La cellulose est l’une des molécules les plus abondantes dans la nature. Au niveau nanométrique, ses propriétés lui permettent de trouver des applications prometteuses dans de nombreux domaines. Julien Bras, chimiste à Grenoble INP, travaille à la valorisation de ce biomatériau. Il recevait le 21 novembre le Prix Espoir IMT-Académie des sciences lors de la séance solennelle sous la coupole de l’Institut de France.
Pourquoi travailler dans la valorisation de la biomasse ?
Julien Bras : Aux alentours de 20 ans j’ai pris conscience que le pétrole n’était pas une ressource éternelle et qu’il fallait trouver de nouvelles solutions. À ce moment, la société commençait à être sensibilisée aux problèmes de pollution dans les villes, par le plastique notamment, ainsi qu’aux dangers du réchauffement climatique. Je me suis dit que nous devions proposer quelque chose qui permette d’utiliser les ressources considérables que la nature a à offrir et peut renouveler. J’ai donc fait une école d’ingénieur en chimie sur la valorisation des agroressources, puis une thèse pour Ahlstrom sur les biomatériaux.
Sur quel type de biomatériaux travaillez-vous ?
JB : Je travaille à peu près sur tous les matériaux d’origine renouvelable, mais plus particulièrement sur la cellulose qui est une superstar dans le monde des matériaux naturels. Des centaines de milliards de tonnes de ce polymère sont produites chaque année par la nature. Elle est utilisée depuis des millénaires pour faire des habits, du papier… Elle est très connue et représente beaucoup d’opportunités. Même si je travaille sur tous les biomatériaux, j’ai une spécialisation sur la cellulose, en particulier sur sa dimension nanométrique.
Qu’est-ce qui rend la cellulose si intéressante à l’échelle nanométrique ?
JB : Il y a deux grandes utilisations de la cellulose à cette échelle. Nous pouvons faire des nanocristaux de cellulose, qui ont des propriétés mécaniques très intéressantes. Ils sont bien plus solides que des fibres de verre, et peuvent être utilisés par exemple pour renforcer des plastiques. Et puis nous pouvons également concevoir des nanofibres, plus longues et plus flexibles que les cristaux, qui s’enchevêtrent facilement. Cela permet de faire des systèmes transparents très légers avec une grande surface. Dans un gramme de nanofibres la surface disponible d’échange peut monter jusqu’à deux cents mètres carrés.
Dans quels secteurs industriels retrouve-t-on ces nano-celluloses ?
JB : Pour l’instant, peu de secteurs les utilisent vraiment à grande échelle. C’est un matériau en pleine expansion. Cependant, les nano-celluloses se retrouvent dans quelques applications de niche, comme les composites, les cosmétiques, le papier et l’emballage. Dans mon équipe, nous menons des projets avec une multitude de secteurs, pour faire des parechocs de voiture, des crèmes hydratantes, des peintures ou même des pansements pour le médical. Cela illustre l’intérêt que les industriels ont pour ces biomatériaux.
Des nano-cellulloses utilisées comme antibactérien :
En parlant d’applications, vous avez notamment contribué à la création d’une start-up qui exploite la cellulose ?
JB : Entre 2009 et 2012 nous étions engagés dans le projet européen Sunpap. Il avait pour objectif de faire passer à l’échelle supérieure les nanoparticules de cellulose La thèse menée dans le cadre de ce projet nous a fait aboutir à 2 brevets sur des poudres de cellulose et des nanocelluloses fonctionnalisées. Nous nous sommes lancés dans l’aventure de la création de start-up et avons créé Inofib. Parmi les premières entreprises du domaine, la start-up a nettement contribué à l’essor industriel de ces biomatériaux. Aujourd’hui, la société se concentre sur le développement d’applications spécifiques et des fonctionnalisations précises des nanofibres de cellulose. Elle ne souhaite pas concurrencer des gros acteurs du domaine qui se sont depuis engagés sur la nanocellulose avec l’appui de l’Europe, mais plutôt se différencier par l’apport d’expertise et de nouvelles fonctions.
Les nano-celluloses peuvent-elles être utilisées dans la conception de matériaux intelligents ?
JB : Lorsque j’ai commencé mes recherches, je travaillais séparément sur les matériaux intelligents et sur la nanocellulose. Je développais notamment avec un industriel des encres conductrices et transparentes pour des matériaux de haute qualité. Cela avait donné lieu à une autre start-up : Poly-Ink. Les choses avançant, j’ai décidé de mélanger les deux thématiques de travail. Depuis 2013, je travaille sur la conception d’encres à base de nanocelluloses. Elles permettent de faire des couches transparentes conductrices flexibles, pour remplacer des couches qui sont sur des écrans d’appareils mobiles par exemple.
Quelles sont vos pistes de travail pour les années à venir sur les nano-celluloses ?
JB : J’aimerais continuer cette expertise en allant plus avant dans les solutions pour les produire. L’un de mes objectifs est d’utiliser à présent des procédés d’ingénierie verte pour les concevoir, qui limitent l’utilisation de solvants toxiques et sont compatibles avec une démarche environnementale. Ensuite, je voudrais augmenter leurs fonctions pour qu’elles puissent être utilisées dans plus de domaines avec de meilleures performances. Je tiens vraiment à démontrer l’intérêt des nanocelluloses. Il faut donc garder l’esprit ouvert pour trouver de nouvelles applications.
La biographie de Julien Bras
Julien Bras, 39 ans, est maître de conférences à Grenoble INP–Pagora depuis 2006, et directeur adjoint du Laboratoire de Génie des procédés papetiers. Il était auparavant ingénieur dans une entreprise de la filière papetière entre France, Italie et Finlande. Depuis plus de 15 ans, Julien Bras oriente ses recherches en vue d’obtenir une nouvelle génération de biomatériaux cellulosiques performants et de développer les usages de ces agro-ressources.
La perspective industrielle de ses recherches apparaît non seulement dans ses collaborations, mais aussi dans les 9 brevets déposés, et plus particulièrement dans les deux start-up à la création desquelles Julien Bras a contribué. L’une est spécialisée dans la production d’encres conductrices transparentes pour l’industrie électronique (Poly-Ink), et l’autre dans la production de nanocelluloses pour l’industrie du papier, des composites et la chimie (Inofib).
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