Les données récoltées par les véhicules communicants sont une mine d’or pour les fournisseurs de nouveaux services. Mais afin de vendre et d’acheter ces données, les acteurs économiques ont besoin d’une place de marché dédiée. Depuis 2015, le projet H2020 AutoMat développe une telle plateforme d’échange. Pour remplir cette mission d’ici 2018 — date de fin du projet— il faudra notamment parvenir à définir un modèle économique viable. C’est la tâche à laquelle s’attellent les chercheurs de Télécom ParisTech, partenaire du projet.
Quatre roues, un moteur, probablement une batterie, mais surtout une énorme quantité de données générées et transmises chaque seconde. Telle sera la voiture d’un futur plus proche qu’on ne le pense : intelligente et communicante, peu de doute subsiste sur ce point. Et bien au-delà des paramètres de conduite enregistrés pour faciliter la maintenance, ou des informations transmises pour améliorer la sécurité sur les routes, les données qui seront acquises par nos véhicules constituent une opportunité de marché pour des services tiers.
Mais afin de créer ces nouveaux services, encore faut-il mettre au point une plateforme sûre de vente et d’achat des données, disposant de volumes suffisamment grands pour être attractive. C’est là l’objectif que tente d’atteindre le projet AutoMat — débuté en avril 2015 et financé par le programme européen de recherche H2020 — en développant un prototype de place de marché.
Parmi les membres de ce projet se trouvent deux fournisseurs de service : MeteoGroup et Here, entreprises respectivement spécialisées dans les prévisions météo et la cartographie. Pour ces deux acteurs, les données des voitures n’ont de valeur que si elles proviennent de nombreux constructeurs. Pour MeteoGroup, l’intérêt d’utiliser des véhicules comme sondes météo est en effet de pouvoir connaître en temps réel la température ou les conditions à presque n’importe quel endroit en Europe. Mais une seule marque ne disposerait pas d’un nombre de voitures suffisant pour faire remonter autant d’informations : il faut donc agréger les données de plusieurs constructeurs. Une tâche difficile, puisque pour des raisons historiques chacun stocke la data dans un format qui lui est propre.
Pour faciliter les choses et n’avantager personne, l’université technique de Dortmund est engagée sur le projet pour définir un nouveau modèle avec un format standard de données faisant consensus. Reste que cela oblige les constructeurs automobiles à changer leurs processus pour intégrer une étape de formatage de la donnée. Mais le coût de cette adaptation est marginal face à la forte valeur que peuvent prendre leurs données agrégées avec celles de leurs concurrents. Les groupes Renault et Volkswagen, ainsi que le centre de recherche Fiat sont d’ailleurs partenaires du projet AutoMat, afin d’identifier comment capter le potentiel économique sous-jacent.
Quel modèle économique ?
En réalité, il est moins difficile de convaincre les constructeurs que de trouver un modèle économique pour le prototype de place de marché. C’est pour cela que Télécom ParisTech est engagée dans AutoMat au travers de son département Sciences économiques et sociales (SES). Giulia Marcocchia, doctorante en sciences de gestion sur le projet, dresse un état des lieux des réflexions sur le sujet :
« Nous menons actuellement des expérimentations sur des cas d’usage, mais le business model recherché est quelque chose d’unique donc cela prend du temps à définir. Jusqu’à présent, les constructeurs utilisaient les données remontées par les voitures pour l’optimisation de la maintenance ou la réduction du coût de cycle de vie. Dans d’autres secteurs, des places de marché existent pour la vente de données par packs ou sur un mode de souscription à des usagers clairement identifiés soit comme une entreprise intermédiaire, soit comme le consommateur final.
Mais dans le cas d’une place de marché pour des données agrégées des voitures, les usagers ne sont pas aussi clairement définis : les acteurs économiques intéressés par ces données sont à découvrir simultanément à la définition de la plateforme et de l’écosystème qui se dessine autour de la voiture connectée. »
Pour les chercheurs du département SES, tout l’enjeu est là : étudier comment un nouveau marché se crée. Ils adoptent pour cela une démarche effectuale. Valérie Fernandez, chercheuse en management de l’innovation et directrice du département, décrit cette méthode comme le fait de « non pas utiliser l’outil business model pour analyser un marché, mais comme un outil de dialogue entre acteurs de secteurs d’activité différents, visant à faire émerger un marché qui n’existe pas ».
L’approche est centrée sur l’utilisateur : qu’attend-il du produit et comment s’en saisit-il ? Il est ici tout autant le constructeur automobile qui alimente la plateforme avec les données qu’il récolte, que le fournisseur de services qui achète ces données. « Nous avons une véritable perspective anthropologique pour étudier cet utilisateur qui est complexe, car multiface, souligne Valérie Fernandez. Le constructeur se retrouve notamment producteur de la donnée mais aussi usager potentiel, ce qui est un nouveau rôle pour lui dans une logique de marché à deux faces ».
Il en va de même pour le conducteur, potentiel utilisateur final des nouveaux services générés, et qui pourrait avoir un droit de propriété sur les données acquises par le véhicule qu’il conduit. Juridiquement, les choses ne sont pas fixées et sont en débat à l’échelle européenne. Mais quel que soit le résultat, « la place de marché établie par AutoMat saura intégrer les questions de propriété du conducteur sur la donnée » assure Giulia Marcocchia.
Le projet court jusqu’en mars 2018. Durant sa dernière année, différents cas d’usage devraient permettre de définir un modèle économique et de répondre aux questions qui se posent sur les usages par les différents utilisateurs. Si l’objectif s’avérait rempli, AutoMat constituerait alors un outil de poids pour le développement des véhicules intelligents en Europe.
Assurer une place de marché sécurisée et indépendante
En plus des partenaires cités dans l’article ci-dessus, le projet AutoMat associe des acteurs pour la sécurisation de la place de marché et sa gouvernance. Atos est ainsi en charge de la plateforme, de sa conception à l’analyse des données pour aider à identifier les potentiels de marché. Deux partenaires, ERPC et Trialog, sont également impliqués dans des volets cruciaux du développement de la place de marché : la cybersécurité et la confidentialité. Le support de l’ensemble des parties prenantes pour l’ingénierie des systèmes logiciels est assurée par ATB, une organisation de recherche à but non lucratif.
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