La simulation numérique est devenue un passage presque obligatoire dans le développement de nouveaux produits. Mais que veut réellement dire « simuler un comportement » ou « modéliser un évènement » ? Marius Preda, chercheur en informatique à Télécom SudParis, nous explique ce qui se cache derrière ces expressions souvent entendus dans les discours des industriels.
À quoi sert la simulation numérique ?
Marius Preda : L’objectif principal est de réduire les coûts de prototypage pour l’industrie. Au lieu de tester un produit avec des prototypes réels qui coûtent cher, les entreprises font appel à des jumeaux entièrement numériques de ces prototypes. Ces jumeaux virtuels prennent la forme d’un modèle 3D qui a les mêmes attributs que le produit réel — couleurs, dimensions, aspect visuel — mais surtout dans lequel on injecte beaucoup de métadonnées, comme les propriétés physiques des matériaux. Elles permettent d’avoir une simulation très proche du réel. L’avantage clair est que si le produit ne convient pas, il suffit de changer les métadonnées ou de modifier directement les attributs du jumeau numérique. Avec un prototype réel, il faudrait le refaire entièrement.
Qu’est-il possible de simuler ?
MP : Les préoccupations majeures concernent la production. Les entreprises simulent pour mesurer correctement tous les paramètres d’une pièce et avoir des spécifications de production. C’est là une très grande proportion des usages de la simulation numérique. Ensuite, il y a des préoccupations importantes sur le vieillissement. Les lois physiques qui régissent l’usure des matériaux sont connues, donc les entreprises les injectent dans les modèles numériques, et peuvent ainsi simuler le vieillissement d’une pièce en fonctionnement. Une des nouvelles applications est la maintenance prédictive. En prédisant les casses ou les failles grâce à la simulation, la réparation ou le changement de pièce peut être réalisée au moment optimal. Tout cela concerne les produits, mais on trouve aussi des simulations d’usines entières pour simuler leur fonctionnement, ou du corps humain.
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Comment une simulation numérique est-elle créée ?
MP : Tout commence par définir l’objectif de la simulation. Pour une voiture par exemple, si l’objectif est d’étudier la déformation de la carrosserie lors d’un impact, ce ne sera pas la même modélisation que si le but est d’analyser le confort visuel et auditif à l’intérieur de l’habitacle. La modélisation est faite en conséquence : les constructeurs automobiles ne réalisent pas un modèle 3D en imaginant faire toutes les simulations dessus. La forme 3D peut être la même, mais ce qui est important ce sont les propriétés physiques que l’on va introduire dedans. Pour des simulations de crash test, ce sont plutôt des propriétés de déformation des matériaux qui vont être injectées sous la forme d’équations qui régissent leur comportement. Pour le confort sonore, ce sont des lois de réflectivité et de propagation des sons.
Quelle forme prend la simulation ?
MP : La réalité virtuelle est souvent présentée comme quelque chose de nouveau, mais elle est utilisée depuis de nombreuses années dans la simulation ! Auparavant les industriels créaient des environnements 3D appelés des « caves » ; il s’agissait de salles dans lesquelles différentes parties d’une voiture — pour continuer sur l’exemple automobile — étaient projetées sur les murs. Aujourd’hui les casques de réalité virtuelle permettent de gagner de l’espace et de mettre plus de personnes dans le même environnement virtuel. Mais au-delà de cette forme de simulation très visuelle, ce qui intéresse les professionnels est vraiment le modèle et les résultats derrière. Ce qui est important ce n’est pas vraiment de voir la voiture se déformer lors d’un accident, mais plutôt de savoir de combien de centimètres le bloc moteur pénètre dans l’habitacle. Parfois, il n’y a même pas de visuel d’ailleurs : la simulation prend la forme d’une courbe sur un graphique qui indique la dépendance de la déformation du matériau en fonction de la vitesse de la voiture.
Quels secteurs utilisent le plus la simulation numérique ?
MP : Je parle beaucoup de l’automobile car c’est un des premiers secteurs à l’avoir utilisée. Il y a également le domaine de l’architecture, qui a été un des pionniers sur l’utilisation de la 3D pour la visualisation de maquettes. Les usines et les installations industrielles relativement complexes ont aussi recours à la simulation. Cela permet entre autre d’analyser les circuits de tuyauterie derrière les murs. C’est une façon d’accéder à l’information plus facilement qu’avec des plans. En revanche, il y a des secteurs où la simulation est sous-exploitée par rapport à son potentiel. C’est le cas de la construction BTP, où les plans ont encore une place prépondérante.
Quelles sont les grandes perspectives d’évolution de la simulation numérique à court terme ?
MP : Selon moi il y a un gros enjeu sur l’interaction entre les humains et le modèle numérique 3D. De nouveaux dispositifs comme les lunettes de réalité virtuelle sont utilisés, mais la manière d’interagir avec le modèle reste non naturelle. Certes, à l’intérieur d’un espace virtuel l’utilisateur va pouvoir modifier la disposition des pièces entre elles d’un geste de main. Mais s’il veut changer les paramètres physiques qui résident derrière le comportement d’un matériau, il doit encore passer par un ordinateur et introduire de la donnée brute, sous forme de code. Ce serait un bel avancement que d’arriver à changer ces métadonnées directement depuis l’environnement virtuel.
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