aussi une dimension sociologique. Et les choix d’arbitrage deviennent une discussion politique.
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