Alors que la loi d’Axelle Lemaire pour une République numérique est en examen au Sénat, quelle est la situation actuelle de l’e-gouvernement français ? Une note rendue au Conseil d’analyse économique (CAE) le 22 septembre dresse un portrait de l’Administration publique numérique. Parmi ses auteurs : Maya Bacache, économiste à Télécom ParisTech et membre du CAE depuis le mois dernier.
« Nous avons quasiment tout dématérialisé. » C’est ainsi que Maya Bacache, économiste à Télécom ParisTech résume la situation de l’offre de service en ligne de notre Administration publique. « La France est excellente de ce point de vue. » ajoute-t-elle. L’indice EGDI établi par les Nations Unies mesurant le développement de l’e-gouvernement corrobore cette constatation de la chercheuse. En 2014, un classement entre pays du monde effectué selon cet indice plaçait en effet la France au premier rang européen et au quatrième rang mondial.
S’il faut se réjouir d’un service public largement numérisé, tout n’est pas parfait cependant. En effet, les citoyens n’utilisent que peu cette offre. Ce paradoxe constitue l’un des principaux résultats d’une note du Conseil d’analyse économique (CAE) commandée par le premier ministre Manuel Valls et parue le 22 septembre. Maya Bacache en est co-auteure aux côtés de Yann Algan (Sciences Po), et d’Anne Perrot (cabinet de conseil MAPP). Le rapport du CAE relève que seuls 42 % des particuliers ont transmis un formulaire complété par internet en 2015.
L’économiste de Télécom ParisTech voit deux raisons majeures à cette situation. Tout d’abord, l’offre présentielle, opérée par des fonctionnaires, est bien développée en France. Si d’autres pays européens enregistrent des taux d’utilisation très forts de leurs services numériques, c’est souvent car les citoyens n’ont d’autres choix que d’effectuer leurs démarches par internet. Elle rappelle au passage que numérisation n’est pas synonyme de simplification : « Une démarche compliquée en présentiel le restera en ligne si elle n’est pas accompagnée d’un changement organisationnel ».
Les compétences web, encore trop absentes de l’Administration
La seconde raison tient au design des plateformes. « Les sites sont peu ergonomiques, et les retours des usagers ne sont pas suffisamment pris en compte, ce qui engage peu les utilisateurs » constate la chercheuse. Une conséquence directe du manque de web-designers dans l’Administration publique. « En France, le nombre de professionnels du développement web est sans commune mesure avec celui des services homologues au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis » ajoute-t-elle.
Cette absence de compétences spécifiques aux métiers du développement informatique s’explique par un attrait peu prononcé des professionnels vers la fonction publique. « La circulaire Lebranchu rend difficiles les recrutements en CDI dans l’Administration ; et le niveau des salaires, déjà inférieur à celui du privé, s’en trouvera impacté » détaille Maya Bacache. Le modèle de fonctionnement majoritaire adopté pour le développement du e-gouvernement est donc la sous-traitance.
Longtemps perçue comme une solution à moindre coût, l’externalisation des tâches est aujourd’hui considérée comme plus onéreuse. D’abord car d’une manière générale, l’État paie moins cher que le privé. Ensuite parce que la sous-traitance demande un accompagnement et une gestion de la part de l’Administration, « il y a un coût de dépendance » pointe l’économiste.
Vers un État start-up ?
Pour Maya Bacache, ce fonctionnement bride l’innovation des produits et des procédés qui permettraient à l’Administration de proposer des services plus adaptés aux usages des citoyens. « Le numérique impose un fonctionnement par l’expérimentation : il faut que le gouvernement multiplie les initiatives et progresse par essai-erreur » justifie-t-elle. Selon la chercheuse, la mission Etalab initiée en 2011 pour ouvrir et gérer les données du gouvernement va dans ce sens, mais reste trop isolée.
« Définir le rôle de l’État est le cœur du sujet » ajoute-t-elle. Derrière la dématérialisation et l’instauration d’un e-gouvernement se joue la transformation radicale des périmètres de l’Administration. Dans une société où la donnée est une ressource, l’État se retrouve en possession d’une valeur considérable — l’éducation et la santé représentent à elles-seules un trésor de ce point de vue. Son rôle est-il alors de capitaliser sur cette ressource et d’innover selon le modèle des start-up ? Ou plutôt de développer de nouveaux services pour faciliter l’accès des nouveaux acteurs privés à ces données et les laisser proposer des applications aux citoyens ?
La question n’est évidemment pas tranchée, et nécessite d’engager un débat public rassemblant plus que des économistes. Elle soulève en effet de nombreuses problématiques par corollaire. Par exemple : que faire des données produites par les entreprises, telles que la RATP ou la SNCF ? Les ouvrir pour proposer de nouveaux usages, comme l’application de mobilité Citymapper, constituerait une forme d’expropriation. La loi pour une République numérique portée par Axelle Lemaire définit des données d’intérêt général et impose aux entreprises de les ouvrir. Mais il est déjà à prévoir que les débats seront houleux quant à la définition de ce qui constitue une donnée d’intérêt général.
J’insiste un peu sur l’externalisation : oui, effectivement, opter pour l’externalisation est onéreuse mais d’un certains points, elle permet de se recentrer sur les compétences clés de l’entreprise et de maximiser ensuite les profits.
Je pense que c’est la perte de contrôle c’est à dire l’engagement acté sur le moyen/long terme fait émerger un certain sentiment de perte de contrôle du côté des chefs d’entreprises qui fait obstacle de procéder à l’externalisation.