Au contact de PME ou de porteurs de projet innovant, les chercheurs du projet MORICETT, mené par Virginie Lethiais (IMT Atlantique), s’interrogent sur la mobilisation des ressources pour l’innovation. Quelles raisons poussent ces acteurs à choisir une ressource plutôt qu’une autre ? Y-a-t-il plus d’innovations dans les grands centres ? Quelques questions auxquelles ce projet tentera de répondre.
Alors que vous vous brossiez les dents, une idée de génie vous frappe de plein fouet ! Pas de temps à perdre car l’innovation n’attend pas. Pour atteindre votre objectif, vous établissez un plan stratégique dans lequel vous listez toutes les ressources nécessaires à votre réussite. Mais comment les mobiliser ? Où allez-vous les chercher et pourquoi celles-ci plutôt que d’autres ?
Ces questions sont au cœur du projet MORICETT [1] (MObilisation des Ressources pour l’Innovation et la Coopération, Territoire et TIC) dirigé par Virginie Lethiais, économiste à IMT Atlantique, et financé par la MSHB [2]. Ce projet a pour objectif d’amorcer un projet ANR qui visera à comprendre les raisons de la mobilisation des ressources sur les régions Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie. Il permettra également d’identifier des différences selon la densité d’emplois des zones étudiées et entre les régions.
Une étude centrée sur les PME et les porteurs de projet innovant
MORICETT se concentre sur la mobilisation des ressources pour deux types d’innovation. Le premier : les porteurs de projet innovant identifiés directement auprès d’incubateurs de start-up. Ces personnes développent généralement leur projet en parallèle de leur activité professionnelle et peuvent éventuellement avoir pour projet de créer la leur. « Ce profil nous permet de suivre des projets dès leur mise en place et de regarder les ressources dont ces personnes ont besoin. Où vont-elles les chercher et pourquoi là ? », précise Virginie Lethiais. Ces questions s’installent dans la continuité de travaux menés auparavant par les chercheurs participant à MORICETT qui ont déjà pu démontrer que le réseau interpersonnel joue un rôle important dans la création d’entreprise. Les nouveaux entrepreneurs s’appuient avant tout sur leurs connaissances et non sur le réseau local. Les chercheurs souhaitent également les suivre pendant 3 ans afin d’obtenir une vision chronologique de l’évolution de leur projet.
Deuxième profil d’intérêt pour l’étude : les innovations au sein de petites ou moyennes entreprises déjà existantes. « Sans se focaliser sur un domaine, nous nous concentrons sur ce point d’entrée qu’est l’innovation », ajoute Virginie Lethiais. Par cela il faut comprendre innovation au sens large.
Quelles ressources pour quelles innovations ?
« Dans la littérature, l’innovation est souvent mesurée par le dépôt de brevet. Or, nous avons observé dans de précédentes études que ce critère de définition n’est pas adapté aux PME. Ainsi alors que près de 50 % des PME bretonnes déclarent innover, seulement 6 % déposent des brevets », tempère Virginie Lethiais. En effet, innovation ne signifie pas forcément création d’un produit industrialisable. L’aspect innovant peut être une nouvelle manière de s’organiser en interne pour minimiser les coûts, l’apport d’autres techniques managériales, le développement d’un nouveau produit… L’équipe de chercheurs souhaite ainsi valoriser tout type d’innovation tant qu’il s’agit de quelque chose de nouveau pour l’entreprise.
Toutefois, pour mener à bien son projet d’innovation, la PME doit identifier les ressources stratégiques qui vont lui être nécessaires. Une ressource humaine, de nouveaux partenaires ou des locaux, ce qui intéresse réellement les chercheurs du projet MORICETT n’est pas la nature de la ressource mais son importance. « Nous nous intéressons à des ressources qui pourraient bloquer le développement de l’entreprise. C’est donc une liste non exhaustive. Nous partons du principe que l’identification des ressources stratégiques va être faite par les porteurs de projet eux-mêmes », précise Virginie Lethiais.
Une question centrale : l’impact de la localisation géographique
D’après la catégorisation INSEE habituellement utilisée en géographie de l’innovation, « une aire urbaine ou « grande aire urbaine » est un ensemble de communes, constitué par un pôle urbain de plus de 10 000 emplois ». Toutefois, cette définition ne satisfait pas les chercheurs qui la considèrent inadaptée à l’étude de la mobilisation des ressources à l’échelle des territoires. « En Bretagne, les grands pôles urbains définis par l’INSEE mettent dans la même catégorie une métropole comme Rennes et la ville de Pontivy. Cette classification ne prend pas en compte la différence de tissu industriel entre ces deux pôles », explique Virginie Lethiais. Aussi MORICETT travaillera sur cette catégorisation de l’espace.
« Nous observons pas mal de politiques publiques qui favorisent les innovations dans les espaces denses en termes d’emplois car considérés comme plus favorables que des centres urbains moins développés. Notre questionnement est le suivant : y-a-t-il réellement plus d’innovations dans les espaces denses qui justifieraient ces politiques ? » expose la chercheuse. Cette question n’est pas posée par hasard. Elle découle directement de précédents travaux menés sur des PME. Ceux-ci montrent notamment que l’espace dense ne favorise pas la mobilisation de ressources locales. Au contraire, il permet aux entreprises d’accéder à des ressources plus éloignées (souvent à l’étranger) grâce aux infrastructures de transport disponibles.
Enfin, il n’est pas possible d’interroger le lien entre territoire et innovation sans évaluer l’impact des technologies de l’information et de la communication. Comment le numérique aide à trouver une ressource, la contacter et éventuellement la mobiliser sur le long terme ? Permet-il réellement d’atteindre des ressources distantes et de faire ainsi tomber les barrières de la localisation auxquelles s’attachent les politiques publiques ?
Mise en place d’une base de données sur mesure
Pour ce projet, les chercheurs mobilisent une méthode dite des « narrations quantifiées ». Ils effectuent des entretiens semi-directifs auprès des porteurs de projet et obtiennent ainsi un matériau narratif. L’objectif est ensuite de coder ces informations. « Par exemple, on identifie le besoin d’une ressource humaine dans l’informatique que l’on code « 1 ». Puis on code les compléments d’information. La personne a-t-elle été trouvée par l’intermédiaire d’une connaissance, d’un organisme extérieur ? Est-elle locale ? Etc. et on effectue ceci pour chaque ressource utilisée par les porteurs de projets », explique Virginie Lethiais. L’objectif de cette approche est d’obtenir une base de données globale sur la mobilisation des ressources.
Cette méthode répétée un grand nombre de fois, permettra par la suite d’analyser quantitativement ces informations. La base de données qui en résultera sera ensuite ouverte à d’autres chercheurs et aux institutions engagées dans la promotion de l’innovation à l’échelle des territoires. Les mesures de MORICETT pourront notamment identifier s’il existe un manque de ressources et de quelle nature dans les différentes régions de l’étude.
[1] MORICETT regroupe une équipe de chercheurs pluridisciplinaire d’IMT Atlantique, de l’Université de Poitiers et de l’Université Toulouse Jean Jaurès. Sociologues, géographes ou encore économistes participent à ce projet.
[2] Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne
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