Part matérielle du numérique, les data centers fleurissent aux abords des villes. Promus par les élus, parfois contestés par les riverains, et encore peu régulés, ils soulèvent de nouvelles problématiques sociales, juridiques et techniques. Tour d’horizon des défis que ces infrastructures posent à la ville, avec Clément Marquet, doctorant en sociologie à Télécom ParisTech, et Jean-Marc Menaud, chercheur spécialisé en Green IT à IMT Atlantique.
A l’échelle globale, les technologies de l’information pèsent désormais pour près de 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit autant que l’aviation civile. Par ailleurs, « l’industrie du numérique engloutirait 10 % de la production d’énergie mondiale » explique Clément Marquet, chercheur en sociologie à Télécom Paristech et qui étudie cette face discrète du numérique. La consommation énergétique nécessaire au bon fonctionnement des infrastructures, sous couverts d’enjeux de fiabilité et de maintien d’un certain niveau de qualité des services, est particulièrement pointée du doigt.
Et de fait, avec le besoin d’informations en temps réel, le stockage et le traitement de l’information doivent se rapprocher de leur lieu de production. Aussi, les data centers poussent depuis quelques années sur le territoire. Mais pas n’importe où. On en dénombre près de 150 dans toute la France. « Plus d’un tiers de ces infrastructures se concentre en Ile-de-France, à Plaine Commune – c’est un record en Europe. Et cela a fini par transformer une partie des espaces urbains, non sans susciter des réactions de la part des riverains » poursuit le chercheur.
La Plaine commune, Data Valley européenne
Dans ses travaux, Clément Marquet questionne l’intégration de ces usines à données en zone urbaine. Il souligne la « furtivité » de leur architecture car les data centers sont généralement établis « dans des entrepôts réhabilités ou neufs, sans indice ni affichage qui laisseraient envisager leur activité ». Il analyse également le faible intérêt des acteurs politiques et élus locaux, en partie par méconnaissance du sujet. Il prend pour exemple la rue Rateau, à la Courneuve. D’un côté de cette rue pavillonnaire, à quelques mètres des premières habitations, un data center flambant neuf est inauguré fin 2012 par Interxion. Cette installation ne s’est pas faite dans la douceur, comme le rapporte le sociologue :
« Ces espaces, entre 1 500 et 10 000 m2, ont des conséquences urbaines multiples. Ils pèsent sur les réseaux de distribution énergétique mais pas uniquement. Ils provoquent des nuisances sonores à cause des climatiseurs nécessaires à leur refroidissement. Les riverains pointent également les risques d’explosion dus aux 568 000 litres de fuel stockés sur les toits pour alimenter les générateurs de secours ainsi que la non-réutilisation de l’énergie par le réseau de chaleur urbain. Ensuite, à l’échelle de la communauté d’agglomération, Plaine Commune, il y a également une inquiétude liée au peu d’emplois locaux créés par rapport au foncier occupé. Cela n’a plus rien de virtuel. »
Et parce que les besoins énergétiques de ces fermes à données sont considérables, la polémique sur le territoire de la Plaine Commune s’est cristallisée sur le risque d’une saturation virtuelle de l’électricité. Les data centers réservent davantage d’énergie qu’ils n’en consomment réellement afin de pallier les potentielles pannes. Cette électricité, réservée donc, ne peut être utilisée à d’autres fins. Ainsi, si la Courneuve compte près de 27 000 habitants, ce data center requiert l’équivalent d’une ville de 50 000 personnes. Le sociologue constate qu’il n’y a pas eu de concertation auprès des habitants lors de l’installation de ce bâtiment. Ils ont fini par intenter un procès à l’installation. « Cela pose la question de la viabilité de ces infrastructures en milieu urbain, invisibles mais invasives».
Une possible intégration écologique
Pour donner une dimension plus vertueuse et acceptable aux data centers, et intégrer de ce fait les enjeux écologiques au numérique, l’une des pistes envisagées pourrait être leur raccordement au réseau de chaleur urbain. Les data centers ne seraient plus seulement consommateurs mais producteurs d’énergie. Cela permet, théoriquement, de chauffer des piscines ou des logements. Toutefois, cela n’est pas une opération facile. À la Courneuve, Interxion avait annoncé en 2015 le raccordement d’un futur centre de 20 000 m2. Annonce sans suite, tenant plus de la promesse que d’un horizon probable de transformation des pratiques. D’une part, parce que le raccordement au réseau de chaleur urbain nécessite une importante et difficile coordination entre tous les acteurs. Un tel projet bute notamment sur la réticence des hébergeurs à communiquer sur leur consommation. D’autre part, parce que les hébergeurs ne disposent pas toujours d’instruments pour valoriser la réutilisation de la chaleur.
Autre piste envisageable : optimiser les performances énergétiques des data centers. Les réflexions autour d’un numérique éco-responsable mobilisent de nombreux chercheurs de la Green IT. Jean-Marc Menaud, coordinateur du projet collaboratif EPOC (Energy Proportional and Opportunistic Computing systems) et directeur du projet CPER SeDuCe (Sustainable Data Center), en fait partie. Il travaille sur l’anticipation de la consommation, soit la prédiction du besoin énergétique d’une application, combinée à la prévision de la production électrique. « La consommation énergétique du numérique repose sur trois piliers : un tiers est dû au fonctionnement permanent des data centers, un tiers au réseau internet lui-même » explique-t-il, le dernier tiers étant lié aux terminaux des utilisateurs et aux objets connectés.
À lire sur I’MTech : Data center, un défi énergétique à relever
Le campus d’IMT Atlantique accueille depuis l’été 2018 un centre de données d’un genre nouveau, dédié à la recherche et mis à la disposition de la communauté scientifique. « Le principal objectif de SeDuce est de réduire la consommation énergétique due au système de climatisation. Car en matière d’énergie, rien ne se perd, tout se transforme. Or, pour le bon fonctionnement des serveurs, il faut évacuer cette chaleur, qui tourne autour de 30-35°C. La climatisation est donc fondamentale » poursuit-il. « Et dans la majorité des cas, l’utilisation des climatiseurs est surdimensionnée : pour 100 watts nécessaires au fonctionnement d’un serveur, 100 autres sont dépensés pour le refroidir ».
Comment marche SeDuCe ? Le data center, d’une capacité de 1 000 cœurs, soit 50 serveurs, est criblé de capteurs et de sondes permettant ainsi un suivi très précis des températures. Les serveurs sont isolés de l’air ambiant dans des racks étanches. Ce confinement hermétique – et ajusté – des serveurs a permis une optimisation des dépenses énergétiques de refroidissement d’un facteur 10 : pour 100 watts consommés par les serveurs, il ne suffit plus que de 10 watts pour les refroidir. « Bientôt, SeDuCe sera alimenté en journée par le photovoltaïque. Un autre de nos objectifs est ainsi d’amener les utilisateurs à adapter leur manière de travailler à la quantité d’énergie disponible. Une solution tout à fait applicable pour des centres de données plus imposants. » Preuve que la transition énergétique passe aussi par les nuages.
Article écrit par Anne-Sophie Boutaud, pour I’MTech.
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