Chercheur à Mines ParisTech, Pierre Rouchon s’intéresse au contrôle des systèmes. Qu’il s’agisse de systèmes électromécaniques, d’installations industrielles ou de particules quantiques, il travaille à observer et optimiser leurs comportements. Au fil de ses travaux, il a notamment été amené à travailler avec le groupe de Serge Haroche, prix Nobel de physique 2012. Le 21 novembre dernier, Pierre Rouchon recevait le Grand Prix IMT-Académie des sciences lors de la séance solennelle sous la coupole de l’Institut de France.
Vos recherches portent depuis le début sur la théorie du contrôle. De quoi s’agit-il ?
Pierre Rouchon : Ma spécialité est l’automatique : comment optimiser le contrôle de systèmes dynamiques. Le plus simple est de prendre un exemple. J’ai travaillé sur un problème bien connu en robotique mobile : comment faire un créneau avec plusieurs remorques ? Si vous avez déjà conduit en marche arrière une voiture avec une remorque, vous savez qu’intuitivement, vous allez prendre la trajectoire de l’arrière de la remorque comme repère. C’est ce que l’on appelle une « sortie plane » ; l’ensemble voiture plus remorques forme un « système plat » pour lequel des algorithmes simples de planification et de suivi de trajectoires sont disponibles. Sur ce genre d’exemple, mes recherches ont montré l’intérêt de contrôler la trajectoire de la dernière remorque, et de construire des algorithmes efficaces de feedback à partir de cette dernière. Et il faut pour cela modéliser — ou mettre en équations comme on disait autrefois — le système et ses mouvements.
Que permet de faire ce genre de recherches ?
PR : Diminuer les calculs à faire. Une grue est un autre exemple de systèmes plats. En prenant comme sortie plane la trajectoire de la charge portée, et non pas celle du bras ou du treuil, il y a bien moins de calculs à effectuer. Cela donne naissance à des logiciels plus performants d’aide au pilotage pour les grutiers qui peuvent alors aller plus vite dans les opérations de manutention.
Cela semble bien loin des travaux en physique quantique que vous menez actuellement !
PR : Ce qui m’intéresse ici est la notion de feedback. Lorsque vous mesurez et donc observez un système classique, vous ne le perturbez pas. Vous pouvez alors appliquer en temps-réel une correction par une boucle de rétroaction : ici réside l’intérêt pratique du feedback qui rend les systèmes faciles à piloter et peu sensibles aux perturbations qu’ils subissent. Mais en quantique, vous perturbez le système dès que vous le mesurez et donc vous avez déjà une première rétroaction due à la mesure. De plus, le contrôleur peut lui-même être un autre système quantique. Dans le mode quantique, la notion de feedback est en fait bien plus complexe. J’ai commencé à étudier cela avec un de mes anciens étudiants, Mazyar Mirrahimi, à partir des années 2000. D’ailleurs il reçoit cette année le Prix Inria-Académie des sciences du jeune chercheur, et nous continuons de travailler ensemble.
Sur quelle problématique de feedback travailliez-vous tous les deux à vos débuts ?
PR : Lorsque nous avons débuté, nous suivions les cours de Serge Haroche au Collège de France. A partir de 2008 nous avons commencé à travailler avec son équipe sur l’expérience qu’il menait. Il cherchait à manipuler et contrôler des photons piégés entre deux miroirs. Il avait mis au point des mesures très subtiles dites « non destructrices » pour compter des photons sans les détruire. Ses travaux ont été récompensés par le prix Nobel en 2012. Avec Nina Amini en thèse sous notre direction conjointe, Mazyar et moi, nous avons travaillé sur la boucle de feedback qui a permis en 2011 de stabiliser le nombre de photons autour d’une consigne, un nombre entier de quelques unités.
La complexité du feedback quantique :
Aujourd’hui encore c’est toujours le feedback quantique qui vous intéresse ?
PR : Effectivement, nous cherchons à développer des méthodes mathématiques systématiques pour concevoir des boucles de feedback avec une structure hybride : une première partie du contrôleur est classique alors qu’une seconde partie est quantique. Pour concevoir ces méthodes nous nous appuyons sur les circuits quantiques supraconducteurs. Ce sont des circuits électroniques ayant un comportement quantique à basse température et très étudiés actuellement. Ils sont pilotés et mesurés par des ondes radiofréquences, de l’ordre du gigahertz, qui se propagent le long de câbles coaxiaux. Nous travaillons actuellement avec des expérimentateurs sur la mise au point d’un bit logique quantique (qubit logique) qui est l’un des composants de base de ce fameux ordinateur quantique après lequel tout le monde court !
Avoir des applications pratiques et expérimentales de vos recherches est un élément important pour vous ?
PR : Oui. Avoir un accès direct au problème étudié, à une réalité objective partagée par le plus grand nombre est important. Travailler sur des sujets concrets, avec une véritable expérience ou un vrai procédé industriel, permet d’aller au-delà des simulations et de mieux comprendre les méthodes mathématiques qui les sous-tendent. Mais c’est assez redoutable aussi : en général, rien ne se passe comme prévu. Lorsque j’étais en thèse, je travaillais en lien avec une raffinerie de pétrole sur le contrôle en qualité de colonnes à distiller. J’arrivais sur le site avec un code Fortran stocké sur une disquette et correspondant à un algorithme de contrôle testé en simulations au laboratoire. Les ingénieurs et les opérateurs sur place me disaient « Allez, on essaie, au pire on coule à la caverne ». La caverne servait alors de stockage à la fraction des produits non conformes et retraités plus tard. Au début les essais ne marchaient pas, c’était terrible et très décapant pour un théoricien. Mais quand l’algorithme de feedback a commencé enfin à fonctionner, c’était un soulagement et un plaisir !
La biographie de Pierre Rouchon
Pierre Rouchon, 57 ans, professeur à Mines ParisTech, responsable du département Mathématiques et Systèmes de cette même École est un spécialiste reconnu de la théorie du contrôle. Il a fait des contributions scientifiques majeures aux trois thèmes de cette discipline que sont les systèmes plats – en lien avec la planification de trajectoires, les systèmes quantiques et les observateurs asymptotiques invariants.
Ses travaux ont eu et ont toujours des impacts déterminants au plan fondamental. Ils ont été présentés dans 168 publications citées 12.000 fois et font l’objet de 9 brevets. Ils se nourrissent de collaborations industrielles où des solutions concrètes et originales ont pu être apportées pour la commande de moteurs électriques avec Schneider Electric, la distillation cryogénique de l’air avec Air Liquide et la régulation des moteurs Diesel pour diminuer l’émission de particules fines avec l’IFP et PSA.
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