Une voiture autonome ou semi-autonome sait-elle vraiment où elle se trouve sur une carte ? Et avec quelle précision peut-elle se positionner sur la route ? Pour les scientifiques du projet européen H2020 « HIGHTS », il est nécessaire que les systèmes de transports intelligents connaissent leur position au quart de mètre. Jérôme Härri, chercheur en systèmes de communication à Eurecom — école partenaire de ce projet — détaille avec nous comment revoir l’utilisation des technologies actuelles de positionnement pour parvenir à cette précision. Il nous explique également pourquoi cela implique une approche différente de celle adoptée par des constructeurs comme Tesla ou Google.
Vous cherchez des solutions permettant de localiser des véhicules à 25 centimètres près. Pourquoi cette valeur ?
Jérôme Härri : Cela correspond en moyenne à la marge dont dispose une voiture à droite et à gauche pour se déporter sans sortir de sa voie de circulation. C’est une distance qui se retrouve à la fois dans la littérature scientifique et dans les demandes des partenaires industriels qui souhaitent développer des transports intelligents. Disons qu’il s’agit là d’une valeur à partir de laquelle il est possible de faire de la conduite autonome en assurant la sécurité nécessaire aux véhicules et aux personnes : plus précis, c’est mieux ; moins précis, c’est difficile.
Actuellement, sommes-nous loin de cette résolution spatiale ? Avec quelle précision les GPS qui équipent la plupart de nos véhicules nous placent-ils sur la route ?
JH : Le GPS de base peut nous positionner avec une précision de 2 à 10 mètres, et le nouveau système Galiéo promet une précision de 4m. Mais c’est à condition d’avoir accès à suffisamment de satellites et d’être en zone ouverte, c’est à dire en zone rurale. En mode urbain, les bâtiments élevés rendent les satellites moins disponibles et il est rare d’avoir une précision inférieure à 5 mètres. L’erreur est ensuite réduite par projection, de telle sorte que l’utilisateur ne voit que rarement une aussi grande erreur de précision. Mais cela ne peut pas fonctionner pour la voiture autonome. Après, il existe des améliorations des GPS, comme les GPS différentiels, qui peuvent nous géolocaliser à un mètre près, voire moins. La technologie de cinématique en temps réel [RTK pour real time kinematic], utilisée pour la cartographie en montagne est encore plus efficace. Mais elle coûte cher, et est également soumise à des limites en ville. La techno RTK tend à se populariser dans la dynamique des villes numériques, mais nous n’y sommes pas encore.
Pourtant Google et Tesla construisent déjà leur voiture autonome ou semi-autonome. Comment font-elles pour se localiser ?
JH : Les voitures autonomes actuelles utilisent un positionnement sur des cartes très précis, à la voie près, en couplant le GPS à la 4G. Mais ce système est lent. Il est donc utilisé pour la navigation, afin que la voiture sache ce qu’elle doit faire pour aller à sa destination, mais pas pour la détection de danger. Pour cela, elles ont recours à des radars, des lidars — c’est à dire des lasers — ou des caméras. Ce système a des limites cependant : les détecteurs ne peuvent voir qu’à une cinquantaine de mètres environ. Or sur autoroute, les voitures se déplacent à 30, voire 40 mètres par seconde. Cela ne laisse donc qu’une seconde à la voiture autonome pour s’arrêter, ralentir ou s’adapter en cas de problème… C’est trop faible. Et le système n’est pas sans faille. L’accident de la voiture Tesla en mai dernier était par exemple dû au fait que la caméra censée détecter les dangers a confondu la couleur claire d’un camion avec le ciel également clair.
Pour améliorer la géolocalisation et la fiabilité, quelle voie explorez-vous avec le projet HIGHTS ?
JH : Nous voulons savoir à 25 centimètres près où se situe un véhicule sur la route, et pas seulement par rapport à une autre voiture. Pour cela, nous utilisons la coopération entre véhicules afin de pouvoir se trianguler et de réduire l’impact d’un faible signal GPS. Nous considérons que tout véhicule environnant peut être une ancre pour la triangulation. Par exemple : une voiture autonome a un faible signal GPS, mais elle a trois voisins avec un meilleur signal. Nous augmentons son positionnement absolu en triangulant sa position par rapport aux trois véhicules avoisinants. Pour cela, nous avons besoin de technologies de communication afin d’échanger les positions GPS — Bluetooth, Zizbee, WiFi, etc. — et de technologies telles que les caméras et radars afin d’augmenter la position relative entre les véhicules voisins.
Et si une voiture est isolée sans autre véhicule à proximité ?
JH : Dans le cas où il n’y a pas assez de véhicules environnants, nous poursuivons également une approche implicite. En se basant sur des capteurs en bord de route à des endroits stratégiques, il est possible de placer avec précision la voiture sur une carte. Par exemple, si je connais la distance de mon véhicule à un panneau publicitaire ou à un feu tricolore, et les angles dessinés entre ces éléments et la route, je peux coupler cela au positionnement GPS du panneau et du feu tricolore, qui eux ne bougent pas, et sont donc des ancres de localisation très fortes. Nous mélangeons donc l’approche relative avec un positionnement absolu des entités sur la route. Mais c’est une situation qui se présente moins fréquemment. Ce qui nous permet essentiellement d’augmenter la précision dans la majorité des cas, c’est la coopération entre les véhicules.
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Le projet HIGHTS cherche donc plus à coupler les différentes technologies existantes qu’à en trouver de nouvelles ?
JH : Oui, afin de valider leur efficacité. Mais en parallèle nous travaillons aussi à l’évolution des réseaux de télécommunication LTE pour la transmission d’information de véhicule à véhicule — ce que nous appelons le LTE-V2X. Par ce biais nous souhaitons renforcer la fiabilité des communications. Le WiFi n’est en effet par forcément la technologie la plus robuste. Sur un ordinateur, lorsque le WiFi ne marche, on peut toujours regarder un film. Mais dans le cas des voitures une technologie V2X alternative permet d’assurer les communications si la liaison WiFi tombe, que ce soit par accident ou en conséquence d’une attaque informatique. Par ailleurs, ces réseaux nous offrent la perspective d’utiliser les smartphones des piétons pour éviter les collisions. Avec les réseaux LTE, il s’agit pour HIGHTS de tester la faisabilité de l’approche LTE device-to-device pour des communications inter-véhiculaires. Nous nous plaçons là en amont des travaux de standardisation. C’est l’expérience de ce projet qui nous permet d’être au-delà des standards actuels et de les développer avec des organismes comme l’ETSI-3GPP, l’ETSI-ITS ou l’IETF.
Votre approche coopérative a-t-elle des chances de s’imposer face à l’approche individualiste de Tesla ou de Google qui veulent rester souverains de leurs véhicules et de leurs solutions ?
JH : Les deux approches ne sont pas incompatibles. C’est une culture des pays. Les américains (Google, Tesla) pensent « voiture autonome » au sens strict, sans aucune aide extérieure. De leur côté les européens pensent « voiture autonome » au sens plus large, sans l’assistance du conducteur, et ont donc plus tendance à prendre une approche coopérative afin de réduire les coûts et améliorer l’interopérabilité des futures voitures autonomes. Nous travaillons ainsi sur l’aspect collaboratif depuis quelques années déjà, avec notamment des recherches sur l’intégration des voitures dans l’internet des objets menées en collaboration avec le CEA et BMW — par ailleurs partenaires du projet HIGHTS. Il y a donc des pistes très concrètes et prometteuses de notre côté. Et puis le département américain des transports a publié une directive imposant aux véhicules de disposer d’unité de coopération à partir de 2019. Google et Tesla pourront donc toujours ignorer cette technologie, mais comme elle sera présente dans les véhicules et disponible gratuitement pour eux, il y a de fortes chances qu’ils l’utilisent.
HIGHTS : vers une plateforme de démonstration
Lancé en 2015, le projet HIGHTS, d’une durée de 3 ans, répond à l’appel du programme de recherche H2020 sur la thématique des transports intelligents, verts et intégrés. Il rassemble 14 partenaires[1] académiques et industriels sur cinq pays, dont des entreprises travaillant en étroite collaboration avec des grands constructeurs automobiles comme BMW. Son objectif final est de mettre en place une plateforme de démonstration des solutions de localisation de véhicules, de l’infrastructure matérielle à la partie logicielle.
[1] Allemagne : Jacobs University Bremen, Deutsche Zentrum für Luft- und Raumfahrt (DLR), Robert Bosch, Zigpos, Objective Software, Ibeo Automotive Systems, Innotec21.
France : Eurecom, CEA, BeSpoon.
Suède : Chalmers University of Technology.
Luxembourg : FBConsulting.
Pays-Bas : PSConsultancy, TASS International Mobility Center.
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