Pour évaluer la dangerosité des particules fines dans l’air ambiant, il est impératif d’aller au-delà de la simple mesure réglementaire de leur masse dans l’air. La diversité de leur composition chimique implique en effet des impacts toxicologiques potentiellement différents à masse égale. Les chimistes d’IMT Lille Douai travaillent sur la compréhension des propriétés physico-chimiques des constituants des particules fines à l’origine d’effets biologiques délétères sur la santé. Ils mettent au point une nouvelle méthode indicatrice d’effet sanitaire, consistant à mesurer le potentiel oxydant de ces polluants, afin de mieux identifier ceux qui présentent des risques pour notre santé.
Plus elles sont petites, et plus elles sont dangereuses. C’est la règle communément admise pour résumer la toxicité des différents types de particules présents dans l’atmosphère. Elle trouve son sens dans la facilité qu’ont les particules les plus petites à pénétrer en profondeur dans les poumons et à y rester piégées. S’il est clair que la taille des particules joue un rôle important dans leur dangerosité, il ne faut pas pour autant minimiser l’impact de leur composition chimique. À masse égale de particules fines dans l’air, celles que nous respirons à Paris ne sont pas les mêmes qu’à Dunkerque ou à Grenoble, en raison de la nature différente des sources qui les produisent. Et même dans une ville donnée, selon que nous nous situons à proximité d’une route ou d’une usine, les particules inhalées sont bien différentes.
« Les particules fines sont d’une grande diversité : elles contiennent des centaines, voire des milliers de composés chimiques » soulignent Laurent Alleman et Esperanza Perdrix, chercheurs sur la pollution atmosphérique au département Sciences de l’atmosphère et génie de l’environnement d’IMT Lille Douai. Acides carboxyliques, hydrocarbures aromatiques polycycliques… autant de familles de molécules retrouvées dans les particules avec une part plus ou moins grande. À ce cocktail organique, il faut rajouter de nombreux métaux et métalloïdes : cuivre, fer, arsenic… et du noir de carbone. La composition finale d’une particule fine dépendra ainsi de la proximité des sources de chacun de ces ingrédients. Le cuivre et l’antimoine par exemple seront plutôt retrouvés dans les particules produites lors du freinage des voitures, au bord d’une route. Le nickel et le lanthane sont typiques des particules fines issues de la pétrochimie.
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Actuellement, seule la concentration en masse en fonction de certaines tailles de particules dans l’air est considérée pour établir des seuils d’alerte de la population. Pour Laurent Alleman et Esperanza Perdrix, il est important d’aller au-delà de la masse et de la taille afin de mieux comprendre et prévenir les impacts sanitaires des particules en fonction de leurs propriétés chimiques. Chaque molécule, chaque espèce chimique présente dans une particule a une toxicité différente. « Lorsqu’elles ont pénétré nos poumons, les particules fines vont se désagréger en libérant ces composés, pointe Laurent Alleman. Selon leurs caractéristiques physico-chimiques, ces agents exogènes vont avoir un effet d’agression plus ou moins important sur les cellules qui tapissent notre appareil respiratoire. »
Mesurer le potentiel oxydant des particules
L’agression prend principalement la forme de réactions chimiques d’oxydation au niveau des cellules : c’est le stress oxydatif. Cet effet induit une détérioration des tissus biologiques et une inflammation, qui peuvent entraîner différentes pathologies localement dans l’appareil respiratoire — asthme, bronchopneumopathies chroniques obstructives — ou plus globalement dans l’organisme. En effet, en passant dans le sang, les composés chimiques des particules et les molécules produites par les cellules agressées provoquent également un stress oxydatif ailleurs dans le corps. « C’est pour ces raisons que les particules fines sont aussi responsables de maladies cardiovasculaires telles que des troubles du rythme cardiaque » rappelle Esperanza Perdrix. Lorsqu’il devient trop important et chronique, le stress oxydatif peut avoir des effets mutagènes en altérant l’ADN et favoriser des cancers.
Pour les chercheurs, l’enjeu scientifique est donc de mieux évaluer la faculté d’une particule fine à provoquer un stress oxydatif. À IMT Lille Douai, l’approche utilisée consiste à mesurer cette capacité en tubes à essai, en déterminant pour un type de particules donné la production de molécules oxydantes qui en résulte. « Nous ne mesurons pas directement le stress oxydatif produit au niveau cellulaire, mais le potentiel de la particule fine à le provoquer » précise Laurent Alleman. En procédant de la sorte, la méthode est moins coûteuse et plus rapide qu’une étude en milieu biologique. Surtout, « contrairement aux tests sur cellules biologiques, la mesure du potentiel oxydant des particules est rapide et peut être automatisée, tout en donnant une indication suffisamment forte du stress oxydatif qui serait produit dans l’organisme » ajoute Esperanza Perdrix. Une bonne combinaison qui permettrait de faire du potentiel oxydant une grandeur de référence pour l’analyse et la prévention à grande échelle et en continu de la toxicité des particules fines.
Cette approche a déjà permis à l’équipe d’IMT Lille Douai de mesurer la nocivité des métaux. Le cuivre et le fer sont ainsi les éléments chimiques au potentiel oxydant le plus élevé. « Le fer réagit dans l’organisme avec l’eau oxygénée pour produire ce que nous appelons des radicaux libres : des espèces chimiques très réactives à la durée de vie courte, mais au potentiel oxydant très fort » explique Laurent Alleman. Si le fer apporté par les particules fines n’est pas compensé par un antioxydant — comme la vitamine C — les radicaux formés peuvent casser des liaisons moléculaires et perturber ou endommager les cellules.
Les chercheurs avertissent malgré tout : « La mesure du potentiel oxydant n’est pas une méthode unifiée ; elle est encore au stade du développement. » Le principe consiste à mettre le composé dont on veut évaluer le potentiel oxydant en présence d’un antioxydant, et de mesurer la quantité ou la vitesse d’antioxydant consommé. Pour faire du potentiel oxydant une méthode de référence, il faut encore populariser cette technique auprès de la communauté scientifique, démontrer sa capacité à rendre compte avec justesse du stress oxydant biologique produit in vivo, et in fine la faire normaliser.
Pour le moment, c’est donc encore la concentration en masse des particules fines qui prime. Cependant, les travaux pour prendre en compte la composition chimique et l’aspect sanitaire gagnent en ampleur. En témoignent les nombreuses disciplines impliquées dans ces recherches. « L’enjeu toxicologique de la pollution atmosphérique réunit entre autres la chimie, la physique, la biologie, la médecine, la bio-informatique et l’analyse de risques » liste ainsi Esperanza Perdrix, sans manquer d’ouvrir aux compétences hors de l’expertise scientifique. « Ce sujet va au-delà de nos champs disciplinaires, et il doit également impliquer des associations environnementales, des citoyens, des élus… » ajoute-t-elle.
Les recherches se poursuivent à l’échelle internationale, notamment dans le cadre du grand méta-programme MISTRALS, lancé en 2010 pour une durée de 10 ans et piloté par le CNRS. L’un de ses programmes, baptisé ChArMEx, a pour but d’étudier les phénomènes de pollution dans le bassin méditerranéen. « Dans ce cadre, nous développons des collaborations internationales pour améliorer la méthode de mesure du potentiel oxydant » détaille Laurent Alleman. « Nous comptons ainsi mettre au point dans les prochaines années un outil de mesure automatique du potentiel oxydant en travaillant à l’échelle de plusieurs pays, notamment du pourtour méditerranéen comme la Crète, le Liban, l’Égypte, la Turquie… »
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