FEMTO-Engineering, composante du Carnot Télécom & Société numérique, propose aux industriels une nouvelle technique de découpe et de perçage de matériaux transparents. À partir d’un laser femtoseconde, les experts atteignent des niveaux de précisions inégalés pour l’usinage de matériaux ultra-durs. Jean-Pierre Goedgebuer, directeur de FC’Innov (FEMTO-Engineering), nous explique le principe de fonctionnement de cette technique.
Qu’est-ce que l’usinage de précision à haut rapport de forme et quelles sont ses applications ?
Jean-Pierre Goedgebuer : L’usinage de précision est utilisé dans la découpe, le perçage ou encore la gravure de matériaux. Il permet d’inscrire différents motifs dans des matières comme le verre, l’acier et l’inox. C’est une méthode largement répandue dans l’industrie. Lorsque l’on parle d’usinage de précision, cela correspond à une technique de positionnement et de mise en forme extrêmement fine de l’ordre de 2 microns (10-6 mètre). L’appellation rapport de forme fait par exemple référence au perçage. Il correspond au rapport entre la profondeur et le diamètre. Un rapport de forme élevé signifie un perçage sur des diamètres très petits et des profondeurs extrêmement grandes. Ainsi, un rapport de forme de 100 correspond à un diamètre 100 fois inférieur à sa profondeur.
Découper ou percer consiste en une destruction locale et maîtrisée de la matière. Pour y parvenir, nous apportons de l’énergie par laser. Celui-ci émet de la chaleur lorsqu’il entre en contact avec le matériau.
A quoi correspond l’usinage femtoseconde ?
JPG : Le terme femtoseconde[1] caractérise la durée des impulsions laser qui sont de quelques dizaine ou centaines de femtosecondes. La durée d’’impulsion détermine la durée d’interaction entre la lumière et la matière. Plus elle est courte, moins il y a d’échanges thermiques avec la matière et donc en principe moins de destruction du matériau.
En usinage laser, nous utilisons des impulsions courtes (femtosecondes – 10-15 seconde) ou longues (nanosecondes – 10-9 seconde). Le choix dépend des applications. Pour un usinage sans effet thermique, c’est-à-dire pour lequel le matériau n’est pas affecté par la chaleur apportée par l’impulsion, nous avons intérêt à utiliser des impulsions femtosecondes qui permettent de trouver un bon compromis entre destruction de la matière et niveau d’élévation de la température.
Ces techniques sont associées à des modèles de propagation de la lumière qui permettent de simuler l’impact des propriétés du matériau sur la propagation de la lumière qui le traverse.
La technique d’usinage femtoseconde utilise habituellement des faisceaux gaussiens. La particularité de votre procédé est qu’il utilise des faisceaux de Bessel. Quelle est la différence ?
JPG : Les faisceaux lasers gaussiens sont des faisceaux à l’intérieur desquels l’énergie est répartie de façon gaussienne. Lorsqu’ils sont d’énergie élevée, ils produisent des effets non linéaires lors de la propagation dans les matériaux. C’est-à-dire des effets d’autofocalisation qui rendent leur diamètre non constant et qui distordent leur propagation. Ces effets peuvent être préjudiciables à une bonne qualité d’usinage de certains verres spéciaux
Par contre, les faisceaux de Bessel tels que nous les utilisons dans notre technique d’usinage, permettent de s’affranchir de ces effets non linéaires. Ils présentent donc la particularité de garder un diamètre constant sur une longueur bien définie. Ils se comportent comme de véritables « aiguilles laser » très fines, de quelques centaines de nanomètre de diamètre (un nanomètre correspond approximativement à la taille d’un atome). A l’intérieur de ces « aiguilles laser » se trouve une très forte concentration d’énergie. Celle-ci génère un plasma extrêmement localisé à l’intérieur du matériau, ce qui se traduit par une ablation de la matière. Par ailleurs, nous pouvons contrôler la longueur de ces « aiguilles laser » de manière très précise. Nous les utilisons pour faire de la découpe ou du perçage très profond (avec un rapport de forme jusqu’à 2 000) qui sera ultra précis, propre et sans effet thermique.
Pour mettre en place cette nouvelle technologie, nous utilisons un laser femtoseconde classique. L’astuce, qui a donné lieu à plusieurs dépôts de brevet par l’institut FEMTO-ST, a été de trouver le moyen de transformer les faisceaux gaussiens en faisceaux de Bessel.
Quels sont les intérêts de cette nouvelle technologie ?
JPG : L’intérêt est double. Comme nous avons affaire à des « aiguilles laser » qui confinent une forte densité d’énergie, il est possible de percer des matériaux très durs qui posent problème aux techniques d’usinage laser classiques. Avec le caractère athermique de la technique, le matériau avoisinant garde ses propriétés physico-chimiques intactes, il n’est pas altéré.
Cette méthode d’usinage s’applique aux matériaux transparents. Les besoins industriels sont importants car de nombreuses applications nécessitent l’usinage de matériaux transparents de plus en plus durs. C’est le cas par exemple des smartphones dont les écrans nécessitent des verres spéciaux de grande dureté pour qu’ils ne soient pas rayables. Ce marché est important et beaucoup d’industriels du laser y portent la plus grande attention, en Europe et aux Etats-Unis et bien sûr en Asie. Il y a de nombreuses autres applications, y compris d’ailleurs dans le biomédical.
Quelle est la suite pour cette technique ?
JPG : Notre mission au sein de FEMTO Engineering est de valoriser les travaux de recherche issus de l’institut FEMTO-ST. Dans ce cadre, nous avons des partenariats avec des industriels avec qui nous explorons comment cette nouvelle technologie peut répondre à leurs besoins sur des matériaux très spécifiques pour lesquels l’usinage femtoseconde classique ne donne pas de résultats satisfaisants. Nous travaillons actuellement sur la découpe de nouveaux matériaux pour smartphone, mais aussi de polymères pour des applications médicales.
La recherche fondamentale menée par l’institut FEMTO-ST, quant à elle, continue notamment pour mieux comprendre les mécanismes d’interaction lumière-matière et de formation de plasma. Cette recherche vient d’être lauréate de l’ERC (European Research Council) qui finance des projets exploratoires porteurs de découvertes scientifiques. L’objectif est de bien maîtriser les propriétés physiques de la propagation des faisceaux de Bessel qui ont été peu étudiés sur le plan scientifique jusqu’à présent.
[1] Une femtoseconde correspond à un millionième de milliardième de seconde. C’est approximativement la durée d’une période d’une onde électromagnétique. Une femtoseconde est pour une seconde ce qu’est la seconde pour la durée de vie de l’Univers
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