L’air intérieur est pollué par de nombreux composés organiques volatils, dont certains sont cancérigènes. Frédéric Thévenet, chercheur à Mines Douai, développe des solutions pour piéger et éliminer ces polluants, mais aussi pour améliorer les tests sur les appareils dépolluants.
Nous passons près de 90 % de notre temps en intérieur : dans notre logement, mais aussi au bureau, à l’école ou dans notre voiture. Or, cet air est beaucoup moins pur qu’on ne l’imagine, il contient notamment une catégorie de substances appelées composés organiques volatiles (COV) dont certains sont nocifs. Lutter contre ces COV, c’est la mission de Frédéric Thévenet, chercheur au département Sciences de l’Atmosphère et Génie de l’Environnement (SAGE) de Mines Douai, un laboratoire spécialisé dans la chimie analytique, capable d’analyser des molécules à l’état de traces.
Cancérigènes avérés
Les COV sont des molécules organiques gazeuses, émises dans les environnements intérieurs notamment par les matériaux de construction, les colles et peintures de nos meubles, nos produits d’entretien et d’hygiène, et même lorsque nous cuisinons. L’un d’entre eux est particulièrement préoccupant : le formaldéhyde, qui est à la fois un cancérigène avéré, et celui présent aux plus fortes concentrations. Il existe aujourd’hui des valeurs guide (des concentrations à ne pas dépasser) portant sur formaldéhyde, même si elles ne sont pas contraignantes.
Les premières actions pour réduire les COV sont des mesures de bon sens : limiter les sources en optant pour des matériaux et des meubles peu émetteurs, bien choisir ses produits d’entretien, et surtout aérer fréquemment. Mais parfois, cela ne suffit pas. C’est alors qu’intervient Frédéric Thévenet : il développe des solutions pour éliminer ces COV.
Piéger et détruire
Il existe deux manières de réduire les COV dans l’air. On peut les piéger sur une surface, par adsorption (les molécules se lient à la surface de manière réversible), puis régénérer ces pièges. On peut aussi les piéger et les détruire immédiatement, généralement par oxydation, notamment à l’aide de lumière (photocatalyse). « Mais dans ce cas, il faut s’assurer de la destruction complète des COV, qui se décomposent finalement en eau et CO2, non nocifs, souligne le chercheur. En effet, il arrive que les COV soient seulement partiellement détruits, donnant naissance à des sous-produits eux aussi dangereux. »
Au Département SAGE, ses collègues de l’équipe métrologie des COV et lui sont complémentaires. Eux déplacent leurs instruments de mesure sur le terrain. Lui préfère reproduire la réalité du terrain en laboratoire : il a créé une pièce expérimentale de 40 mètres cubes, baptisée IRINA (Innovative Room for INdoor Air studies), où il recrée différentes variétés d’atmosphère et teste des procédés de capture et destruction des COV. Ces procédés sont plus ou moins matures : Frédéric Thevenet teste aussi bien des technologies déjà sur le marché, que l’Ademe souhaite évaluer, que des matériaux adsorbants développés par des industriels qui veulent améliorer leur formulation. Plus en amont encore, il travaille aussi sur ses propres solutions développées en laboratoire. « Nous testons par exemple la régénération d’adsorbants par différentes techniques, notamment par plasma », indique-t-il.
La loi se fait attendre
Seules les lois et les normes pousseront les industriels à mettre au point des solutions efficaces d’élimination des composés organiques volatils. Or, la législation n’est pas au rendez-vous. Certes, le décret n° 2011-1727 du 2 décembre 2011 relatif aux valeurs-guides pour l’air intérieur pour le formaldéhyde et le benzène prévoit bien que dans les établissements recevant du public, les concentrations de ces deux COV ne dépassent pas certaines valeurs : 30 µg/m³ pour le formaldéhyde et 5 µg/m³ pour le benzène, pour les expositions de longue durée. Cependant, cette loi n’est pas entrée en vigueur, car les décrets d’application ne sont pas encore parus. En effet, le nombre de lieux concerné entraînait de grandes difficultés de mise en œuvre de la loi. Son application est reportée à 2018, sans certitude même sur cette date.
Par ailleurs, l’arrêté du 19 avril 2011 relatif à l’étiquetage des produits de construction ou de revêtement de mur ou de sol et des peintures et vernis sur leurs émissions de polluants volatils, vise à mieux informer les consommateurs sur les émissions de COV par les matériaux de construction ainsi que les peintures et vernis. Ceux-ci doivent comporter une étiquette indiquant les caractéristiques d’émissions de 11 substances, selon une échelle de quatre classes, de A+ à C, sur le modèle de l’étiquetage énergétique des appareils électroménagers.
Améliorer les normes
Et les résultats ? Pour l’instant, les plus intéressants se situent du côté des matériaux de construction adsorbants, par exemple lorsque ceux-ci sont formulés de manière à devenir des pièges à COV. « Ils ne consomment pas d’énergie, ont de bonnes performances de piégeage sur le long terme malgré les conditions saisonnières (température et humidité) qui varient, précise Frédéric Thévenet. Quand le matériau est bien conçu, il ne réémet pas ce qu’il a piégé. » Tous ces matériaux sont testés en conditions réalistes, par exemple en regardant la performance de ces cloisons lorsqu’on les peint.
Au-delà des tests des matériaux eux-mêmes, ces recherches visent à améliorer les normes des dispositifs anti-COV, afin de se rapprocher le plus possible des conditions réelles d’utilisation. « Nous sommes arrivés à faire une liste de recommandations précises pour qualifier les traitements », note le chercheur. Objectif : parvenir à des normes prouvant réellement l’efficacité des appareils. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas. Une enquête du magazine Que Choisir en mai 2013 avait montré que la plupart des purificateurs d’air vendus en magasins étaient inefficaces, voire dégradaient la qualité de l’air par la production de polluants secondaires. Il était urgent de remettre un peu de science dans ce domaine.
Coup de foudre pour la recherche
Pour certains, devenir chercheur est l’accomplissement d’un rêve d’enfant. D’autres sont davantage guidés par le hasard et les rencontres. De prime abord, Frédéric Thévenet ne se voyait pas chercheur. Un parcours classique de classes préparatoires et d’école d’ingénieur (Polytech’ Lyon) le destinait davantage à devenir ingénieur. Mais une rencontre en a décidé autrement. Durant sa deuxième année à Polytech’, il a effectué son stage dans un laboratoire de recherche sous la direction d’une chercheuse passionnée, Dominique Vouagner, à l’Institut Lumière Matière (ILM), unité mixte de recherche rattachée à l’université Claude Bernard Lyon 1 et au CNRS. « J’ai trouvé cela formidable, le goût de chercher, le questionnement, l’aspect expérimental… Cela m’a conduit à passer mon DEA (aujourd’hui master 2) et à candidater pour une bourse de thèse. » Il a décroché une bourse de l’ADEME sur le thème du traitement de l’air… alors que ses études portaient sur les sciences des matériaux. Mais ce choix est logique car les matériaux jouent un rôle clé pour capter les polluants. Frédéric Thévenet ne regrette pas son choix : « la recherche est une activité très stimulante, avec des contraintes certes, mais aussi beaucoup de liberté et de créativité.»
Rédaction : Umaps, Cécile Michaut
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