L’intelligence artificielle (IA) a le vent en poupe. À la fin du mois de mars, le gouvernement a enchaîné les évènements sur ce sujet, notamment avec la publication du rapport « Donner un sens à l’intelligence artificielle », dirigé par le député et mathématicien Cédric Villani. Cette effervescence autour de l’IA vient concrétiser un regain d’intérêt de la part des entreprises et des scientifiques pour la thématique. En quelques années, l’IA est redevenue à la mode, comme elle l’était dans les années 1950 et 1960. Que se cache-t-il vraiment derrière ce terme ? Que pouvons-nous raisonnablement en attendre ? Anne-Sophie Taillandier, directrice de la plateforme TeraLab de l’IMT dédiée au big data et à l’IA, travaille au jour le jour sur l’innovation et les transferts technologiques dans ce domaine. Récemment classée parmi les 20 personnes accélératrices de l’IA en France par L’Usine nouvelle, elle revient avec nous sur les fondamentaux de l’intelligence artificielle.
Qu’est ce qui a amené l’IA à ce qu’elle est aujourd’hui ?
Anne-Sophie Taillandier : L’IA est vraiment au cœur des questions d’innovation depuis deux à trois ans. Ce qui a créé cette dynamique, c’est le rapprochement entre deux milieux scientifiques : d’un côté toute une partie des sciences informatiques, et de l’autre le big data. Ces deux thématiques se sont réunies autour de la problématique : « Comment extraire l’information des données massives ou non ? » Les résultats qui en ont découlé ont été surprenants. Il y a 6 ans encore, nous n’arrivions à reconnaître que des tout petits morceaux d’images de manière automatique. Lorsque le deep learning est arrivé, les taux de reconnaissance ont explosé. Mais si on a pu faire tourner des algorithmes sur des gros volumes d’images, c’est aussi parce que derrière il y a eu un essor des machines matérielles qui a permis de faire les calculs informatiques en un temps raisonnable.
Sur quelles technologies l’IA repose-t-elle ?
AST : L’intelligence artificielle, c’est le principe d’extraction et de traitement d’information. Pour cela il faut des outils et des méthodes. Le machine learning est une méthode qui regroupe des techniques très statistiques, parmi lesquelles on retrouve les réseaux de neurones. Le deep learning en est une autre qui s’appuie sur des réseaux de neurones plus profonds. Il y a donc des choses communes entre les deux méthodes, la différence est une affaire d’outils choisis. Les deux technologies sont de toute manière basées sur le principe de l’apprentissage. Le système apprend à partir d’une base de données de départ, puis est exploité sur d’autres données. Les résultats seront évalués pour que le système continue d’apprendre. Mais l’IA elle-même ne se définit pas par ces technos. Demain il y en aura peut-être d’autres et ce sera toujours de l’intelligence artificielle. D’ailleurs les chercheurs en robotique utilisent parfois des algorithmes différents.
Que peut concrètement apporter l’intelligence artificielle ?
AST : Le milieu médical est une bonne illustration. Ce que nous savons faire en imagerie médicale par exemple, c’est apprendre à un algorithme à détecter des tumeurs cancéreuses. À partir de ça, il va pouvoir aider le médecin à chercher dans une image les zones qui méritent son attention. Nous pouvons aussi adapter le traitement d’un patient en fonction de tout un tas de données : est-ce qu’il est seul ou entouré ? est-ce qu’il est actif ou inactif ? quel est son environnement ? Tout cela va contribuer à une médecine personnalisée, qui n’est rendue possible que parce que nous savons traiter toutes ces données et en tirer de l’information de manière automatique. Pour le moment, l’intelligence artificielle est surtout utilisée pour de l’aide à la décision. Au final c’est un peu ce que fait un médecin lorsqu’il pose des questions pendant une consultation, mais ici nous allons l’aider à sortir de l’information d’un ensemble de données. Avec l’IA, l’objectif c’est avant tout de reproduire quelque chose que l’on connaît bien.
Comment faire la différence entre les solutions qui comportent vraiment de l’IA et les autres ?
AST : Je dirais que ce n’est pas vraiment important. Ce qui est important, c’est que l’usage soit intéressant. La question se pose beaucoup pour les chatbots par exemple. Savoir s’il y a de l’IA derrière, si c’est juste un arbre décisionnel basé sur un scénario prévu, ou si c’est un humain, ce n’est pas vraiment intéressant… Ce qui m’intéresse moi en tant que consommatrice, c’est que le chatbot que j’ai en face de moi puisse répondre à ma question. Aujourd’hui on en voit partout sur les sites, ce qui est gênant c’est surtout que très souvent ils ne servent pas à grand-chose ! C’est donc l’usage qui est vraiment important plus que la technologie derrière.
La « mode » IA ne nuit-elle pas aux innovations importantes dans le secteur ?
AST : Avec TeraLab nous travaillons sur des choses très pointues avec des chercheurs et des entreprises qui veulent des solutions vraiment performantes. Que des gens fassent leur communication en exagérant ou en mettant « intelligence artificielle » dans leurs mots-clés ne nous impacte pas. Je préfère que le terme ait été approprié par le public et que celui-ci réfléchisse aux technos qui sont déjà dans son smartphone plutôt qu’il fantasme sur quelque chose d’inaccessible.
On trouvera une description plus large et plus complète du domaine de l’IA, dans l’annexe 5 des conclusions du GT recherche de #FranceIA :
http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Conclusions_Groupes_Travail_France_IA.pdf
Il serait dommage d’entretenir l’idée que l’IA se limite à l’apprentissage et à l’extraction d’informations…