Comment les entreprises gèrent-elles leurs transitions ?

Bouton IdF petitPour une entreprise à l’organisation rodée, il n’est pas évident de changer ses pratiques. C’est pourtant un impératif pour certaines si elles veulent diminuer leur impact sur l’environnement. Sandrine Berger-Douce, chercheuse en sciences de gestion à Mines Saint-Étienne, travaille à l’étude des changements que mettent en place les entreprises dans un contexte de transitions environnementale, énergétique et sociétale. Au début du mois de juillet dernier, elle participait à l’organisation et au pilotage scientifique de la 11e édition du congrès annuel du réseau international de recherche sur les organisations et le développement durable (RIODD) qui se tenait à l’école stéphanoise. Elle précise pour nous les facteurs déterminants dans la réorganisation des entreprises.

 

Comment convaincre une entreprise de changer de modèle pour adopter une meilleure efficacité énergétique par exemple, ou pour avoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement ?

Sandrine Berger-Douce : Dans le cas des PME ou des ETI, le facteur déterminant est très souvent le dirigeant. Ses convictions jouent un rôle important et sont un moteur pour la transition de l’entreprise. Au-delà de ce paramètre, il y a des effets de mimétisme stratégique notables. Il ne faut pas oublier que les entreprises évoluent en réseaux — qu’ils soient régionaux, nationaux ou internationaux. Donc certaines pressions de parties prenantes externes peuvent les inciter à repenser leur mode de fonctionnement. Parfois, les deux raisons se combinent, avec des pressions qui viennent renforcer des convictions déjà présentes en interne.

 

De quel genre de pressions est-il question ?

SBD : S’agissant des PME en posture de sous-traitance, la tête de filiale peut imposer un changement des pratiques pour harmoniser son empreinte globale. Les clients peuvent aussi demander des modifications pour intégrer des considérations telles que l’impact de l’activité sur le territoire. Et puis les entreprises font partie de pôles de compétitivités, de clusters, de clubs, d’associations diverses… dans lesquels les dirigeants vont s’encourager mutuellement à changer leurs pratiques. Les investisseurs et assureurs jouent également un rôle, puisque des pratiques de l’entreprise dépendent leur soutien. Enfin, il ne faut pas oublier que les pressions peuvent aussi être internes, venant des salariés. Il s’agit alors plus de questions liées à la qualité de vie au travail.

 

Suffit-il de convaincre une entreprise, ou faut-il également s’assurer qu’elle soit accompagnée ?

SBD : Là encore, nos études montrent que cela dépend du dirigeant et de son équipe. Certains vont essayer de se débrouiller, prenant une casquette supplémentaire pour piloter la transition de leur entreprise. D’autres peuvent déléguer cette responsabilité à un membre de leur équipe ou à un salarié. Cependant, beaucoup vont choisir la voie de l’accompagnement, parce que ce n’est jamais facile de faire accepter les modifications internes à l’ensemble du personnel, ni de les mettre en place.

 

Comment cet accompagnement se traduit-il en pratique ?  

SBD : Les conseils régionaux, les chambres de commerce et d’industrie et l’AFNOR[1] sont très actifs sur le terrain pour orienter les dirigeants vers les bons interlocuteurs. Souvent, l’entreprise va faire appel à un consultant attitré, spécialiste des stratégies collectives. Ce type d’accompagnement dure de 12 à 18 mois en moyenne, et mixe des formations individuelles et collectives, ainsi que des audits croisés entre entreprises. Le tissu associatif (Centre des Jeunes Dirigeants, par exemple) est également mobilisé, pour agir contre les éventuelles exclusions qui peuvent survenir lors de mutations organisationnelles de l’entreprise.

 

En termes d’investissement, qu’est ce que cela représente pour une entreprise ?

SBD : L’engagement en faveur du développement durable demande des ressources, c’est évident. Mais pas forcément financières, sauf évidemment s’il s’agit de revoir les processus d’industrialisation. Cela nécessite des ressources humaines, dédiées si possible — même si c’est difficile — et un engagement à long terme. Il ne suffit pas de convaincre et de choisir son accompagnement : il faut aussi s’engager pour mener les modifications à terme. À la base, l’envie et la volonté des dirigeants jouent un rôle majeur, ce sont des moteurs de cet engagement. Et puis il faut surtout des ressources en temps. Ce sont souvent elles qui manquent le plus pour ces organisations. Ce n’est pas forcément évident pour une PME d’organiser une demi-journée de réunion dédiée à cette question toutes les deux semaines, et ce pendant plusieurs mois.

 

Comment mesurer le retour sur ces investissements humains et temporels ?

SBD : C’est très difficile pour nous chercheurs, car il y a beaucoup d’immatériel. Certes, si l’entreprise installe des panneaux photovoltaïques ou des récupérateurs d’eau, nous pourrons mesurer le retour économique en quelques années. Mais s’il s’agit de prendre en compte la qualité de vie des salariés, c’est plus difficile. Nous avons des métriques sociales, comme le taux de remplacement des employés, mais quantifier l’impact de l’engagement à partir de ces paramètres reste compliqué. Disons que nous avons du mal à mettre les facteurs sociaux et humains en équation. Donc nous adoptons plus une approche systémique, en analysant les mécanismes de fonctionnement, l’entreprise dans sa globalité, sa relation avec son territoire, etc.

 

Les entreprises s’engagent donc dans des mutations dont elles ne connaissent pas l’impact sur leur croissance ?

SBD : Certaines sont obligées de repenser leur modèle sinon elles meurent. Pour celles-ci, la question ne se pose pas. Après, les entreprises saines qui s’engagent y vont pour d’autres raisons que la croissance. Certaines vont sacrifier un développement à tout crin, et accepter de rester plus modestes si elles savent qu’elles en tireront une meilleure performance globale. Il est clair qu’essayer d’équilibrer toutes ces dimensions — économique, sociale, environnementale — est une alchimie difficile à réaliser pour les entreprises. En fin de compte elles sont plus tiraillées qu’on ne le pense. Mais plus elles sont grandes, moins cela se voit.
[1] Association française de normalisation

One comment

  1. Très pertinent comme article. Je pense que les investisseurs en matière de sous traitance devrait lire votre article. C’est bine détaillé et pleins d’astuces.

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