Quèsaco l’ordinateur quantique ?

Utiliser la logique quantique pour effectuer des calculs s’annonce comme un changement radical dans le traitement de l’information. Les capacités de calcul d’un ordinateur quantique pourraient dépasser celles des plus gros supercalculateurs actuels d’ici 10 ans. Romain Alléaume, chercheur en information quantique à Télécom ParisTech, nous aide à comprendre son fonctionnement.

 

La nature de l’information est-elle différente dans un ordinateur quantique ?

Romain Alléaume : En informatique classique, l’information est codée sous forme de bits : 1 ou 0. Ce n’est pas tout à fait la même chose dans le cas de l’informatique quantique. Nous ne parlons plus de bit, mais de « bit quantique », ou qubit. Et il y a une grosse différence entre les deux. Un bit classique est soit dans l’état 0, soit dans l’état 1. Un qubit peut être dans n’importe quelle superposition de ces deux états, et donc prendre bien plus que deux valeurs.

En raisonnant sur plusieurs bits ou qubits, la différence est flagrante. Là où n bits classiques ne peuvent prendre qu’une valeur parmi 2n possibilités, n qubits peuvent prendre n’importe quelle combinaison de ces 2n états. Par exemple, 5 bits prennent une valeur parmi 32 possibilités : 00000, 00001… jusqu’à 11111. 5 qubits peuvent prendre comme état n’importe quelle superposition linéaire de ces 32 états précédents, soit plus d’un milliard d’états. C’est cet accroissement phénoménal de la taille de l’espace des états accessibles qui explique la capacité de calcul plus grande pour l’ordinateur quantique.

 

Concrètement, à quoi ressemble un qubit ?

RA :  Concrètement, on peut coder un qubit sur n’importe quel système quantique qui présente deux états, en privilégiant les systèmes expérimentaux que l’on sait manipuler avec précision. C’est par exemple le cas pour les niveaux d’énergie des électrons dans un atome. La mécanique quantique dit que l’énergie d’un électron « piégé » autour du noyau atomique peut prendre différentes valeurs, et que ces niveaux d’énergie prennent des valeurs précises dites « quantifiées » — d’où le nom de mécanique quantique. On peut appeler 0 et 1 les deux premiers niveaux d’énergie de l’atome, 0 correspondant au niveau de plus basse énergie, et 1 à un niveau d’énergie supérieure, dit « état excité ». On pourra alors coder un bit quantique en plaçant l’atome dans l’état 0, dans l’état 1, mais aussi dans une superposition de ces deux niveaux.

Pour réaliser de bons qubits il est important de trouver des systèmes tels que l’information quantique reste stable dans le temps. C’est en pratique un défi expérimental de réaliser de très bons qubits : les atomes ont tendance à interagir avec ce qui les entoure et à perdre leur information. On appelle ce phénomène la décohérence. Pour l’éviter, il faut très bien protéger les qubits, notamment en les plaçant dans des conditions de température très basse.

 

Quels problèmes l’ordinateur quantique permettra de résoudre efficacement ?

RA : Cela permettra d’augmenter exponentiellement la vitesse de résolution de problèmes dits « avec promesses », c’est à dire qui ont une structure définie, où l’on connaît la forme des solutions cherchées. En revanche, s’il s’agit d’inverser un annuaire, il a déjà été prouvé que l’ordinateur quantique n’améliorera la vitesse de l’opération que d’un facteur racine-carrée par rapport à un ordinateur classique. C’est une augmentation, mais ce n’est pas spectaculaire.

Il faut comprendre que l’ordinateur quantique n’est pas magique : il ne transformera pas tout et ne remplacera pas le calcul classique. Ses premiers domaines d’application seront probablement liés à la simulation de l’évolution de systèmes quantiques pour lesquels on ne sait aujourd’hui pas résoudre les équations, comme en chimie quantique, en supraconductivité… À plus long terme, la construction de grands ordinateurs quantiques permettrait de casser une grande partie de la cryptographie utilisée aujourd’hui sur internet.

 

Les grandes capacités de calcul de l’ordinateur quantique poseront-elles quelques problématiques scientifiques ?

RA : Les calculateurs quantiques peuvent remettre en cause certains principes de cryptographie actuels, notamment ceux utilisés pour crypter des données sur internet. Or, comme les données sont stockées pendant des années, voire des dizaines d’années, il faut penser dès à présent à de nouvelles techniques cryptographiques qui pourront résister à l’ordinateur quantique.

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Quand l’ordinateur quantique concurrencera-t-il les supercalculateurs classiques ?

RA : Encore plus qu’en informatique classique, l’informatique quantique demande des codes correcteurs d’erreurs pour améliorer la qualité de l’information codée sur les qubits, et passer à l’échelle. Actuellement, il est possible de construire un ordinateur quantique comportant une quinzaine de qubits et l’on commence à développer des petits ordinateurs quantiques fonctionnant avec des codes correcteurs d’erreurs. Nous estimons par ailleurs que le nombre de qubits doit être de 50 pour qu’un ordinateur quantique soit capable de surpasser un supercalculateur et résoudre des problèmes hors d’atteinte aujourd’hui. En termes de temps, ce n’est pas si loin. Probablement cinq ans pour cette étape importante, souvent appelée « suprématie quantique ».