Pour Ange Nzihou, les déchets sont une richesse. Lauréat du Grand Prix IMT-Académie des sciences 2018, il travaille à IMT Mines Albi depuis plus de quinze ans pour les valoriser afin d’en faire une ressource économique. Toutefois, ce n’est pas dans les laboratoires que ses plus grands faits d’arme scientifiques sont à chercher. Durant sa carrière, Ange Nzihou a fait plus que convertir la biomasse en biocarburants, ou fabriquer des catalyseurs à partir de déchets et résidus divers. En créant le cycle de conférences mondiales WasteEng, une revue internationale à comité de lecture, et une encyclopédie de référence autour du sujet de la valorisation des déchets, il a contribué à fédérer une communauté scientifique mondiale sur cette thématique d’avenir.
« Je viens d’un pays d’Afrique où tout le monde veut travailler dans le pétrole » raconte Ange Nzihou, chercheur à IMT Mines Albi où il y dirige le laboratoire Rapsodee. N’échappant pas à cette règle, il rejoint Toulouse au début des années 1990 pour entreprendre une thèse sur la cristallisation des hydrates de gaz— qu’il soutiendra avec succès. Tous les signaux sont alors au vert pour que le jeune chercheur en génie des procédés entre dans l’industrie pétrolière. Mais les histoires de recherche sont avant tout des histoires de vie. Et celle d’Ange Nzihou l’a amené de façon brutale à questionner la voie qui s’ouvrait à lui. « N’ayant pas encore la nationalité française à ce moment, je me suis retrouvé presque sans papier pendant deux ans. C’est dans cette période difficile que j’ai construit le projet de recherche que je mène encore aujourd’hui, en analysant ce que je voyais autour de moi, et en me demandant où était le futur. »
Ce futur, il l’envisage alors dans la valorisation des tonnes de déchets et de polluants que nous produisons, à un moment où seul le traitement semblait intéresser la communauté scientifique. « Pour moi ce n’était pas tant le traitement qui était intéressant, mais plutôt donner des propriétés à un produit traité pour lui conférer une valeur économique de par ses fonctions » se souvient-il. C’est à IMT Mines Albi qu’il commencera à traduire cette vision en actions concrètes de recherche. Au travers de nombreux projets, il développera différents procédés pour valoriser plusieurs types de déchets, des boues de nos rivières aux ordures ménagères en passant par les rebuts industriels.
Un rendez-vous mondial
De l’aveu même d’Ange Nzihou cependant, « le plus marquant n’est pas les brevets ou les publications, mais tout ce que nous avons réussi à créer autour ». À commencer par WasteEng : une conférence internationale biennale dont la première édition a eu lieu en 2005. « Je pensais avoir une centaine de personnes » se rappelle le chercheur. Au final, ce sont plus de 300 chercheurs et ingénieurs qui ont participé à cette première conférence sur la thématique de la valorisation des déchets et de la biomasse. « Il y avait un besoin que je savais présent, mais que j’avais sous-estimé » concède-t-il.
Aujourd’hui, l’événement est une référence mondiale dans le domaine. Il rassemble tous les deux ans plus de 400 personnes venant de plus de 50 pays différents. Caractéristique chère au fondateur de ce rendez-vous : sa communauté s’est ouverte à l’industrie et aux institutions. « Un quart des gens viennent des entreprises et des institutions gouvernementales, c’est essentiel car ce sont eux qui sont sur le terrain et qui créent vraiment de la valeur. » À chaque édition, Ange Nzihou invite des représentants de la Commission européenne également, pour présenter les tendances et connecter la recherche aux décisions politiques.
WasteEng, dont la prochaine édition aura lieu en juillet 2018 à Prague, fait figure d’événement pionnier dans la discipline. L’engouement qui accompagne la conférence témoigne des nouvelles préoccupations des sociétés à travers le monde. Parce que les problématiques de valorisation des déchets ne sont pas identiques partout dans le monde, la dimension internationale donne toute sa valeur au rendez-vous. « En France, nous incinérons le plastique qui n’est pas recyclé, mais c’est hors de question de faire cela en Afrique ou dans d’autres pays en voie de développement, illustre le chercheur. Là-bas il faut se débrouiller pour recycler. »
Parmi la multitude de sujets abordés lors de la conférence, quelques-uns lui tiennent davantage à cœur. C’est le cas de la production d’énergie à partir des déchets. « Beaucoup de solutions aujourd’hui proposent d’utiliser la biomasse pour générer de l’énergie. Le problème c’est que cet usage entre en compétition avec l’alimentation et la disponibilité des terres à cultiver. En revanche, l’idée d’utiliser les déchets plutôt que la biomasse me plaît beaucoup. » (Voir encadré 1) Autre bénéfice vanté par le chercheur : cette approche permet d’éviter les désastres environnementaux comme celui que la Malaisie connaît avec la production débridée d’huile de palme à des fins énergétiques sur des terres qui pourraient servir à produire des aliments.
Pyrog : un exemple de valorisation de déchets pour l’énergie
En 2015, le projet Pyrog soutenu par le Programme investissement d’avenir (PIA) sous l’impulsion de l’ADEME, a été lancé avec pour objectif la valorisation des combustibles solides de récupération (CSR). Ces résidus rassemblent tout ce qu’il est actuellement difficile de recycler. IMT Mines Albi et IMT Atlantique se sont associées à deux entreprises : Séché Environnement et ETIA. En utilisant un procédé de pyrolyse, le gaz de synthèse produit a été utilisé pour le chauffage urbain. Ce projet est mis en œuvre sur le site de Séché à Changé en Mayenne. Ce projet illustre le potentiel du recyclage des déchets pour produire une énergie localement, avec un impact environnemental plus faible.
Une littérature pour les déchets
Dans la lignée de WasteEng, Ange Nzihou a fondé une revue scientifique à comité de lecture dédiée aux questions de la valorisation des déchets : « Waste and biomass valorization ». Lancée en 2010 avec l’éditeur Springer, il s’agissait d’un pari pour le chercheur. Il s’est avéré payant puisqu’il a rapidement connu un succès auprès de la communauté scientifique. Chaque année depuis 2010, le nombre d’articles soumis à la revue double. « C’est le premier journal adapté à cette thématique » assure Ange Nzihou, aujourd’hui rédacteur en chef.
La revue n’est pas la seule pierre apportée par le chercheur à l’édification d’une culture littéraire sur le propos de la valorisation des déchets. Il dirige actuellement la rédaction d’une encyclopédie à ce sujet. L’ouvrage se veut une référence pour tous ceux qui souhaitent savoir comment analyser, étudier, traiter et convertir les déchets et les résidus divers. « Nous voulons nous adresser aussi bien aux étudiants qu’aux ingénieurs, aux chercheurs et aux opérateurs du monde économique » souligne Ange Nzihou. Toujours animé d’une démarche internationale, il s’est allié à des chercheurs venant de 17 pays pour réaliser cette encyclopédie. Elle devrait être publiée au mois de septembre 2018, et distribuée dans les universités et bibliothèques au niveau mondial.
Au travers de toutes ces actions, Ange Nzihou continue de décliner sa vision d’une société capable de mieux exploiter ses déchets pour subvenir à ses besoins. Il s’emploie depuis ses débuts à faire sortir ses interrogations et ses propositions du laboratoire en fédérant une communauté à l’échelle d’une planète qui demande de plus en plus urgemment des alternatives aux ressources fossiles.
Rédaction : Umaps, Benjamin Vignard
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