Recherche fondamentale et recherche appliquée sont souvent opposées de façon simpliste. Le dispositif Carnot, piloté par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et par l’agence nationale de la recherche (ANR), met cette vision à mal. Car si son objectif premier est de développer les partenariats vertueux entre recherche publique et entreprises pour stimuler le transfert de technologies, il le fait en imposant aux instituts qu’il finance de soutenir de manière importante la recherche fondamentale. Loin d’être un paradoxe, cette stratégie s’intéresse à l’avenir des entreprises au delà de leur compétitivité technologique immédiate. L’institut Carnot Télécom & société numérique (Carnot TSN, dont l’IMT est une composante) remplit cette mission au travers du programme Futur & ruptures. Son directeur, Christian Picory-Donné, répond à nos questions pour nous expliquer les enjeux scientifiques d’un tel fonctionnement.
Le dispositif Carnot invite les instituts Carnot à effectuer du « ressourcement scientifique ». De quoi s’agit-il ?
Christian Picory-Donné : Il s’agit de recherches amont qui ont comme objectif de préparer l’avenir pour les industriels. Ce que montre l’expérience des instituts Fraunhofer en Allemagne, ou des autres grands instituts de recherche technologique, c’est que ces structures ont du mal à être des précurseurs. Leurs ressources sont tellement tendues vers la satisfaction d’une demande immédiate qu’elles peinent à préparer l’avenir. C’est un défaut que le dispositif Carnot souhaite corriger, en proposant de financer très en amont des problématiques industrielles.
Comment l’institut Carnot Télécom & Société numérique (TSN) remplit-il cette mission de ressourcement ?
CP : Le programme Futur & Ruptures permet de financer chaque année l’équivalent de 60 à 80 années de thèses, de post-doctorats ou sabbatiques. Les fonds utilisés pour ce soutien proviennent en partie de la Fondation Mines-Télécom, et en partie du Carnot TSN. Pour ce dernier, cette action représente quasiment la totalité de son activité de ressourcement, soit environ 60 % de l’abondement annuel qu’il reçoit du dispositif Carnot. Pour donner des chiffres concrets : cette année le Carnot TSN a reçu un abondement de 4 millions d’euros. Ce sont donc 2,4 millions qui ont été injectés dans le programme Futur & ruptures pour financer des thèses et des post-doctorats au sein des composantes du Carnot TSN.
L’objectif du dispositif Carnot est le développement de la recherche partenariale. Comment ce positionnement scientifique amont agit-il sur l’innovation ?
CP : Pour citer un exemple, je pense au laboratoire commun SePEMed entre IMT Atlantique et l’entreprise MEDECOM qui a été lancé en 2014. Il aborde des problématiques de gestion et de sécurisation de bases de données médicales. Tout est parti des travaux de Gouenou Coatrieux, chercheur à IMT Atlantique, qui a obtenu un financement Carnot pour ses thésards et post-doctorants via le programme Futur & ruptures. Grâce aux résultats obtenus il a déposé un projet Labcom [laboratoire commun] à l’agence nationale de la recherche (ANR), ce qui a permis de monter un partenariat stratégique avec MEDECOM. Le laboratoire commun est né de là. Des belles histoires comme celle-ci il en existe plein. Nous ne les connaissons pas toutes d’ailleurs parce que le volume de thèses financées est important et que les retombées ne sont pas forcément immédiates ou aussi directes.
Le programme Futur & ruptures a dix ans cette année, quel regard portez-vous dessus ?
CP : Un regard tout à fait favorable. Le dispositif Carnot est d’abord un dispositif vertueux, au sens où il récompense la recherche publique en proportion de son efficacité et de la tenue de ses engagements en termes de croissance de la recherche partenariale. C’est ensuite un outil au service de la stratégie de l’IMT. Nativement orienté sur une recherche au service du développement économique, le dispositif Carnot vient ainsi soutenir le plan de développement de l’IMT. Il en est de même pour les outils soutenus par la Fondation, de telle sorte que nous observons un effet de levier considérable — financements, développement des ressources de recherches, résultats des recherches — dans le contexte des orientations stratégiques de l’institut.
Cette réalité de la recherche partenariale tranche avec le stéréotype de l’activité de recherche comme une prestation au service d’une entreprise.
CP : Bien sûr. Nous revendiquons une recherche orientée, parce qu’elle se mène en écoutant les attentes et les problématiques des entreprises, mais il n’y a pas de subordination pour autant. Le ressourcement peut être considéré de différentes manières. Il y a d’abord cette image noble du chercheur dans sa tour d’ivoire qui a sa vision et qui la mène au bout tout seul. De notre côté ce n’est pas la même chose, car le ressourcement est plus articulé avec la vision que l’on peut avoir de la demande industrielle à terme. C’est un positionnement très en avance de phase. Nous savons par exemple que la protection et la cryptographie des données est un enjeu majeur — il suffit d’être à l’écoute des industriels — donc nous avons des chercheurs qui travaillent sur la cryptographie quantique. Pour autant, aucune entreprise ne vient nous voir pour financer des recherches à visée applicative immédiate aussi pointues. Ce serait trop risqué pour elles : le besoin des industriels en cryptographique quantique ne sera peut-être pas réel avant un certain nombre d’années. C’est ce positionnement qui nous permet de faire à la fois de la recherche fondamentale, tout en s’intéressant déjà à des verrous technologiques qui intéresseront les entreprises dans le futur.
https://www.imt.fr/10-ans-de-programme-futur-ruptures/
Le Carnot TSN, un gage d’excellence dans la recherche partenariale depuis 2006.
Labellisé Carnot depuis 2006, l’institut Carnot Télécom & Société numérique constitue le premier institut Carnot « Sciences et technologies de l’information et de la communication » d’ampleur nationale. Avec plus de 2 000 chercheurs, il se concentre sur les implications techniques, économiques et sociales de la transition numérique. En 2016, le label était renouvelé pour la deuxième fois consécutive, démontrant ainsi la qualité des recherches et innovations produites par les collaborations entre chercheurs et entreprises.
Ses composantes sont Télécom ParisTech, IMT Atlantique, Télécom SudParis, Télécom École de Management, Eurecom, Télécom Physique Strasbourg, Télécom Saint-Étienne, École Polytechnique (laboratoires Lix et CMAP), Strate École de Design, Femto Engineering.
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