Chantal Morley, chercheuse à Télécom École de Management, travaille sur la construction sociale de la masculinité des technologies de l’information et de la communication (TIC). Plusieurs études empiriques analysées à travers un cadre structurationniste lui ont permis de comprendre comment les stéréotypes liant genre et technologie sont maintenus ou déconstruits par des interactions, souvent langagières, au quotidien. La notion d’inclusion sociale l’a conduite à proposer un cadre pour penser l’inclusion des femmes dans le monde professionnel de l’informatique comme un changement de culture et de pratiques.
Pour Chantal Morley, le faible nombre de femmes dans les métiers des TIC est un enjeu managérial et sociétal. Les femmes participent peu à la conception de produits et processus liés aux TIC qui pourtant façonnent le monde dans lequel nous vivons. Ces technologies sont une source majeure d’innovation et de développement, mais les femmes n’en profitent que faiblement, et de plus elles constituent un potentiel de croissance inexploité (European Commission 2013). Les entreprises qui ont mis en place une politique de diversité peinent à recruter des femmes dans ces métiers techniques (AFMD & CIGREF 2013), alors que les résultats des filles, tant au niveau du baccalauréat Sciences que des classes préparatoires scientifiques, attestent de l’existence d’un vivier de jeunes filles compétentes (ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche 2015).
Éclairages sur le phénomène
D’après Chantal Morley, la faible représentation des femmes dans le domaine des TIC n’est pas sans lien avec des phénomènes de discrimination. En effet, le stéréotype de genre y reste dominant, et il exprime en particulier un moindre talent et/ou une moindre valeur professionnelle des femmes dans les métiers du numérique par rapport aux hommes, déclinaison de la « valence différentielle des sexes », selon l’expression de l’anthropologue Françoise Héritier.
La persistance d’un stéréotype dévalorisant les femmes par rapport à la technique est source de discrimination (moindres opportunités d’avancement, difficulté à pénétrer les réseaux informels, faible tolérance à des comportements de leader…). En cherchant à comprendre comment ce stéréotype peut continuer à être mobilisé dans des sphères pourtant soumises à un régime d’égalité entre les sexes (égalité de parcours, diplômes, concours…), Chantal Morley a montré qu’il se glisse de façon furtive dans des interactions au quotidien, le plus souvent sans que celles ou ceux qui en sont la cible ou y assistent ne les relèvent. Cette inscription dans les pratiques, parce que peu visible, contribue à maintenir l’idée que la compétence technique fait partie de l’identité masculine. Chantal Morley a proposé une typologie des mouvements de typification sexuée qui constitue un outil pour repérer les éléments de discours et les micro-actions, souvent peu visibles, qui renforcent ou au contraire déconsolident le stéréotype de genre.
Un changement de culture est nécessaire
On pense souvent qu’un rééquilibrage numérique entre filles et garçons transformera l’image de la technique, modifiera les pratiques culturelles et fera disparaître les obstacles pour les femmes. Or, la chercheuse a mis en lumière que la consolidation du stéréotype de genre est également partagée entre les deux sexes. Ce constat, ajouté à une compréhension du genre comme un concept relationnel, l’a conduite à s’interroger sur les programmes d’encouragement à l’inscription des femmes dans la technique : ils sont généralement destinés aux femmes, alors que tous participent au maintien du stéréotype de genre.
S’appuyant sur les réflexions, recherches et pratiques dans le domaine social, qui ont mis en évidence le changement apporté par le passage d’une approche en termes d’exclusion à une approche basée sur la notion d’inclusion, Chantal Morley a transposé cette approche pour analyser comment les métiers de l’informatique pourraient cesser d’être des bastions d’une culture qui entretient « l’engendrement » des technologies numériques, selon l’expression de Chabaud-Rychter & Gardey (2002). Elle a proposé un cadre qui permet de penser l’inclusion des femmes dans le monde professionnel de l’informatique en redonnant place à la capacité d’agir individuelle et collective. Ce cadre a été utilisé, à l’occasion d’un congé d’étude auprès de l’Université de Genève, pour poser un diagnostic dans plusieurs écoles spécialisées dans les TIC en Suisse Romande et élaborer des orientations vers une mixité accrue.
Une reconnaissance au niveau national
Chantal Morley anime le groupe d’enseignement et de recherche Gender@Telecom qui travaille sur la construction sociale des représentations autour du féminin-masculin, et sur les stéréotypes associés. Les travaux menés par ce groupe ont permis à Télécom Sud Paris de recevoir en 2016 le prix Ingénieuses de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur). Ce prix consacre non seulement le cours en ligne « Féminin-masculin dans le monde du numérique : voyages et découvertes », mais aussi le dispositif pédagogique pour la diversité mis en place depuis 2009. En novembre 2016, le cours a également remporté le prix « coup de cœur » du jury des trophées des campus responsables.
Soutenu par la Fondation Télécom, Gender@Telecom a créé un MOOC montrant la contribution méconnue des femmes aux métiers du numérique.
Retrouver la mémoire des femmes dans l’informatique
Pour diffuser cette culture de la mixité sur le campus de Télécom SudParis et Télécom École de Management, Chantal Morley et le groupe Gender@Telecom ont enrichi l’offre de cours sur le féminin-masculin et sur la diversité, avec un cours en ligne intitulé « Féminin-Masculin dans le monde du numérique : voyages et découvertes » (voir encadré). Lancé début 2016, ce SPOC (Small Private Online Course) comporte trois parties : la première apporte un éclairage sur la place méconnue des femmes dans l’histoire de l’informatique aux États-Unis ou en Europe ; la deuxième partie conduit à s’interroger sur le sexe d’un métier en découvrant une parité dans les métiers de l’informatique de certains pays, comme la Malaisie ; la troisième partie s’attache aux stéréotypes en vigueur dans le monde des TIC (comment ils fonctionnent, quels en sont les effets, quelles évolutions aujourd’hui ?) pour apprendre à les reconnaître et les déconstruire. Une évaluation approfondie de ce cours a montré sa contribution à la déconstruction du stéréotype et à l’empowerment des femmes par rapport aux métiers du numérique.
Du management des SI à la sociologie du genre
Chantal Morley est professeure à Télécom École de Management. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion de HEC, d’une habilitation à diriger les recherches (HDR) de l’IAE de Montpellier-II, et d’un Master en Sociologie du genre de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales).
Elle a commencé sa carrière dans le secteur du conseil en systèmes d’information. Après une thèse sur les méthodes de conception, elle a rejoint le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche avec la création du département Systèmes d’information (DSI) de Télécom École de Management.
Auteure d’un ouvrage de référence sur la gestion d’un projet de système d’information (SI), elle a co-écrit plusieurs ouvrages sur le management des SI, ainsi qu’un livre sur la Génération Y au travail. Elle fait partie du comité de rédaction du journal Systèmes d’Information et Management. Depuis une dizaine d’années, ses recherches sont en grande partie centrées sur la relation entre genre et technologies de l’information.
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bonjour Chantal, j’ai eu le plaisir de vous rencontrer le 12/10/18 au LAB de pole-emploi, j’aurais aime retrouver la présentation que vous nous avez faite sur l’historique des femmes dans le numérique.
je vous remercies.
Carole ROSA Refente égalité pole-emploi. paris 75018.