Décomposer pour mieux construire

Un sentiment d’appropriation des biens par les clients pousse les entreprises à développer la personnalisation de leurs produits. Élise Vareilles, chercheuse en génie industriel à IMT Mines Albi, travaille sur le développement d’outils d’aide à la décision interactifs. Son objectif : aider les entreprises à proposer du sur-mesure en série tout en maîtrisant les risques liés à leur production. Ces recherches ont été présentées en octobre 2018 lors du colloque IMT « Systèmes de production du futur ».

 

Monsieur Martin souhaite une voiture rouge cinq portes avec un toit ouvrant. Madame Martin désire un véhicule hybride muni d’une caméra de recul et de sièges en cuir. Le commercial aimerait leur vendre un modèle combinant leurs envies mais les options « hybride » et « toit ouvrant» sont incompatibles. La personnalisation de services (prêts, crédits, etc.) et de biens physiques (voiture, meuble…) est une offre de plus en plus proposée par les entreprises. Le challenge : concevoir un produit en série répondant à la demande spécifique d’un client. Pour satisfaire ce dernier et gagner des parts de marché, les entreprises doivent personnaliser leur production. Mais comment ?

Afin de configurer leurs produits, les entreprises doivent en quelque sorte les découper en morceaux. Dissocier le moteur des roues et de la carrosserie dans le cas d’une voiture par exemple. L’identification de l’ensemble des éléments constituant un produit joue alors un rôle majeur dans sa personnalisation.

« Le but est de mettre au point des outils informatiques qui permettent de modéliser chacun de ces éléments comme des briques de Lego que l’on assemble. J’ai des briques de différentes couleurs, appelées « variantes », et j’ai plusieurs formes correspondant à des options. On va modéliser leur compatibilité. L’objectif des entreprises est d’assurer que la demande d’un client est réalisable à partir de toutes les options qu’elle propose », explique Élise Vareilles, chercheuse à IMT Mines Albi.

Quel catalogue de produits ou de services puis-je offrir à mes clients en fonction des options que je propose et de leur compatibilité entre elles ? Pour aborder cette préoccupation émergente, l’équipe d’Élise Vareilles fait appel à l’intelligence artificielle.

Connaissances et maîtrise des risques

L’équipe de recherche travaille sur le développement de configurateurs interactifs permettant un véritable dialogue avec l’utilisateur. Ceux-ci permettent à l’utilisateur d’entrer différents critères de personnalisation d’un produit ou d’un service et de visualiser son produit. Par exemple, les options de votre prochaine voiture. Pour y parvenir, l’intelligence artificielle est alimentée par les connaissances de l’entreprise. « Nous formalisons informatiquement des connaissances explicites (lois de comportement, poids de composants, etc.) et implicites, c’est-à-dire liées au métier (processus de fabrication, bonne pratique, etc.). Toutes ces informations permettent de créer des modules, ou briques, formant le corpus de connaissances du logiciel », détaille Élise Vareilles.

Mais toutes les connaissances d’une entreprise ne sont pas nécessaires à la réalisation de chaque produit. C’est pourquoi, l’outil active les corpus de savoirs pertinents selon le contexte précisé par l’utilisateur. Cibler les connaissances utiles lui permet ainsi d’accompagner l’utilisateur avec des propositions avisées. À Élise Vareilles d’ajouter : « avec certains configurateurs, je rentre tous mes besoins et ils m’indiquent sans explication qu’aucun produit ne correspond à ma demande. Je ne sais pas quels sont les choix à remettre en cause. Notre outil guide l’utilisateur en lui précisant notamment l’incompatibilité de certains critères. Ainsi, il peut lui indiquer que la taille d’un moteur impacte la dimension des roues et inversement ».

Enjeux 4.0 pour l’usine de demain

Les chercheurs ont mis au point un outil générique applicable à des contextes variés. Il a notamment aidé des architectes à configurer de nouvelles façades d’isolation de 110 logements sociaux dans les Landes. « La façon la plus optimale d’agencer les panneaux était symétrique or les architectes nous ont précisé que ce n’était pas beau ! La beauté n’est par un paramètre que l’on peut programmer par une équation. Il fallait trouver un compromis entre les propositions du logiciel évaluant toutes les possibilités d’assemblage et des contraintes que seul l’humain pouvait valider », raconte la chercheuse. Le caractère interactif de l’outil permettait de pallier à ce problème. Il proposait des configurations d’assemblages de panneaux d’isolation modulables par les architectes. Mais il pouvait aussi intervenir pour compléter les propositions des architectes selon les contraintes des façades (fenêtres, volets roulants, etc.) et les géométries des panneaux.

Dans le cadre de l’industrie du futur, un tel outil apporterait un avantage concurrentiel certain en captant 80% des besoins clients. Il permet de maîtriser des coûts de conception. La décomposition en briques et la connaissance de leurs associations possibles font que l’outil aide à concevoir des produits de plus en plus modulaires, et donc modifiables au bon vouloir des clients. Il  accroît également la maîtrise des risques associés à la production, car il évite aux commerciaux de vendre un produit trop difficile, voire impossible, à fabriquer. De plus, des techniques de data mining viennent piocher dans la mémoire de l’entreprise et proposer des recommandations. Toutefois, sans la mise à jour des connaissances en perpétuelle évolution, le modèle risque l’obsolescence. Aux experts de l’entreprise d’identifier les moments opportuns pour renouveler son outil.

L’humain revalorisé

Les deux risques majeurs des processus de fabrication diminuent grâce à l’outil d’IMT Mines Albi. En effet, elle réduit dans un premier temps le risque de concevoir un objet ne correspondant pas à la demande client. En intégrant les connaissances des experts d’une entreprise (risques, marketing, etc.) au logiciel, l’entreprise assure la faisabilité de projets longs. Par exemple, le risque de rotation de l’emploi (ou turnover) avec la perte de compétences pouvant être associée au départ d’un ingénieur est réduit.

Pour autant, l’humain n’est pas remplacé mais revalorisé. « Avec l’outil,  40% de l’activité d’un employé va être déchargée et redirigée vers des actions plus complexes où la valeur ajoutée de l’humain est indéniable. Sachant que notre outil aide à la décision et nécessite l’aval d’un expert », précise Élise Vareilles. Mais la mise en place d’une telle solution demande du temps — environ 2 ans — contrairement à l’investissement à court terme prôné par la culture industrielle. Aux intéressés d’identifier les bénéfices à long terme avant que la concurrence ne le fasse.

 

Article rédigé par Anaïs Culot, pour I’MTech.

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