Comment donner à nos smartphones une meilleure autonomie ? Pour Maurice Gagnaire, chercheur à Télécom ParisTech, la solution pourrait passer par le cloud computing mobile. En déportant les opérations de calcul effectuées par nos terminaux vers de serveurs locaux, la sollicitation de la batterie serait diminuée. Il pourrait alors en résulter une augmentation du temps d’utilisation sur charge de plusieurs heures. Une solution présentée lors du colloque IMT sur la place de la transition numérique dans le secteur de l’énergie le 28 avril dernier.
« Ô rage ! Ô désespoir ! Je n’ai plus de batterie ! » C’est à quelques mots près ce que l’utilisateur décontenancé déclare régulièrement en voyant virer au rouge la petite pile sur l’écran de son téléphone mobile. Il est vrai que l’autonomie des smartphones est un sujet sensible. Rares sont ceux qui, dans le cas d’une utilisation multi-usages quotidienne — téléphonie, navigation web, réseaux sociaux, vidéo streaming, jeux etc. — tiennent une charge de plus de 24 h. Augmenter l’autonomie est un véritable enjeu, a fortiori dans la perspective de l’émergence de la 5G qui permettra de nouveaux usages très énergivores, comme le streaming en ultra HD ou la réalité virtuelle, sans parler de l’usage des terminaux en tant qu’agrégateurs de données pour l’Internet des objets (IoT). L’alliance pour les réseaux mobiles de prochaine génération (NGMN) émettait d’ailleurs en 2015 la recommandation de porter à 3 jours la capacité des mobiles à tenir la charge.
Deux grandes voies peuvent être envisagées pour atteindre cet objectif : développer une nouvelle génération de batteries, ou faire en sorte que les smartphones consomment moins. Dans les laboratoires de Télécom ParisTech, Maurice Gagnaire, chercheur dans le domaine du Cloud et des réseaux de données économes en énergie, explore la deuxième option. « Un terminal mobile est très énergivore, assure-t-il. En plus de devoir effectuer des tâches de calcul pour les applications utilisées, il fait tout un travail de fond sur la connectivité pour savoir à quelle station de base se connecter et à quel débit optimal communiquer. » La piste étudiée par Maurice Gagnaire et son équipe consiste à diminuer la sollicitation énergétique du smartphone sur les tâches de calcul liées aux applications. Les scientifiques ont d’abord établi une hiérarchie des applications en fonction de leurs demandes énergétiques, mais aussi de leurs exigences en termes de temps de réponse. Un outil de conversion d’une séquence audio en un texte écrit ne présente en effet pas les mêmes contraintes qu’un outil de détection de virus, ou qu’un jeu en ligne.
Une fois cette première étape effectuée, les chercheurs se sont attelés au cœur du sujet : l’économie d’énergie. Ils ont mis au point une solution de cloud computing mobile pour laquelle les outils logiciels les plus sollicités et les plus gourmands en énergie sont supposés être disponibles dans des serveurs à proximité, appelés cloudlets. Ainsi, lorsque le téléphone doit effectuer un calcul pour une de ces applications, il le déporte vers le cloudlet pour économiser de la batterie. Deux principaux tests conditionnent le déport. Le premier concerne le bilan énergétique : quel est le gain en termes d’autonomie ? Il dépend de la capacité effective de l’interface radio à l’endroit et à l’instant considérés. Le second est la qualité d’expérience attendue par l’utilisateur : l’utilisation de l’application sera-t-elle ou non fortement altérée ?
L’ensemble de ces deux tests est à la base de l’algorithme MAO (Mobile Applications’ Offloading) développé par Telecom ParisTech. La difficulté se son développement a découlé de son interdépendance avec des aspects aussi divers que l’architecture matérielle de la circuiterie du mobile, les protocoles utilisés sur l’interface radio, ou encore la prise en compte de la mobilité de l’utilisateur. En fin de compte, « le principe un peu similaire à ce que vous pouvez trouver dans les aéroports, où vous vous connectez à un serveur local situé au spot Wifi » explique Maurice Gagnaire. Mais dans le cas de l’économie d’énergie, le service se veut « universel », et non pas lié à une zone géographique précise comme c’est le cas pour les aéroports. Et en plus de proposer des services de navigation ou de tourisme, les cloudlets hébergeraient un double des applications les plus couramment utilisées. Lorsque le téléphone dispose de peu de batterie, ou qu’il est fortement sollicité par l’utilisateur sur plusieurs applications, l’algorithme MAO permet le basculement d’un calcul de façon autonome du terminal mobile vers un cloudlet.
Gagner des heures d’autonomie de batterie ?
Grâce à une collaboration avec des chercheurs de l’université de Tempe-Arizona (USA), les scénarios théoriques étudiés à Paris ont pu être implémentés en vraie grandeur. Les premiers résultats montrent que pour les applications les plus exigeantes telles que la reconnaissance vocale, une réduction de la consommation énergétique de l’ordre de 90% pourrait être obtenue lorsque le cloudlet est situé au pied de l’antenne au centre de la cellule. Les expérimentations effectuées ont mis en évidence le fort impact de la fonction d’auto-apprentissage de la base de données liée à l’outil de reconnaissance vocale sur les performances de l’algorithme MAO.
L’élargissement du champ d’utilisation de l’algorithme MAO à une large palette d’applications laisse entrevoir la montée en échelle de la solution. En termes de perspectives, Maurice Gagnaire compte ainsi s’intéresser à l’externalisation de certaines des tâches réalisées par les processeurs graphiques (ou GPU) en charge de la gestion des écrans tactiles haute-définition des smartphones. Des développeurs de jeux sur mobile devraient être particulièrement intéressés par cette approche.
De façon plus générale, l’équipe de Maurice Gagnaire souhaite à présent collaborer avec un opérateur réseau ou un équipementier. Un partenariat permettrait de tester sur un cas d’usage réel et à grande échelle l’apport de l’algorithme MAO et des cloudlets aux utilisateurs. Il offrirait également aux opérateurs de nouvelles perspectives sur les stations de base de prochaine génération, qui verront le jour avec l’essor de la 5G prévue pour 2020.
Cet article fait partie de notre dossier Numérique et énergie : des transitions inséparables !
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