Les recherches de Ioan-Mihai Miron en spintronique portent sur des nouveaux systèmes magnétiques de stockage de l’information. Menées au laboratoire Spintec, à Grenoble, elles sont encore jeunes — elles datent de 2011. Pourtant, elles représentent déjà un potentiel majeur pour faire face aux limites actuelles que rencontres les technologies de mémoire de nos ordinateurs. Elles constituent également une solution aux problèmes que les mémoires magnétiques connaissaient jusqu’alors, et qui empêchait leur développement industriel. Pour le caractère à la fois pionnier et prometteur de ses travaux, Ioan-Mihai Miron reçoit le Prix Espoir IMT – Académie des sciences 2018.
Les travaux de Ioan-Mihai Miron sont une affaire de mémoire… et peut-être aussi d’architecture. Car lorsque ce chercheur de Spintec* introduit ses travaux sur la conception de nouvelles nanostructures stockant l’information, il le fait en s’aidant du schéma d’une pyramide à trois étages. À la base : la mémoire de masse, large et robuste. Son grand volume lui permet de garder une grande quantité d’information, mais celle-ci est difficile à aller chercher. Au-dessus, le niveau de la mémoire centrale, moins imposante mais plus rapide d’accès, comportant les informations nécessaires au bon lancement des programmes. Enfin la pointe de la pyramide, la mémoire cache, au volume bien plus réduit mais dont le contenu est beaucoup plus facilement accessible. « Le processeur ne travaille qu’avec cette mémoire cache » explique le chercheur. « Tout le reste du système informatique est là pour aller chercher l’information plus bas dans la pyramide le plus vite possible et la ramener vers la pointe. »
Bien sûr, pas de véritable pyramide dans un ordinateur. En microélectronique, cette architecture mémoire se traduit par des milliers de transistors microscopiques responsables des mémoires centrale et cache. Ils agissent comme des interrupteurs et stockent l’information de manière binaire en laissant ou non le courant circuler. Avec l’impératif commercial de miniaturisation, les transistors ont progressivement atteint une limite. « Plus le transistor est petit, plus la consommation en stand-by augmente » constate Ioan-Mihai Miron. Pour cette raison, les types de mémoire situés en haut de la pyramide schématique veulent s’appuyer sur de nouvelles technologies qui reposent sur un stockage de l’information à l’échelle électronique. En modifiant le courant envoyé dans un matériau magnétique, il est possible de modifier son aimantation à certains points. « Et selon cette aimantation, la résistance électrique du matériau ne sera pas la même, ce qui revient à stocker de l’information » explique Ioan-Mihai Miron. Pour simplifier, une résistance électrique élevée correspond à une valeur, une résistance faible à une autre, ce qui constitue un système binaire.
Plus concrètement l’écriture de l’information dans ces matériaux magnétiques se fait en envoyant deux courants perpendiculaires, l’un au-dessus du matériau, l’autre en dessous. Le point de croisement est l’endroit où l’aimantation va être modifiée. Si ce principe n’est pas nouveau, il n’est pour autant toujours pas utilisé dans des produits commerciaux de mémoire cache. Amener les technologies magnétiques sur ce type de stockage de données est un grand défi industriel depuis près de 20 ans. « Les capacités de mémoires sont encore un peu trop faible par rapport aux transistors, et le système peut difficilement être miniaturisé » pointe le chercheur de Spintec. Deux inconvénients qui ne sont pas compensés par le gain de consommation énergétique apporté par la technologie.
Pour pallier ces limites, la communauté scientifique a développé une géométrie simplifiée de ces architectures magnétiques. « Plutôt que de faire se croiser deux courants, une nouvelle approche a été de n’envoyer qu’un seul chemin linéaire de courant dans le matériau » détaille Ioan-Mihai Miron. « Cette technique a résolu le problème de miniaturisation et la capacité de mémoire. Mais elle présente quelques problèmes. » Notamment, l’écriture de l’information qui implique l’application d’un fort courant électrique peut endommager l’élément stockant l’information. « A cause de cela, la vitesse d’écriture n’est pas tout à fait satisfaisante. Elle est de l’ordre de 5 nanosecondes, ce qui est plus lent que les dernières générations de technologies mémoires à base de transistors. »
Géométrie électrique
Au début des années 2010, les recherches de Ioan-Mihai Miron ont ouvert de sérieuses perspectives pour résoudre l’ensemble de ces problèmes. En modifiant un peu la géométrie des structures magnétiques, il a démontré la possibilité d’écrire à des vitesses allant sous la nanoseconde. Et pour la même taille, la capacité de mémoire est plus grande. Le principe repose sur un courant envoyé dans un plan parallèle aux couches de matériaux aimantés, là où auparavant le courant était perpendiculaire. Cette différence permet un changement de l’aimantation plus rapide et plus précis. Une usure plus faible et une suppression des erreurs d’écriture complètent la liste des avantages de la technologie mise au point par Ioan-Mihai Miron, et qui répond au doux nom de SOT-MRAM, pour Spin-Orbit Torque Magnetic Random Access Memory [mémoire vive magnétique à couplage spin-orbite]. Un nom technique qui rend compte de la complexité des effets à l’œuvre dans les couches d’électrons des matériaux magnétiques soumis aux jeux de courants électriques.
Les évolutions progressives des mémoires magnétiques peuvent apparaître comme mineures. Aux yeux des moins avertis, passer de deux courants perpendiculaires à un courant linéaire pour gagner quelques nanosecondes semble une avancée mineure. Pourtant, les modifications de performance qui ont découlé représentent pour les industriels une opportunité considérable. « La SOT-MRAM ne date que de 2011, et pourtant toutes les grosses entreprises de la microélectronique ont déjà des programmes de R&D sur cette technologie à peine sortie des laboratoires » insiste Ioan-Mihai Miron. La SOT-MRAM est perçue comme la technologie capable d’apporter les technologies magnétiques sur le terrain de jeu de la mémoire cache.
Le lauréat du Prix Espoir IMT – Académie des sciences 2018 tient à rester réaliste face aux attentes du secteur industriel vis-à-vis de la SOT-MRAM. « Les mémoires à base de transistor continuent de s’améliorer en parallèle, et ont connu de gros progrès récemment » remarque-t-il. Sans compter que ces technologies sont matures depuis des décennies, là où la SOT-MRAM n’a pas encore dix ans de recherche et de sophistication. Pour Ioan-Mihai Miron, cette technologie ne doit donc pas tant être vue comme une rupture franche que comme une alternative qui monte progressivement en puissance. Certes, cette montée en force se fait rapidement et avec des perspectives concurrentielles fortes.
Il reste toutefois quelques étapes à franchir pour optimiser la SOT-MRAM et la voir dans nos produits informatiques. Des étapes qui prendront peut-être quelques années. En attendant, Ioan-Mihai Miron poursuit ses recherches sur les architectures mémoire, mais en laissant de plus en plus la SOT-MRAM aux mains de ceux qui sauront la transférer au mieux dans la société. « Je préfère regarder ailleurs que de travailler à l’amélioration de cette technologie. Ce qui m’intéresse, c’est la découverte de nouvelles capacités de stockage de l’information. Et ce sont des découvertes qui arrivent un peu par hasard, donc j’ai envie d’essayer d’autres choses et de voir ce que cela peut donner. »
*Spintec est une unité mixte de recherche CNRS, CEA, Université Grenoble Alpes.
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